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Versets : 1, 2, 3
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Les parents et les proches les plus aimants commettent des meurtres avec le sourire aux lèvres. Ils nous forcent à détruire la personne que nous sommes vraiment : une sorte de meurtre subtil. Pour devenir plus que nous-mêmes il est autant nécessaire de les tuer que de se tuer soi-même. Ainsi, par Lethe, vous devenez pur. Votre seule famille est alors les croisés de l’Ordre Noir, celle qui vous reconstruira au-delà de tout ce que vous pouviez espérer jadis.

Nargit Hyastan, Discours des Sphères, 2952, Archives de l’Inquisitorum.
Verset 1 – Metal Slut Overdrive

L’écrasante après-midi d’été touchait doucement à sa fin dans le quartier du Bloc de Terra III (Prime). L’Atomic « Tattoo » Studio était en veille comme à son habitude durant les longues journées d’été. A l’intérieur les quelques rares clients diurnes se laissaient bercer par le doux ronron de la climatisation salvatrice. Dehors au contraire, un orage déchaînait toute sa fureur, la pluie tombait avec rage comme autant de larmes cristallines et acides accompagnant la chute d’un ange de métal venu d’outre-monde.

Entre les flèches polychromes des gratte-ciels, un Drake Corsair aux turbines hurlantes cherchait à la hâte un hangar désaffecté. Dans sa descente aux Enfers, l’éclat de toutes ces étoiles de synthèse dansaient sur sa carlingue comme sur la cuirasse d’un antique chevalier déchu. Les rayons de lumière de la ville accompagnaient sa silhouette de métal partiellement calcinée.

En contre-bas dans la rue, les néons publicitaires du Bloc dansaient à travers la brume de gouttes en un arc en ciel de fausses promesses multicolores. Ici, la bruine et les espoirs des badauds y avaient le point commun de tous deux finir oubliés dans le caniveau. Aussi, on ne levait que rarement les yeux vers les cieux.

Un bang presque supersonique fit trembler les enseignes d’une façade. Il y eut un court silence puis un nouveau bang suivit d’un sifflement décroissant. L’onde avait des échos étrangement mécaniques pour un simple orage, mais la foule n’en avait rien à foutre. Aucun œil ne fit attention à ce moteur tribord qui toussa avant de s’arrêter dans un jet incandescent. La boule de flammes rasa la cimes d’un immeuble du district en pleurant de l’huile enflammée sur un pad de toiture.

A son sommet, la clameur des quelques nantis remplaça, l’espace d’une étoile filante, le vacarme des turbines entrain de mourir. Il faut dire que l’appareil déclencha la salve d’insultes de circonstance.

Plusieurs paires d’yeux fixaient ainsi le cockpit du Corsair en conjecturant sur son pilote. Un contrebandier en fuite ? Un pilote de vaisseau volé ? Un explorateur en déroute ? Un fils à papa n’ayant aucunes bonnes manières ? Plusieurs hypothèses alimentèrent les ragots des habitants mécontents. Mais la réponse disparue en même temps que le Corsair derrière l’épaisse porte d’un hangar miteux.

L’engin en souffrance était rustique, fatigué et meurtrie mais fait pour s’enfoncer dans les confins de la galaxie. Lentement, l’appareil gita dans le hangar avec la délicatesse d’une brique que l’on ferait ricocher sur une marre de boue. Une poubelle parmi les déchets de la civilisation, le camouflage était parfait.

Un personnel fantomatique y accueilli une carlingue perforée de bout en bout par des impacts de balles de différents calibres. Entre le cockpit et ce qu’il restait d’une paire d’ailes uniformément carbonisés, trônait une inscription presque effacée : Metal Slut Overdrive. Au-dessous d’elle on pouvait distinguer le dessin d’un escargot solaire façon pin-up aux seins démesurés, carapacé d’une coquille semblable à la tourelle d’un Hammerhead. Mi-limace, mi-tank, mi-pute. Tout l’art des esthètes de Pyro réunit dans un graffiti.

Un homme glissa péniblement de l’ascenseur latérale, vêtu uniquement d’une bure de carbonsilk synthétique grossière et particulièrement défraîchie. Il ne faisait aucun doute que ce vêtement avait connut des heures plus glorieuses… et son propriétaire également. Les quelques pièces de l’étoffe encore en bon état étaient d’un obsidienne profond comme la nuit, en décalage avec le reste de la tunique blanchie par l’exposition à de multiples soleils lointains. L’homme qui portait ce Voile de la Nuit avait le visage et les mains intégralement couvert, et semblait transporter une sorte d’urne en terre cuite, semblable à celles qui servaient jadis à recueillir les cendres des morts.

Sans aucuns mots deux techniciens en armes vinrent à sa rencontre, et sans aucuns mots il les congédia d’un Anam Cara parfaitement exécuté. Le spectre délavé fit ensuite un signe à un forme enfantine juchée sur le siège du navigateur du Corsair, puis s’engouffra dans un couloir de service mal éclairé.

Le Voile de la Nuit chemina péniblement jusqu’à l’Atomic Studio sans se soucier le moins du monde, ni des yeux le scrutant dans la rue, ni des drones analysant son parcours. Un milicien qui tenta de scanner l’homme, n’eut pour seule réponse qu’un « Redacted » inscrit en rouge sur son écran. Il passa son chemin en haussant les épaules.

L’ombre zigzagua un moment entre les marchants de rêves impossibles, les femmes offrants leurs vallons de chairs et les pigeons de hors-mondes à détrousser. La nuit toute entière sembla appartenir à ces lieux.

La bure défraîchie s’avança jusqu’au seuil de sa destination et disparut de la vue des passants, en glissant comme un fantôme jusqu’au comptoir d’accueil impeccable de l’Atomic Studio Tattoo.

La scène semblait sortir tout droit d’un mauvais livre de science-fiction. Un homme dans un habit noir élimé datant d’un autre siècle, le visage enfoui sous des cheveux blancs crasseux se tenait raide comme un piquet dans un silence religieux. Autour de cette tête encapuchonnée, s’enfuyait avec une sublime anarchie des mèches rebelles autant qu’une barbe en broussaille. A travers l’enchevêtrement hirsute de cheveux, se glissait en travers un cache-œil sur le côté gauche du visage. La peau visible en dehors de la bure avait la couleur caramel, tannée comme les habitants du désert.

