L’odeur âcre de la fumée avait inconsciemment guidé les pas du Docteur Nikolaï Mithra vers la dernière destination terrestre de Wright. Au fond de la salle crépitait doucement un feu presque éteint au pied duquel gisait les corps de Joe Hartwell Hallen ainsi que d’Irénée Nunchi.
A travers les yeux du docteur, dansait une légère étincelle. Mémoire d’un souvenir tabou. L’espace d’un instant il faillit s’y abandonner mais la fumée lui saisit la gorge comme les mains d’une femme bafouée.
Docteur Nikolaï Mithra : Non ! Je dois sortir d’ici !
La mine inquiète d’Épiales Venetus apparut sur son mobiGlass, ce fut pour lui comme un souffle de fraîcheur.
Venetus : Docteur, nous sommes en approche finale. Je dois vous faire part des doutes du capitaine suppléant Bator. Etes-vous réellement certain des intentions de vos nouveaux contacts ?
Docteur Nikolaï Mithra: Je ne suis certain que d’une seule chose mon fidèle Épiales, dans quelques heures se jouera le sort de ma carrière tout entière, de ma vie probablement, et peut-être également celle de notre futur à tous.
Épiales fit une moue interrogative.
Venetus : Vos contacts semblent avoir des manières plutôt agressives et notre équipement n’est pas vraiment adapté pour un engagement direct.
Docteur Nikolaï Mithra: Vous pouvez rassurer le capitaine Bator ! J’ai carte blanche, de la bouche même de leur Grand Maître. L’Ordre Noir ne va pas tirer à vu sur vous. Posez-vous à une faible distance du complexe nous devons être réactif, et je ne pense pas que leurs hangars puissent accueillir ce type de bâtiment. Sur ce coup, nous allons jouer à domicile. Hors de question de prendre le moindre risque. Le Moratorium est-il prêt ?
Venetus : Oui, docteur. Configuré et équipé selon vos demandes.
Mithra : Bien, bien, c’est parfait.
Nikolaï passa nerveusement une main sur son le crâne totalement lisse.
Mithra : Commencez la descente !
Loin, dans le ciel au-dessus du complexe se forma une gigantesque boule de feu. Dans une manœuvre d’approche étonnant souple, elle laissait derrière elle une traînée orangée se dissipant dans les nuages.
Le monocle de Nikolaï captura chaque instant de cette vision, celle d’un météore fonçant droit sur lui prêt à répandre la destruction divine, le châtiment biblique.
Mais cela ne vint jamais. Quelques secondes avant l’impact, les flammes disparurent dans un « bang » sonore digne du plus cataclysmique des orages. Faisant place à un monstre d’ébène de 150 mètres de long. L’air tout autour de Mithra vibrait à son passage sous la puissance des moteurs d’appoint.
L’ombre de l’engin plongea un instant toute la zone dans les ténèbres, puis, au contact avec le sol, les sabots d’atterrissage firent trembler la terre.
Le vaisseau, sous les lignes insectoïdes d’un Reclaimer, s’était posé.
Le docteur ouvrit son mobiGlass.
Mithra : Sénéchal Highfall, ici Mithra. Votre ambulance est arrivée. Etes-vous prêt à entrer dans l’Histoire ?
Le visage d’Ikar Highfall se ferma lorsque deux hommes en uniforme médical vinrent le chercher dans sa chambre du complexe. Il jeta un coup d’œil rapide derrière eux et vit un Medilift flottant mollement dans le couloir.
Sénéchal Ikar Highfall : Je suis peut-être vieux mais je ne suis pas handicapé ! Pour qui me prenez-vous ?
Les deux assistants échangèrent un regard gêné avant de manifester un attrait malsain pour le sol.
Assistant médical Philéas : Pardon Sénéchal, mais ce sont là les consignes du Dr Mithra. Il est nécessaire que vous restiez le plus calme et immobile possible avant l’opération. Le docteur vous expliquera tout, une fois à bord du bâtiment.