Devant lui, et avec la même impassibilité, se tenait Tania Harding. La femme élancée du haut de son mètre quatre-vingt de stature, fixait le prospect avec la rigueur d’un douanier de Lorville. Ses yeux délicats en amande étaient enchâssés dans un masque blanc en céramique augmentée. Sa structure fut complexe, avec des décorations exotiques et raffinées, bordée par des cheveux mi-longs d’un noir anthracite. De fines lèvres pourpres ajoutèrent une pointe de couleur sur ce visage tout de crème.

L’un comme l’autre restèrent là, à se jauger pendant un moment improbable, la reine blanche face au fou noir, comme deux pièces antagonistes d’un jeu d’échec à taille humaine.

— Bonjour ! C’est à quel sujet ? S’enquit au final la gérante, de sa voix de velours.

Si le masque facial de Tania Harding avait pu émuler des émotions, son visage aurait eu une composition unique entre la surprise, le scepticisme et le dégoût.

A ces mots la silhouette de ténèbres posa délicatement son urne au sol, dans un mouvement qui sembla lui demander plus d’effort que nécessaire. Puis elle se redressa en laissant tomber son vêtement au sol.

Tania se retrouva devant le corps nu d’un vieillard, le sexe à l’air et les yeux baissés vers le sol dans le silence le plus pur. La femme étrange ne sembla manifester aucun signe de surprise ou d’agacement, elle en avait vu d’autres.

— Mauvaise adresse, monsieur. Je pense que c’est une erreur ! Déclara-t-elle sans perdre une once de contenance. La maison close de Yova c’est au bout de la rue, je peux vous l’indiquer.

En réponse, l’homme impudique siffla d’une voix aussi sèche que le désert de Daymar.

— Femme ! Je ne viens pas chercher des plaisirs lubriques ! Je viens pour graver mes péchés dans ma chair et chercher la rédemption dans le sang et la miséricorde !

— Oui… mais ça, nous ne faisons pas non plus, mes excuses. Comme je viens de vous l’expliquer, la maison ne donne pas dans les activités sadomasochistes. Nous sommes un établissement réputé à la clientèle paisible, pour ceux qui ont du goût.

— NON ! Tonna-t-il d’une intonation étonnamment puissante. Je cherche Tania Harding, une artiste digne de réaliser un chef d’œuvre unique dans la galaxie !

Elle se pencha légèrement au-dessus du comptoir afin d’étudier de pied en cape la physionomie du vieillard. Puis Tania produisit une réplique, d’une voix extrêmement calme qui imposait une écoute immédiate, sans qu’aucune forme d’agressivité ne soit présente dans son timbre. La complexion de sa plaque faciale unique en son genre, aux allures d’un antique masque Kabuki remis au goût du jour, ne varia pas d’un iota non plus.

— D’accord, d’accord dit-elle, en laissant très doucement glisser sa main vers un holster caché sous le meuble. Et qui la demande ? J’ai l’impression de connaître votre voix mais…

— La connaissance de mon nom actuel, ne vous est pas accordée. Jadis mon corps fut celui d’un homme, aujourd’hui il ne l’est plus. Vous fier à ma chair serait bien trompeur. Tel jadis le Christ, le Bouddha, Saint Jean-Baptiste, l’Ouroboros et le Zarathoustra, je dois mourir et renaître. Je dois changer de peau, êtes-vous à la hauteur de la tâche ? Mon corps encore mortel doit être purifier dans le fleuve éternel des étoiles et vous êtes le premier pas vers un chemin bien long. M’a-t-on mal orienté ?

— Alors c’est-à-dire que…

Un lourd silence tomba dans la pièce d’accueil, comme si la femme venait seulement de comprendre à qui elle avait affaire et ce que cela pouvait impliquer. Elle sembla jeter un regard circulaire autour d’elle ainsi que dans les environnements immédiat de la rue, puis réalisa un Anam Cara hatif sans prononcer le moindre mot.


Verset 2 – Atomic Studio

Une expression indéchiffrable passa alors sur le visage du vieil homme, son faciès toujours à demi enfoui derrière de longs cheveux en bataille. Soudain il ouvrit un pli de sa bure étendue au sol et en sortit un épais tome racorni ayant l’air d’avoir souffert.

— Voici, ajouta l’homme en tendant l’ouvrage.

A mi chemin entre la gène et l’hilarité hystérique d’une situation si ubuesque, Tania se saisit du tome et entrepris de parcourir ses pages. L’objet semblait ancien ou avoir subit une usure excessive. L’inscription : Leçons de Ténèbres VIII-X était gravée sur la première de couverture. Celle-ci fut richement enluminée bien qu’affadie par une manipulation quotidienne, orné d’un large vegvisir en guise de sceau central. Au milieu du glyphe était enchâssée une pierre de lune nacrée aux reflets sans cesse changeant.

Elle fit glisser le fermoir central et constata qu’il ne s’agissait pas d’un seul ouvrage mais de deux livres jumeaux contenus dans la même couverture parcheminée de cuir. Le volume de droite fut rempli d’une minuscule écriture cursive, tandis que celui de gauche contenait pléthore de croquis, d’esquisses, de diagrammes, de cartes et autres formules mathématiques.

Un index fripé se posa au milieu d’une grappe de plusieurs feuillets à l’image d’un marque-page humain.

— Là, insista-t-il en en marquant le pli.

Tania y regarda de plus près, en passant en revue divers schémas biologiques ainsi qu’une multitude de dessins ineptes, puis souffla de résignation.

— Je vois. Vous n’auriez pas ceci sur un datapad à tout hasard ? Ou un projecteur holo ?

Le vagabond nu lui rendit un regard austère.

— Toute cette technologie manque d’âme et d’humanité. Nous nous s’y sommes que trop fier, et j’en ai déjà payé le prix par le passé. Libérez-vous, madame Harding, vous êtes enchaîné !

Il poussa le carnet vers elle d’un geste amical mais ferme puis reprit :

— Si vous êtes la personne que je cherche, votre imagination sera le processeur graphique le plus puissant de cette planète.

La gérante du studio Atomic Tattoo en fut flattée. Elle fixa attentivement les dessins pour s’en imprégner, puis fit passer ses yeux de l’homme au livre dans un va-et-vient rapide.

— J’aime les défis, ponctua-t-elle avec un filet d’excitation dans sa voix, même les plus étranges. C’est plutôt calme ces derniers jours. Alors comment pourrais-je refuser devant tant de conviction ? Pas vrai ? Suivez-moi et heu.. par pitié, monsieur… rhabillez-vous ! Cela n’est digne de vous.

Le dernier mot de la phrase était prononcé de manière plus lourde qu’a l’accoutumé, avec une insistance marquée. Son interlocuteur, perdu dans ses pensées ne saisit pas le message paraverbal.

Elle fit signe au mystérieux vagabond de la suivre à l’intérieur du complexe, jusque dans une pièce adjacente. Arrivée sur place, la propriétaire du Studio passa plusieurs pages du livre sous un dispositif de scan avancé et la machine projeta une simulation holographique tridimensionnelle depuis une console dédiée. Cela eut pour effet de provoquer chez son client un grognement de réprobation qu’elle ignora volontairement.

Le système de la pièce produisit une représentation du corps de l’homme y affichant toutes les données médicales et biométriques associées. Son identité en revanche fut totalement masquée. La data était toujours froide et anonyme, sans esprit. Tania fit défiler les fichiers et de multiples surcouches visuelles se superposèrent au corps. Devant la divulgation si ostentatoire d’informations personnelles, elle observa sans ciller la réaction de son futur client. Elle fut bien déçue.

— J’en déduit que vous savez parfaitement qui je suis ?

— Comment ne le saurais-je pas ? Le tacla-t-elle d’une voix douce. Néanmoins si vous souhaitez conserver l’anonymat en ces lieux, nous respectons votre choix. Quoi qu’il en soit, sachez que c’est toujours un honneur, monsieur.

Sans même se retourner, elle s’affaira sur la machine afin de scanner l’intégralité du livre, puis manipula les surcouches de dessins et d’informations afin d’en obtenir une vue d’ensemble cohérente.

— Le corps entier, monsieur ? En êtes-vous certain ? J’ai peur que vous soyez trop vieux pour cette fantaisie !

— Vieux ! S’exclama-t-il soudain d’un rire de bon vivant. Je ne serai vieux que le jour où quelqu’un de plus obstiné que moi aura réussi le prodige de transformer tous mes rêves en regrets !

— Je vous reconnais bien là. J’avais des doutes, mais plus aucuns à présent. Que me vaut l’honneur de votre présence ?

La question ne fut que pure amabilité, sans l’attente d’une réponse. Le temps que le système informatique ne calcule toutes les variables, la femme s’était éclipsée en quête d’une bouteille de vin. Elle revint aussi discrètement qu’elle avait disparu, avec deux verres à la main.

Elle en proposa un à son client, puis enclencha la projection finale. Le système de lentilles holographique des industries MicroTech diffusa l’image parfaite d’un corps recouvert de tatouages avec complexité et un raffinement rarement vu. Des lignes suivants la biologie du corps s’entrelaçaient dans un ballet pourtant géométrique et équilibré rappelant une carte stellaire stylisée mais organique. A intervalles réguliers, de fines inscriptions calligraphiées dans une langue étrange accompagnait le mouvement des astres et des planètes se mêlant à la chair.

— J’ai effectivement réalisé un grand voyage madame Harding, lâcha le vieil homme après une gorgée de vin. Ce fut très différent de tout ce dont à quoi je m’attendais. Une partie de moi, n’est plus. C’est précisément un vide qu’il vous incombe de remplir. En un sens, je regrette ne pas être venu vous voir plus tôt.

L’homme leva les yeux vers le projecteur diffusant l’image de lui-même, le travail de tatouage achevé. Des courbes délicates, sinuant comme des veines ou les affluents d’un delta, s’entrelaçaient sur la peau comme le dessin de routes antiques.

— N’êtes vous pas en émoi devant une telle beauté ? C’est l’œuvre de toute une vie !

Tania resta interdite un moment.

— Comment vous êtes vous procurer cela ? Ça semble tellement ancien et pourtant si sophistiqué. Et, cette langue… est ce que c’est de l’hadésien ou je rêve ? Mais non de dieu qui…

Il coupa la femme sèchement en s’emportant.

— Dieu ? Dieu n’a rien à voir la dedans ! Sachez que je suis un sabéiste, le cosmos est ma religion et les étoiles sont mes divinités. Le reste est sans substance. Car nous, nous savons que ceux qui sont capables de voir au-delà des ombres et des mensonges de leur propre culture ne seront jamais compris par la masse. Notre existence est un point madame Harding, notre durée un instant et nos globes terrestres des atomes. Depuis que le monde est le monde, une abeille a-t-elle déjà perdu son temps à expliquer à une mouche, que le miel est plus noble que les excréments ?! Alors je vous le demande, une toute dernière fois. Êtes-vous à la hauteur de mes attentes ?

— C’est beaucoup ! Beaucoup de travail, de préparation, et je ne suis pas certaine qu’à votre âge… cela va nécessiter plusieurs séances, sans parler du temps de programmation des robots dermographes. Mais, oui c’est dans mes cordes. Peut-être même plusieurs jours de…

— NON ! Cela sera réalisé dans les règles l’art, de votre propre main. Sans artifices technologiques, sans traîtrises !

— Impossible ! Un tel travail de précision, une telle complexité du tracé, cela ne peut être réalisé à main levé sans aides. Sans compter les heures de souffrances physiques que cela va ajouter au projet !

— Et pourtant ! Il le faut ! Nous ne parlons pas ici d’un vulgaire tatouage esthétique, mais d’un rituel très élaboré. Ainsi doit-il être fait !

— Avec tout mon respect monsieur. Vous vouliez la meilleure ? Vous vouliez un chef-d’œuvre ? Prenez donc une chambre, ou une suite et laissez-moi faire. L’affaire est-elle si pressante ? Vous savez parfaitement que vous êtes en sécurité ici.

— Je… Fort bien. Faites le nécessaire, en ce cas.

— Pour le paiement ? Bien que je comprenne votre dévotion, la charité n’est pas la coutume de la maison.

— Je suis au fait de vos honoraires exorbitants. Je n’ai ni argent, ni gage, ni possessions terrestres.