Ainsi, l’homme fut emmené vers la gigantesque masse sombre en attente non loin du complexe. Sur sa coque, une plaque indiquait :
Modèle : Aegis Reclaimer
Dénomination : Necrosika
Numéro de série : egsrec 388-2942-1059-mr
Propriétaire : Lorcàn Farren Mithra
Mise en service : 02-08-2942
Couché sur le Medilift, Ikar eut tout le loisir d’en observer l’intérieur.
Après avoir emprunté l’ascenseur central, une série de couloir défilèrent devant ses yeux. Un sol noir d’obsidienne, des murs d’un métal froid comme la mort, des kilomètres de tuyaux au parfum d’un intestin en plein travail.
Les yeux vers les cieux, le Haut Conseiller ne pu détacher les yeux du spectacle qui s’offrait à lui. Sanglé par huit pinces semblables à des crochets de boucher, un exosquelette en pièces détachées flottait au-dessus de la passerelle. Les multiples sections s’emboitaient en un puzzle macabre d’acier, de fils, et de pistons à l’allure d’un cadavre mécanique en décomposition. Ce fut un patchwork de technologies sans la moindre unité de design, dont la fonction prédominait manifestement sur l’apparence.
En passant sous l’objet, un épais ichor noir lui goutta sur le visage.
Finalement, on déposa le Medilift dans le bureau de Mithra. L’homme se tenait debout, engoncé dans un pourpoint noir austère, ourlé d’or, dominant un pantalon LeMarque noir tout aussi sombre. Il portait par intermittence une calebasse avec sa bombilla à la bouche, sirotant goulûment son contenu.
Un prince au sommet d’une montage d’ordures, songea Ikar.
Dans les quartiers du capitaine, les yeux du vieillard se posèrent soudain sur un bonzaï aux branches noueuses, dont la forme évoquait étrangement l’anatomie d’un fœtus humain. Pendant une brève seconde, une sueur froide lui parcourut l’échine. Il lui sembla presque que l’arbre le suivait du regard.
Sénéchal Ikar Highfall : Me voilà, râla Ikar. Ce n’est pas vraiment une ambulance…
Un large sourire condescendant dessinait le visage de Nikolaï.
Mithra : Cela tombe bien ! Je ne suis pas vraiment médecin ! Je suis docteur monsieur Highfall. Docteur, doctorant en médecine nexialiste et transhumaniste. Pas médecin de quartier. Enfin. Peu importe. Mettons-nous au travail. J’ose espérez que le matériel commandé aux Deamon’s Sisters fera son usage, car nous n’avons pas le droit à l’erreur.
Il tira une large lampé sur sa bombilla. Un doux parfum d’épices s’en échappa, tranchant violemment avec les effluves de mort et de cambouis industriel. Nikolaï leva les mains en l’air d’un geste biblique :
Mithra : Alors ! Qu’en pensez-vous ?
Sénéchal Ikar Highfall : C’est froid, lugubre et terriblement fonctionnel. Cela répond en somme au cahier des charges de l’Ordre Noir. J’ai cru voir un nom sur la plaque d’identification. Le Necrosica. Un nom à coucher dehors. Cela possède-t-il une signification particulière ?
Mithra : Vous ne croyez pas si bien dire ! Ce nom, dans une langue aujourd’hui disparue fait écho à un lointain passé. Jadis sur terre un groupe de prêtre dévoué avaient une mission bien particulière. Après d’âpres combats ils parcouraient les champs de bataille afin d’assainir les terres ou la mer, d’enterrer les guerriers tombés et de brûler les cadavres. Necrosica, signifie « celui qui brûle les morts, et les navires des morts ».
Highfall : Je vois. Tout un programme.
Mithra : Ne vous en faites pas Sénéchal ! Le Necrosica n’est pas un cercueil pour autant. Il possède une technologie toute particulière ! Voici donc l’avant-propos !