— Vous non, mais l’Ordre pourra certainement…

A la prononciation du nom de l’Ordre Noir, les yeux du client devinrent assassins.

— Pour le bien commun, laissons l’Ordre en dehors de cela, tonna-t-il soudain.

Tania émit un silence accusateur et suspicieux. En réalisant son faux pas, le client se rembruni d’autant plus.

— Néanmoins, poursuivit-il. J’ai pris la liberté de me munir de quoi réaliser un troc. Vous pouvez vous servir à votre gré dans la soute de mon vaisseau. Il est déjà docké dans l’un de vos hangars privés, en voici le manifeste.

La diva de l’Atomic émit un cri suraiguë et indéchirable qui fit le sursauter de surprise.

— Le Metal Slut Overdrive ? Réellement ? Insista-t-elle en pouffant de rire. Vous voyagez souvent avec une telle cargaison d’objets exotiques ? Vous êtes un homme plein de surprises ! Et.. oh, il y a un passager ! Un mineur ?

— Comme le disait un vieillard de la terre. J’ose tout ce qui sied à un homme. Qui en ose davantage n’en est plus un. Vous pouvez vous saisir de l’intégralité de la soute. Mais il y a un objet auquel je vous interdit de toucher. Vous le distinguerez sans difficulté, il s’agit d’un sarcophage en pierre de lave. Tenter de vous en emparer ne serait pas très judicieux. Il en va de même pour mon protégé.

— Un sarcophage ? Comme dans les vieux livres d’histoires. N’ayez craintes, je ne verse pas dans le commerce de tels objets. Ils ont tendance à générer certaines complications.

— Complications, oui, le mot est bien choisi. Vous semblez en savoir beaucoup plus que ce vous en laissez paraitre. Néanmoins votre âme ne semble pas encore éveillée. Quelle est donc votre situation au sein de notre Ordre Saint ?

La brutalité du glissement sémantique fit sursauter Tania qui dégluti péniblement. La menace derrière les mots était à peine voilée.

— Monsieur sait très bien que je ne m’occupe pas des affaires de l’Ordre. Bien que vous ayez toute ma dévotion. L’Atomic est, par édit, un sanctuaire. Il s’agit d’un lieu de retraite avec la neutralité qui s’y adosse. Je suis votre obligée, jusque dans la limite du raisonnable.

A ces mots le vieillard se raidit.

— Limite et raisonnable sont deux termes qui n’ont pas leur place dans l’Ordre, et pourtant vous côtoyez les trois. Ce paradoxe a-t-il une explication ?

— Certes. Pourtant je suis confuse. Y’a-t-il quelque chose dont je dois tenir compte ?

Tania marqua une courte pause afin de reprendre son souffle, la gorge nouée par le saut dans le vide qu’elle se sentait obligé de faire. Interroger un membre de l’Ordre Noir était pour elle contre nature. Néanmoins en dépit de son indépendance, madame Harding avait également des obligations. Elle lisait le tourment, le remord et le désespoir en chacun des souffles de son invité. En étant l’autorité suprême de ce sanctuaire, ignorer cette lecture psychologique fut aussi criminel qu’y faire référence. Il y avait dans l’individu que se tenait à ses côtés, quelque chose de brisé. Cela ne pouvait rester ainsi sans conséquences.

— Vous semblez différent, s’aventura-t-elle en priant intérieurement pour que la réponse ne fut pas un ordre d’exécution.

— Ce que je suis. Ce que je fus. Je ne suis qu’un pont tendu entre deux abysses. Si vous êtes à la hauteur, tout cela n’aura plus d’importance. Car aujourd’hui, j’ai rompu un serment. Ce qui me comprennent veulent ma mort. Mais ceux qui tuent, le font dans l’ignorance. Je n’ai à présent que la mort devant moi.

Le vieillard lui tendit l’urne funéraire en terre cuite comme s’il s’agissait d’un poupon qui change de bras. Il continua ensuite son monologue :

— Vous devrez veuillez à n’utiliser que le contenu de cette urne en guise d’encre. Toutes les consignes et prérequis sont spécifiés dans mes notes de recherches. Les textes sacrés ainsi que les recueils hadésiens le confirme. Ceci est un rituel bien précis et antique, si vous ne respectez pas les consignes les conséquences risquent d’être dramatique pour nous deux.

Ses magnifiques lèvres pourpres dessinèrent un sourire crispé.

— Là, vous m’insultez, glissa-t-elle sans un mot plus haut que l’autre. Mais je vous préviens, un tel travail en si peu de temps nécessite une…

— Dévotion absolue, répondit-il à sa place. C’est pourquoi vous êtes l’unique. Toutes les voies du karma m’ont mené à vous. Le doute n’est pas permis !

— Vous êtes bien conscient que vous allez devoir rester parfaitement immobile durant des heures et très certainement souffrir en silence. Cette graphie hadésienne va me donner du fils à retordre !

Le client avala le contenu de son verre d’une traite

— Cela est entendu ! J’y suis préparé. Car je connais un juge qui se nomme Le Temps et qui remet tout le monde à sa place. La souffrance de la chair n’est rien face la douleur de savoir que la vérité est un péché chez ses frères.

Alors, la femme prit ses dispositions pour commencer la séance dans l’instant. Tout deux prirent la direction de l’atelier de dermographie privée de Tania. Le couple déambula dans un long couloir garni de larges vitres à intervalles réguliers. Chacune d’elle donnait sur l’intérieur d’une salle de tatouage immaculée où dormait un robot dermographe ainsi qu’un large éventail de matériel graphidermique. Toutes ou presque étaient déjà occupées par un panel de clients trop exubérants au goût du vieillard. A en juger par son analyse, certains d’entre eux venaient de systèmes planétaires lointains.

Au fond du couloir madame Harding se stoppa net devant une lourde porte blindée à double battants. Un laser lui scanna l’œil droit, puis les montant basculèrent. Dans cette seconde section bardé de serveurs et de matériel informatique, le duo se glissa dans une section hautement sécurisée.

La salle avait la personnalité hybride d’un centre de contrôle d’un data center mixé avec une galerie d’art. Tout ici fut à l’image de sa propriétaire : raffiné, mystérieux et improbable.

— Pendant que vous préparez mon corps, je dois préparer mon esprit. Car tout deux ne sont qu’un, dans le satori cosmique.

La femme entrepris de desceller l’urne de pierre avec une infinie délicatesse.

— Mais ! Par l’enfer qu’est-ce que c’est que cette encre ? Elle est totalement translucide ! Comment suis-je censé voir où je travail ? C’est une blague !

— Je vous avez pourtant dit qu’il s’agissait d’une œuvre de dévotion ! Cette mixture lorsqu’elle se mélange au sang, prends des propriétés particulières. Sachez qu’elle est à l’image de la foi ! Oui, invisible pour ceux qui ne savent pas regarder et qui sont impies ! Fermez vos yeux ! Ouvrez votre esprit et laissez les mystes guider votre main. Les valeureux ne tremblent pas ! Les justes connaissent le chemin ! Les éveillés arpentent la voie ! Que les étoiles guident nos destins.

Le vieillard passa derrière la console centrale de la pièce et y pianota quelques instants, cherchant un réglage précis dans les paramètres. Lorsqu’il fut satisfait, l’éclairage tout entier de la chambre de dermographie bascula. Du blanc cru et industriel, la lueur passa à un ultraviolet.

Tania eut un puissante geste de recul, manquant presque de faire tomber l’urne en terre cuite sur le sol. La femme posa l’objet sur le sol avec précipitation et une légère vibration s’en échappa.

— C’est vivant ! Ca bouge !

— En quelque sorte oui. Il s’agit d’un composé organo-réactif alien dont le nom et la fabrication s’est perdu dans le temps.

— C’est sans dangers ?

— Pour vous oui, pour moi… Je considère que rien au monde n’est plus dangereux que l’ignorance sincère et la stupidité consciencieuse.

L’homme parti d’un grand rire particulièrement perturbant, puis donna son explication.

— D’après mes recherches, ce soluté restera stable temps qu’il ne sera exposé qu’a un rayonnement UV modéré. Maintenant, procédez je vous pris.

Et la femme s’exécuta. La procédure standard fut que le client s’allonge sur un siège adapté ou bien une table confortable afin de supporter les longues heures de travail. Peu de clients faisaient la demande d’une réalisation manuelle et encore moins selon les règles de l’Ordre Noir.

Le hiérophante prit position sur la table en adoptant la posture la moins conventionnelle possible, celle de la transe méditative zazen. Très exigeante et douloureuse, cette attitude ascétique avait néanmoins le mérite d’avoir des effets surprenant sur le corps humain pour celui qui la maîtrise.

Le client opta pour le lotus complet, en posant chaque pied sur la cuisse opposée, puis la tête de manière à procurer une sensation naturelle et ne pas tendre le cou. Dans l’idéal, la nuque devait être dans le prolongement de la colonne vertébrale. Il imagina une ligne droite verticale qui parcourt le milieu de son dos, et positionna son cou dans l’axe de cette ligne.

Sa respiration devint puissante et régulière, à l’image d’un fleuve d’air traversant ses poumons comme une brise de printemps. En suivant le flux et le reflux du courant d’oxygène le corps préparait l’esprit au drift : la libération de la conscience de son ancrage charnel.

Une fois Le Démon absolument immobile, l’artiste se mit à la tâche de sculpter la chair. La première surprise de Tania fut de constater l’absence de tous saignements durant les incisions. Le vieillard commandait à sa biologique, capable de réguler sa pression sanguine tout autant que limiter les impulsions nerveuses liées à la douleur.

La seconde surprise fut de découvrir le comportement déroutant de l’encre mystérieuse au contact de la peau. L’ichor hadésien prît une teinte bleuté en sous-cutané, avec l’effet d’avoir une vie propre. Le liquide traçait parfois des motifs incongrus sans actions de Tania. La sensation fut si étrange qu’au bout de plusieurs heures, la femme ne su plus si sa main guidait le graphisme ou l’inverse.

Encore plus déroutant, lors de la séance la courbure du temps sembla subir une distorsion. Absorbée par son travail hypnotique, Tania fut incapable de déterminer depuis combien de temps sa tâche avait commencé. Était-ce des minutes, des heures ou peut-être des jours ? Elle s’arracha enfin à la structure hypnotique du tatouage, rappelée à l’ordre par sa physiologie. Elle avait très faim et commençait à montrer des symptômes de déshydratation.

— Ludivine, ma divine, peux-tu nous apporter deux Deep Purples et de quoi restaurer un hôte de marque, je te prie. Demanda-t-elle en décrochant sa mobiGlas.


Verset 3 – Le Hiérophante

Ludivine Baker entra alors en scène avec deux Deep Purple on the rock sur un plateau, ce savant mélange d’airelles, de myrtilles, et de plantes médicinales servi sur un savoureux whiskey martien de la distillerie Radegast fut sa signature. La boisson était accompagnée d’une collation frugale mais élaborée avec sophistication et délicatesse.

La ténébreuse mixologiste posa l’un des verres directement dans la main de Tania puis sembla lui murmurer des propos sévères à l’oreille de sa patronne. Les deux femmes complotèrent un court moment jusqu’à ce que Tania ne cesse son travail pour décrocher à nouveau sa mobiGlas.

Fort mécontent d’être coupé dans sa méditation, le vieux poussa un grognement, puis un soupir résigné.

— Pourquoi vous arrêtez-vous ? Ne vous ai-je pas dit que le rituel ne pouvait souffrir aucun délai ?

La femme transposa l’appel sur un projecteur. L’appareil transmis un flux d’image multi-cam de plusieurs systèmes de surveillance sur le mur de la salle. D’un côté les objectifs de drones suivirent un homme dans une allée crasseuse s’enfuyant du hangar du Drake Metal Slut Overdrive, de l’autre l’homme en question s’essoufflait en tenant des propos incohérents.

— … c’était un piège madame… pas de confiance… nous attendaient déjà sur place… Des pirates… tirs dans tous les sens… entre eux… sarcophage alien… pas possible !

Un silence.

— N’est-ce pas votre vaisseau ?

— Peu importe ! Nous n’avons pas le temps pour cela ! Restez concentré !

La femme ne s’exécuta pas. Diffusant ainsi sur l’écran mural le flux de plusieurs caméras supplémentaires.