Le docteur aspira à nouveau une large gorgé de son breuvage. Des notes de cannelles, de gingembre et cacao flottèrent dans la pièce.
Mithra : Je ne vais pas passer par quatre chemins. Votre cas est spécifique, et requière donc un traitement spécifique. J’espère votre self-contrôle et votre maîtrise de la douleur absolu, car je ne ferai usage d’aucune anesthésie globale ou quelconque sédatif, somnifère… Mais je n’en attends pas moins de l’un des leaders de l’Ordre.
Ma raison ? Éviter au maximum le cas Hallen.
Bien que votre… notre chef ultime soit une merveille sans nom je crains qu’il n’y ait eu plusieurs erreurs dans sa… humm… disons… conception. Je m’explique.
Je vais vous greffer un exosquelette de ma conception sur le thorax, remplacer les organes endommagés puis procéder à une régénération des tissus via le Moratorium. Concernant ces faits, vous n’avez pas besoin d’en savoir plus.
Pour ce faire, j’ai besoin de votre corps et de votre esprit en état d’éveil complet. Car pour éviter le rejet du processus il est incontournable que vous acceptiez en pleine conscience la greffe. Si cela ne venait pas à avoir lieu…
Mithra marqua une pause dramatique savamment préparée.
Mithra : … votre corps risque d’entrer en lutte, en rejet contre le système de l’exosquelette, provoquer une septicémie ou bien pire, une incompatibilité physiologique menant probablement à votre mort. Ceci est le point physique, mais là n’est pas tout. Car votre esprit, votre psyché possède elle aussi un système défensif, une image d’elle-même qui se protège. Aussi, si votre conscience n’accepte pas pleinement son nouveau « moi », cela serait désastreux pour votre équilibre mental… déjà précaire. Schizophrénie, duplication de la personnalité, psychose, perte de contrôle moteur et autres joyeusetés de la sorte…
Me suis-je bien fait comprendre ?
Le docteur roula des yeux vers un Ikar aussi morne que les murs de la pièce, puis murmura à l’oreille de son patient :
Mithra : Nous ne voulons pas d’un nouveau Hallen, ou d’un deuxième Janus… n’est-ce pas ?
Highfall : Hum. Dois-je vous rappeler que Janus est d’abord le produit de votre technologie ?
Mithra reprit, en avalant ses mots aussi vite que son maté.
Mithra : Une cabine de méditation est spécifiquement préparée à votre usage sur le pont principal, à côté du Messe. J’ai également fait demander un Prêtre Noir. Elle est à votre disposition. Je vais lancer les préparatifs et commencer à élaborer mes solutions injectables ! Prévenez-moi quand vous serez prêt. Quand votre corps sera en parfait harmonie avec votre esprit. C’est là, la principale condition de réussite. La synchronicité !
Après sa brève médiation, les assistants conduire Ikar totalement nu sur le Medilift jusqu’à la salle d’opération du pont principal. Dans sa tête, la sensation du métal contre la peau se mélangea en un maelstrom d’émotions noyées par le bourdonnement de la machinerie infernale du Necrosica. Peu après, ils dépassèrent la porte principale avec sa large baie vitrée pour pénétrer dans une pièce bien plus exigu, entièrement dépourvue de mobilier.
Assistant médicale Philéas : L’entrée des artistes ! C’est par ici !
Les deux sbires le laissèrent là, sans aucun autre mot. Mais à peine avaient-ils franchi le seuil que des sangles automatiques agrippèrent les chevilles, les poignets et le cou d’Ikar. Un large bras robotisé descendit du plafond pour s’amarrer au Medilift. Des pinces d’acier saisirent le lit pour l’engager dans une nouvelle cellule faisant à peine sa taille.
Avant qu’il ne puisse comprendre ce qui venait se passer, le corps d’Ikar Highfall se retrouva à la verticale. Les sangles du Medilift s’ouvrirent pour laisser six doigts d’acier se refermer sur son corps, l’enserrant comme une vierge de fer. La puissance de l’éclairage de la salle, lui fit presque perdre la vue.
A travers la paroi, il distingua vaguement Mithra s’atteler à divers préparatifs. Sa voix semblait lointaine et étouffée par l’épaisseur du verre.
Highfall : CA ! Ce n’est pas une salle d’opération Mithra ! MITHRA !
A ces mots, les yeux du Sénéchal purent enfin voir à travers la violence de l’éclairage. De pars et d’autres de son corps maintenu en place, toute une série de bras robotisés se mirent en branle.
Le premier était équipé d’un plateau rotatif muni de quatre six circulaires à l’allure terne et partiellement corrodées. Elles diffusaient un sifflement aigu qui résonnait dans la pièce.
Le deuxième bras peint dans un jaune délavé, semblait être jumelé avec un convoyeur de pièces détachés se perdant dans la cloison.
Le troisième avait l’allure d’une riveteuse pneumatique vomissant une infinité de câbles multicolores et partiellement dénudés.
Le dernier d’un blanc nivéen, possédait une large main robotique couverte de tâches d’ichor.
Mithra : Non, effectivement monsieur Highfall. Ici, c’est habituellement la salle d’entretien des drones du navire ! Je lui ai trouvé il y a peu un usage bien plus créatif ! Elle sera parfaitement fonctionnelle ! N’ayant crainte ! Sommes-nous parti, monsieur Highfall ?
Sa voix crépitait dans l’interphone.
Highfall : Ceci est une hérésie Mithra ! Le Grand Maître vous fera payer pour ça ! Vous serez PURGÉ !
Et avant même qu’Ikar puisse poursuivre…
Mithra : Sénéchal. Connaissez-vous le point commun entre un canon à distorsion, Bach et le cœur humain ?
Nikolaï partit d’un grand rire.
Mithra : Le rythme ! Bien ! Nous allons synchroniser vos ondes cérébrales beta et gamma avec l’Autodoc. Vous devriez visualiser un graphique au-dessus de votre tête. Celui-ci oscille entre 30 et 60Hz. Veillez à rester suffisamment focalisé pour qu’il reste dans cette plage. En sortir serait naturellement désastreux pour vous !
Highfall : MITHRAAAA !
Sur ces mots, un air profond de violoncelle sonna dans l’interphone : musique
Autodoc : Veuillez désigner le mode.
Mithra : Paramètres personnalisés, démarrage de la séquence de traitement du sujet, mode semi-autonome.
Autodoc : Confirmé, démarrage de l’interfaçage homme-machine. Chirurgie en cours…
Une douleur aiguë dans la cuisse fit sursauter Ikar, qui sentit un liquide froid s’insinuer doucement en lui.
Autodoc : Injection du composant en cours : benzoylpiperidine à 0.2mg, épinéphrine à 0.5mg, antipyrétique additivée à 0.3mg. Constante nominale. Le sujet est stable. Chirurgie en cours…
Sur le même tempo lourd que le violoncelle, des scies virevoltèrent autour du corps entaillant la chair comme l’on découpe une carcasse d’animal. En une fraction de seconde la morsure glaciale de la douleur laissa place au feu du cocktail de Mithra. Une brûlure incandescente se répandit dans tout son système nerveux, irradiant ses muscules de l’intérieur.
Dans un geste de folie masochiste l’esprit d’Ikar détacha son attention de l’écran.
Mithra : Noooooon, hurla le docteur dans l’interphone ! Restez concentré !
La scie plongea dans la cuisse ruisselant de sang, lui laissant tout le loisir d’observer muscles, tendons et nerfs à vifs. Immédiatement un deuxième bras y injecta au pistolet une grappe de fibre optique luisante.
Alors qu’un doigt de la machine cautérisait déjà les plaies, la lueur de la fibre commençait à pulser d’un bleu violacé. Le bras jaune entra alors dans le ballet, fixant à la suite des plaques d’alliage les unes après les autres.