— Qu’est-il arrivé à l’équipe de récupération ? Où sont Esteban, Malïa et Jacques ?

— …tous morts !

— Est-ce en direct ? Demanda vieil homme s’en s’émouvoir de la nouvelle.

La femme opina du chef.

Sur les écrans de Tania, l’homme de main du Studio arrêta net sa course dans plusieurs gerbes de sang, puis s’effondra au sol. Des mires lasers de snipers restèrent accrochés quelques secondes sur le cadavre avant de s’éteindre.

Il y eut un glitch sur l’image. Deux silhouettes drapées dans un Voile de la Nuit flanquèrent le cadavre du malheureux. Nouveau glitch. La rue était vide.

— Je connais cette tactique de combat, laissa tomber Tania. Et vous aussi n’est-ce pas ? Pourquoi des assassins de l’Ordre Noir viennent-ils d’exécuter l’un des mes hommes, monsieur ?

— Je comprends. Un livre oublié sur une étagère est comme une munition gaspillée au combat, pas vrai ? Madame Harding, ma vie est une bibliothèque en flamme. De quoi dois-je vous instruire au juste ? Vos conjectures n’ont aucun sens !

— Une demi-vérité est le même chemin qu’un mensonge. Si le studio est menacé, je dois en référer à un primat. Avec votre consentement ou non.

A ces mots, les yeux du vieillard lancèrent une menace de mort silencieuse. Elle n’ébranla pas Tania le moins du monde.

Les drones continuèrent à diffuser le flux de vidéo-surveillance, et Tania passa en plein écran le système de sécurité du hangar.

Un pirate particulièrement mal dissimulé avait été rejoint par deux autres compères déjà occupés à tenter de forcer l’accès à la soute du Corsair. Le troisième homme changea de stratégie en tentant de monter dans l’ascenseur du Drake par le bas. Sa tête explosa comme une pastèque trop mûre. Une large trainée de sang macula la peinture de l’engin en guise d’avertissement.

Tania passa derrière une console et une surcouche d’info-data se superposa au flux. Son œil droit brillait d’une lueur étrange.

— J’identifie plusieurs organisations distinctes sur les images. Vous avez l’air d’être un homme très prisé ! Intéressant, intéressant ! Il y a de la concurrence ! Et étrangement cela ne fait qu’éveiller encore un peu plus ma curiosité ! Alors, qu’avons-nous là ?

Encore un glitch et des signatures thermiques corporelles apparurent et disparurent en un clin d’œil.

— hum, je crois que c’est beugué !

— Ca l’a toujours été. Pourtant ils avaient promis de corriger ça lors du dernier patch !

— Vous devriez basculer sur le système Narthex.

La plaque faciale de Tania émula une expression de dégoût et de profonde désapprobation.

— Ne dites pas n’importe quoi ! Je ne suis pas l’une de vos croisés, mon indépendance m’est chère.

La tenancière affina les réglages du scan.

— Qu’avons-nous là ? Commençons par votre taxi, le Corsair : le Metal Slut Overdrive ! Charmant ! Il semble appartenir aux Fire Rats, un choix intéressant comme accointance, monsieur ! Mais Terra III est bien loin de leur terrain de jeu. Ce gang ne quitte que très rarement Pyro. Alors qui sont les types qui sont entrain de forcer la soute du Drake ?

La femme passa d’un écran à un autre en filtrant des informations avec une vitesse impossible pour un être humain lambda. Des flux de data, des diagrammes et des scans se reflétaient sur sa plaque faciale en une danse de couleurs chatoyantes.

— Les Drop Kings ? C’est fortement improbable, mais pas impossible. Ils ont déserté Terra Prime il y a bien longtemps… mais peut-être cherchent-ils à s’y implanter à nouveau ? Business as usual.

Tania travailla encore une fois l’image, balayant les enregistrements à l’aide d’un filtre multi-spectres. Les ordinateurs quantiques de la pièce se mirent en action, décortiquant à l’aide d’algorithmes ultra sophistiqués le moindre octet de données capté. Le système généra une série d’analyses toutes plus déroutantes les unes que les autres sur un sarcophage en pierre de lave présent dans la cargaison du Drake. Tania s’empressa de migrer les résultats vers son serveur le plus sécurisé tout en supprimant toutes traces de ces rapports.

Ce qui la surpris le plus vint dans une seconde passe d’analyse. Le système informatique de la pièce identifia clairement l’un des snipers fantômes comme une inquisitrice de l’Ordre Noir. Sa ligne de tir était claire et directe.

— Un conflit interne monsieur ? Demanda Tania avec emphase. L’inquisitrice… Alaura Luxeed… ne tardera pas à pousser les portes de l’Atomic. Vous comprendrez que je ne souhaite pas me trouver au milieu d’un conflit d’intérêt ! Ludivine, faites discrètement fermer le restaurant et surveiller les accès.

Puis la gérante se tourna vers Mithra :

— Monsieur. Si vous ne souhaitez pas être vu ici, quelles justifications dois-je fournir à madame Luxeed ?

Le ton du vieillard en devint soudain plus sec.

— Je n’ai absolument rien à vous transmettre qui soit de votre ressort ! Pour le bien commun, je vous ordonne de terminer votre travail madame Harding ! Avant qu’il ne soit trop tard.

— Oh non ! N’allons pas si vite en besogne ! Je ne travaille pas gratuitement, jamais, mais je pourrais éventuellement faire une entorse pour vous ! Avec toute la dévotion que je voue à l’Ordre, vous mettez la vie de mes équipes en danger, et avec des gangs qui viennent trainer dans mon jardin, toutes mes activités vont en pâtir ! Nous reprendrons APRÈS ! Rituel ou pas ! Je ne suis pas initié aux arcanes de l’Ordre Noir, mais cela semble sérieux.

— Croyez-moi. Vous n’êtes pas encore prête pour ce genre de révélation. Votre ignorance est notre assurance-vie.

Elle ricana un instant.

— Vous ne faites rien pour aider ! Vous savez, la confiance est le meilleur outil pour faire passer un mensonge.

— De qui donc tirez-vous ces sottises ?

— Ce sont là vos propres mots, monsieur. Je commence à douter de votre sincérité.