L’esprit d’Highfall sous l’effet de la drogue tentait vainement de comprendre la scène, ce fut un échec. Sa bouche projeta un geyser de bile mêlant un liquide jaunâtre et piquant au flux de sang s’écoulant sous ses pieds. Tout devint soudain flou, la musique un grondement, les lumières une dense, la douleur un rêve.
Une silhouette brumeuse tambourinait au loin dans un bruit étouffé.
Mithra : Le rythme ! Concentrez-vous sur le rythme, regardez l’écran.
Les constantes s’envolèrent…
Highfall : Kira, murumura-t-il avant de perdre conscience.
De l’autre côté de la vitre, les alarmes hurlèrent les unes après les autres. Il y eut une pluie de rapports d’erreurs sur tous les écrans.
Autodoc : Alerte ! Désynchronisation neurale ! Sujet critique ! Procédure d’arrêt d’urgence ! Stabilisation du sujet requis !
Mithra : NON ! Autodoc, mode manuel !
Sous ses ordres, un panneau latéral coulissa et le docteur s’empressa d’y saisir les contrôleurs.
Mithra : 10cc de diméthylsulfoxyde, MAINTENANT ! Procédez à la dyalise ! Et de l’antipyrétique enrichies en alfétanil N01AH02 !
Assistant médical Philéas : Combien d’unités monsieur ?
Mithra : TOUT le soluté !
Alors que dans l’autre pièce de larges jets de sang arrosaient la vitre, Mithra ne réalisa même pas que tous les regards étaient tournés vers lui. Il mima avec précision les gestes délicats qu’il avait appris, mais les bras robotiques ne réagirent qu’en saccades.
Assistant médical Philéas : monsieur vous, vous…
Mithra : QUOI !
Assistant médical Philéas : monsieur vos mains !
Posant alors ses yeux sur ses dix doigts, Mithra réalisa qu’il en avait perdu le contrôle. Ses mains tremblèrent violemment, jusqu’à en perdre l’usage.
Mithra : Non, non ! Pas maintenant ! Pas ! Maintenant ! Ce n’est pas ton heure !
Assistant médical Philéas : Monsieur ! A qui parlez-vous monsieur ?
Philéas eut alors cette étrange vision qui lui glaça le sang jusqu’à la moelle. Celle d’un docteur Mithra prenant tour à tour une voix grave puis aigüe, posant des questions insensées pour y répondre lui-même d’une autre voix. La seconde d’après Mithra s’effondra par terre en convulsant, tentant d’une main d’opérer le sujet H, de l’autre de s’en empêcher de force !
Il y eut un instant de flottement. Puis l’homme se redressa.
Assistant médical Philéas : Monsieur Mithra, vous allez bien ? Monsieur Mithra nous perdons le sujet H !
Un éclat de rire explosa dans la pièce.
Mithra : Le docteur Mithra, n’est pas laaaaaaaaaaaaaaaa ! Ah ha ha ! répondit une voix inhabituellement aigüe.
L’homme s’étira comme après un long sommeil. Puis parcourut les installations du regard. Son attention traîna sur les machines suivant le mouvement de ses mains.
Mithra [voix aiguë] : C’est intéressant. Aaaaaah je vois ! C’est l’heure de faire les courses frangin ? Heiiiiinnnnn. Petit bâtard ! Père et mère nous avez pourtant bien appris à ne pas jouer avec la nourriture ! Quel déchet as-tu encore ramassé ? Je ne serai pas toujours là pour te protéger tu sais !
Le docteur se jeta violemment contre l’une des consoles, s’ouvrant l’arcade. Un bras robotique imita le mouvement, coupant net dans l’épaule d’Ikar.
Mithra : Lorcàn ! Je peux te contenir !