La femme fit mine ranger son dermographe dans le logement dédié, ce à quoi le vieil homme tenta d’argumenter en retour. Il n’en eut pas l’occasion car Tania fit volte-face, un Salvo Frag à la main et pointé sur le visage du client.

— Comment osez-vous ! Savez-vous seulement ce que ce geste va vous coûter, madame Harding ?

— Je ne vais pas patienter ici en regardant tous mes hommes se faire descendre, laisser le travail d’une vie partir en flammes dans une guerre des gangs, ni voir des croisés de l’Ordre entrer en armes dans ce bâtiment ! Vous allez me dire pourquoi vous-êtes ici, pourquoi vos propres hommes sont après vous, et vous allez me le dire maintenant ! Alors ? Lâcha-t-elle sous l’irritation tout en armant le chien.

Tania Harding n’avait jamais été une sœur de l’Ordre Noir à part entière. Bien qu’elle avait embrasser la cause il y a de nombreuses années, la gérante de l’Atomic chérissait son indépendance. Pourtant, sa connaissance de la secte fut assez ample pour savoir ce qu’elle risquait en braquant une arme sur l’un de ses membres.

— Ce que vous devez comprendre, c’est que je reviens d’un long voyage. Ce que je suis n’est pas ce que ce fut. De grandes révélations me fut faites, promptes à ébranler les fondations même de l’Ordre. Mon âme contient des secrets qui feraient voler la votre en éclats.

L’homme leva les mains et Tania bloqua immédiatement son geste avec une vitesse ahurissante.

— Puis-je ? Demanda-t-il ensuite tout en réitérant son geste.

Le vieillard se redressa sur la chaise de tatouage, et d’un mouvement lent, ramassa ses cheveux blancs touffus en un chignon strict à la mode des samouraïs d’antan. Il pesa chaque mot dans sa tête à la manière d’une personnalité politique de l’Empire. Lorsque ses lèvres bougèrent Tania décela un changement soudain plus grave et belliqueux dans sa voix. Le timbre de voix avait des accents graves et militaires, celui d’un homme habitué à prendre des décisions difficiles. L’intonation devint celle d’un général aigre, courroucé ayant pris la mouche devant un combattant insubordonné. Les mots se détachèrent avec une diction martiale, emplie d’une fureur contenue et d’une volition inébranlable. Tania n’en avait aucun doute, dans une autre époque, des légions entières auraient donné leurs vies devant un tel personnage.

— Vous n’êtes certainement pas prête pour les révélations que j’ai à vous offrir, répéta-t-il avec pédagogie. D’autant plus que votre neutralité reste notre meilleure assurance-vie, pour le moment. Les informations que j’ai récolté durant mon périple sont à même de provoquer un véritable schisme au sein de l’Ordre Noir. Nombres de croisés ne sont pas prêts à entendre ce que j’ai à leur dire et par conséquent, je représente aujourd’hui une menace pour la stabilité de notre Ordre. Des frères trahiront, des braves douteront et des machination seront élaborés pour me faire taire. En m’offrant vos services, vous vous mettez en danger Tania Harding. En danger de mort. Mais refuser de m’assister, serait rejeter tout ce dont en quoi nous avons foi. La plus manifeste des hérésies ! Des choix s’offrent à vous. Tôt au tard l’un des inquisiteur qui me traque en secret va remonter la piste jusqu’ici et, vous pouvez me croire sur parole, des individus très déterminés vont vous poser des questions dans un domaine qui n’est pas du registre de l’agréable. Si vos réponses ne leur sembleront pas de circonstances, ils auront tout le loisir d’en inventer la déduction à votre place. Et ce, avant ou après votre mort.

Tania fut totalement prise de court par une telle réponse, mais ne montra rien lorsqu’elle lue une panique passagère sur le visage de son interlocuteur.

— Comment puis-je savoir cela ? Continua-t-il en répondant à sa propre question. Car j’ai précisément inventé leurs techniques d’interrogatoire. Nous voilà… humm… comme qui dirait, bien dans la merde !

Il parti d’un ample rire gras.

— Je ne suis pas de nature à poser des questions intimes, mais je ne peux pas vous protéger si je suis dans l’ignorance complète de vos affaires. Je dois… comprendre !

— Pour le salut de l’Ordre Noir, je dois retrouver au plus vite ma Carrack La Métanoïa ainsi que son équipage. De plus, si nous souhaitons que la gloire de notre foi rayonne pour des siècles dans la galaxie, si le même combat pour une humanité régénérée brûle au fond de votre âme, alors Joe Hartwell Hallen doit mourir.

La phrase la souffla. Au fond de son esprit une arme nucléaire venait d’être lâché sur ses convictions.

— Vous êtes dément, lâcha-t-elle au bord des larmes. Comment est-ce possible ? L’inquisitrice, elle…

— Madame Harding. Si vous avez scrupuleusement écouté mes leçons, vous savez que parfois la seule réaction constructive face à la réalité est la folie.

Les doigts de Tania se crispèrent sur la détente. Un silence avec un goût de cendres s’imposa dans la pièce, lourd et écrasant. Prêt à tout, le docteur Nikolaï Mithra analysa la moindre réaction en provenance de son interlocutrice. Pour la première fois depuis leur rencontre, le fin psychologue, concepteur du rituel de Voynich, jura déceler un tic nerveux, signe d’une profonde terreur interne. Car cet instant de latence chez Tania ne fut pas un moment de réflexion, mais bien plus une crise de tétanie aiguë.

Si la première question déclencha un tsunami d’incrédulité chez elle, la seconde requête acheva totalement d’ébranler les tréfonds de son existence. La structure même de sa réalité quotidienne fut fragmentée, la raison de son existence subissait un séisme d’une magnitude inconcevable. Le sol s’ouvrait sous ses pieds. Alors, la seule option valide que l’esprit vacillant de Tania Harding trouva concret, fut de lever son arme pour placer le canon contre sa propre tempe.

— Que le Vajrayana ait pitié ! Je ne suis pas digne. Nous allons tous mourir, tous mourir, tous mourir…

La femme continua un instant dans son écholalie jusqu’à ce que sa voix ne soit plus qu’un murmure couvert par le ronron de la climatisation.