Lorcàn Farren Mithra : Chuuuut chut ! Couchez, bâtard ! Je ne vais en prendre qu’un morceau cette fois ! Promis ! Le foie ? Oui le foie ! Regarde sa gueule de pochetron ! Oui, il est bien gras ! Ça sera parfait ! Finement grillé avec échalotes ! Huummmmm ! Et déglacé au vin blanc de Terra !
Lorcàn vit vivement pivoter les contrôleurs, et de l’autre côté de la baie vitrée une tige dentelée plongea dans l’abdomen d’Ikar pour en extraire un gigantesque morceau de chair ensanglantée.
Autodoc : Alerte diagnostique critique, pression artérielle hors tolérance, auto-procédure de clampage. Cautérisation d’urgence. Diffusion d’épinéphrine, 0.3 miligramme/litre. Début d’une transfusion régénérative.
Alors que le bras robotique amena l’organe, les trois autres terminèrent le processus.
Le corps du docteur s’effondra à nouveau au sol, du sang s’écoulant sur son crâne lisse.
Mithra : Philéas ! Partez ! Allez me quérir Eleanor ! Vite !
Philéas : Monsieur ! Je ne sais pas où…
Mithra : Dans mes quartiers ! J’ai rangé l’urne dans les casiers du cellier ! Eleanor ! 2933 !
L’homme en blouse blanche quitta la pièce en courant, laissant derrière lui l’écho métallique de ses pas. Lorsqu’il revint dans la pièce il y retrouva un Mithra/Lorcàn couché dans son propre sang, tentant à la fois de s’étrangler et de lutter contre sa propre force à la fois.
Philéas sans trop réfléchir, brisa le sceau de l’urne pour y verser son contenu directement dans la bouche de Mithra. Le liquide coula sur ses lèvres, les teintant d’un violet pourpre puissant. Ses pupilles se dilatèrent immédiatement.
Mithra : Merci Philéas ! Murmura Mithra, comme à l’agonie. Philéas ! Le foie ! L’imprimante 3D !
Philéas : Euh, je, je, oui monsieur, bredouilla-t-il sans trop savoir quoi faire.
L’assistant se tourna vers Mithra.
Philéas : Monsieur, est-ce qu’il…
Croisant le regard noir de furie et de mort de son patron, Philéas abandonna sa question sur l’instant.
Mithra : Nous devons terminer ceci Philéas ! Ceci, souffla-t-il difficilement, est plus important que vous et moi ! Ceci, est une renaissance, un acte de foi !
En levant les yeux vers la baie vitrée, Mithra constata avec plaisir que l’opération touchait presque à sa fin. Sous l’effet de la Liqueur de Malemort, il se rasséréna. Dans un ultime effort de concentration, Nikolaï fit pivoter les bras de chirurgie. La structure soutenant Ikar se souleva doucement du sol, tandis que la riveteuse pneumatique termina de fixer la section pectorale de l’exosquelette. Les pieds joints, les bras écartés en T, le messie et Sénéchal Ikar Highfall allait renaitre de ses cendres avec plus de puissance qu’il n’en avait jamais rêvé ! Et… un foie synthétique !
Mithra : Il est toujours inconscient, murmura le docteur pour lui. Démarrer le protocole d’assimilation maintenant serait une tragédie… à moins que…
Nikolaï senti à nouveau ses mains lui échapper, son corps commençait à trembler sous la force d’un profond conflit mental. Il se sentit partir, encore une fois.
Mithra : Non, Lorcàn ! Cette fois tu vas rester à ta place ! Dans les ténèbres !
Bondissant comme un lion, Mithra se saisit de l’urne d’Eleanor 2933 et y versa son contenu dans la gorge jusqu’à la dernière goutte. L’effet de la Liqueur de Malemort fut immédiat, tous ses sens s’enflammèrent sous le parfum de griottes et de petrichor.
Mithra parti d’un grand rire sec et s’exclama pour lui.
Mithra : Oh oui grand-mère ! Tu as toujours été de bons conseils !
Suant à grosse gouttes, l’homme inspira à fond, la tête enfoncée dans le menton.
Mithra : Avez-vous la foi Sénéchal ? Êtes-vous en grâce des Démiurges ? Car il semble que c’est aujourd’hui que votre karma converge ! Autdoc ! Clôture du mode automatique, et chargement du Moratorium !
Dans un ballet mécanique tous les bras robotisés se rangèrent soudain dans leur rack, laissant une trainé de sang et d’ichor dans leur manœuvre. Une série de lourds « clack » mécanique résonnaient dans la pièce, et le corps d’Ikar plongea doucement dans une cuve sous ses pieds. En quelques secondes le sol de la salle d’opération avait complètement coulissé dans les murs, laissant apparaître un bassin emplit d’un fluide mystérieux.
Le corps d’Ikar y flottait totalement nu, au gré d’un courant invisible, uniquement attaché par le câblage d’entretien de l’exosquelette.
Mithra : Démarrage de la séquence de régénération ! Tenez-vous prêt Philéas !
Dans un bourdonnement sourd, de multiples arcs électriques se croisèrent à la surface. Chaque contact générait une décharge bleutée faisant tourbillonner le fluide sous l’onde d’énergie. Au bout d’une poignée de secondes le fluide forma un vortex autour du corps d’Ikar. Le Moratorium avait commencé son œuvre…
Philéas : Monsieur ! C’est une catastrophe ! Le sujet K. se désynchronise du Moratorium ! Ses ondes thêta sont insensées ! Son cerveau active le cortex cingulaire postérieur mais aussi le cortex cingulaire antérieur dorsal… et… et l’insula antérieur gauche !
Mithra : Quoi ? Il est en transe ? MAINTENANT ?
Philéas : Oui ! Sa plastique corticale se reconfigure !
Mithra : Merveilleux ! Le Mahayana s’exprime ! Libérez les nootropes, Philéas !
Le vortex de médi-fluide cessa dans la seconde, se muant en une sorte de bouillonnement farouche du bassin. Le visage du Sénéchal apparut au milieu de la tempête, les yeux totalement révulsées !
Ikar : KIIIIIIRAAAAAAAAA, hurla-t-il comme le tonnerre.
Le bassin tout entier prit soudain le visage d’une femme bouillonnante.
Philéas : Il n’est plus synchronisé ! Le Moratorium va le tuer ! Il va tous nous tuer !
L’assistant bondit en courant dans la salle du bassin, tentant en vain d’agripper les câbles d’entretien de l’exosquelette. Mais l’assistant bascula tout entier dans la cuve.
Mithra : Philéas ! NON, espèce de crétin !
Le hurlement de douleur de Philéas s’éteint rapidement dans un borborygme mouillé. En un instant le fluide décomposa sa chair vivante, tintant le bassin d’un pourpre profond. La peau rongée s’effaça sous la morsure du Moratorium, laissant apparaitre tissus, os, organes jusqu’à transformer le cadavre de l’assistant en une bouillie de chair informe.
Mithra se désintéressait déjà de ce spectacle d’horreur, car une autre vision reteint toute son attention. Celle du Sénéchal Highfall nageant vers la margelle du bassin. Nikolaï passa au crible ce visage qui émergeait de la cuve.
Cette barbe jadis grisonnante avait maintenant retrouvé sa couleur d’antan, et les rides austères de son front avaient disparu. Deux bras musclés à grand renfort de vérins et de fibre optique, hissèrent l’homme dans un sifflement hydraulique. Et lorsque l’imposante masse du Sénéchal s’étira devant lui avec un sourire sardonique, Mithra murmura de ses lèvres rougit par la Liqueur de Malemort :
Mithra : Je suis le Neuromancien de l’Ordre Noir ! Le capitaine du Preliator et du Necrosica ! Le thaumaturge et le nécrophage ! Gloire à l’Ordre !