— Tous mourir, tous mourir…

Le paria de l’Ordre Noir ignorait si la femme était tombé à genou ou si elle se prosternait volontairement devant lui, mais il adopta la même position par humanité. Il prît la tête de Tania entre ses mains avec la délicatesse d’un chirurgien, et l’observa avec attention. Le drame de la situation le toucha au cœur. Il y eut un magnétisme chevaleresque dans le désespoir de dame Harding. Ce fut comme une pulsion soumettant son être à la compassion. Hallen voulait que l’on puisse périr au nom de l’Ordre, Le Démon souhaitait que l’on veuille vivre pour l’Ordre.

Pourtant, il y avait quelque chose d’autre. Car à travers la tempête qu’il traversait, et dont il était lui-même l’instigateur, ce masque de kabuki l’apaisa profondément.

— Tania, dit-il en l’appelant pour la première fois par son prénom. Quelle est la signification du mot religion ?

— De quoi ? Grelota la femme n’osant lever les yeux vers son client, maître et désormais ravisseur.

— Religion est un terme qui nous provient de la nuit des temps, dans une langue jadis utilisée pour faire rayonner la sagesse et la foi de la civilisation humaine. Mais nous l’avons déformé et pervertie, comme souvent. Le mot original est religiare, il signifiait pour nos ancêtres : relier les Hommes.

Le Démon passa ses vieux doigts dans les cheveux de l’artiste kabuki avec un geste emprunt de romantisme.

— Qu’en dis-tu Tania ? Sommes-nous reliés ?

La femme emmurée dans sa détresse sursauta à son propre nom. Il laissa ses paroles s’imprégner dans la conscience de Tania avant de donner un libre cours total à sa pensée.

— Rien n’arrive jamais par hasard. La contingence est le propre des esprits sans ouverture. Toi et moi, nous sommes des âmes meurtries, à la dérive. Nous nous sommes accrochés sur un radeau d’illusions qui s’est fait fracasser par la réalité immonde de notre galaxie. Notre éveil à la foi nous a rendu vulnérables aux appels des faux prophètes, des célébrités politiques, des scientifiques charismatiques, des leaders avides qui ont su utiliser notre soif comme une bride. Et dans notre haine envers nous-mêmes de ce que nous étions, il y a eu Joe Hallen. Tellement de promesses.

— Arrêtez ça, murmura-t-elle les dents serrées.

— Non, ma tendre, ça ne s’arrêtera pas. Il ne s’agit pas là d’un cauchemar dont l’on peut s’extraire, mais du Samsara. Je viens de lire en toi, et je comprends à présent que nos âmes sont liées.

En prononçant ces paroles Le Démon lui présenta l’Anam Cara.

— Anam Cara, termina-t-il, au sens le plus pur possible.

Il lui posa un baiser sur le front, puis se redressa doucement en faisant mine de quitter la pièce. Dans son dos éclata un coup de feu. Son cœur en fut broyé. Tremblante, la femme avait vidé son arme sur le serveur contenant les détails de l’analyse du cercueil en pierre de lave et du Leçons de Ténèbres VIII-X.

— N’étant pas une sœur de l’Ordre, chuchota le vieillard au bord des larmes lui aussi, je ne peux ni te demander de te soumettre, ni te contraindre à un sacrifice. Néanmoins à la lumière de la nature de ma quête, je requière ta dévotion.

— C’est d’accord. Je vais le faire, bredouilla-t-elle. Au nom… de nous. Au nom… du véritable Anam Cara. Mais avant, par pitié, j’ai besoin de repos. Monsieur… je veux dire… Nikolaï. Prends une chambre à ta guise. Je m’occupe de tout.


Verset 4 – Service compris

Dehors la pluie torrentielle avait repris et en franchissant la porte de sa chambre à l’Atomic Studio Tattoo, l’Administrator se senti bien las.

Combien de temps ? Combien d’année-lumière, et combien de mort ? Du grand midi au grand minuit les secondes s’égrainaient. Chacune d’elles blessent, mais seule la dernière tue. Sa vie toute entière du côté de l’UEE fut une trahison et le voilà instigateur d’un odieux complot contre ses propres frères. Pourtant, il le fallait, Le Prophète était un mensonge. Cette vérité brutale devait percer des ténèbres, transpercer le cœur pur de chaque croisé.

Nikolaï Ambedo Mithra, l’homme brisé, perdu et au seuil de la fin pensa ses plaies physiques et mentales, quand un besoin basique le prît aux tripes : une douche.

Dans une chambre à l’Atomic Studio, comme par magie de l’eau chaude et parfumé tomba du plafond, ce fut une bénédiction.

Il sursauta quand une main lui caressa le dos, elle était douce et délicate.

— Du calme, je suis Zuriñe. Madame Harding a sollicité mes services pour la nuit et selon votre bon plaisir.

La femme passa ses mains sur le dos du vieillard dans un geste précis et calculé, ô combien agréable. L’homme resta sur ses gardes, mais lassa faire un court moment. Sans doute une attention de Tania, pensa Mithra, cette femme était tellement dévouée. Son sens de l’organisation sera utile à l’Intendance de l’Ordre après la purification.

Derrière lui Zuriñe poursuivit son massage, la pression des doigts sur les zones déjà cicatrices fut très appréciable. Il sentit que la femme suivait les lignes du motif autant du regard que des mains. Les courbures gravées dans la chair voulaient être suivit. Elle se laissa aller ainsi un moment en parcourant délicatement son dos, de la nuque jusqu’à l’aine puis tressauta, comme expulsée d’une rêverie.

— Votre corps parle pour vous-même, inutile d’utiliser des mots. J’apprends ce dont j’ai besoin de savoir pour vous détendre au mieux. Cette peau, est un véritable parchemin d’histoire. Je peux y lire vos victoires, vos défaites… et vos désirs.

La femme l’enlaça soudain dans une étreinte puissante. Elle déplaça ses mains doucement vers son poitrail, puis agrippa fermement son sexe qui resta totalement inerte.

— Il me semble que vous outrepassez largement le cadre de votre fonction, fit l’homme impavide ! Vous vous engagez là en un territoire qui n’est pas de votre ressort !

— Réellement ? Ne sommes-nous pas tous deux des explorateurs ? Pour moi aucun territoire n’est hors limites ! Je vous croyez homme à volontiers goûter aux nouvelles expériences, pour… la science !

— Zuriñe !

Une voix ferme de femme appela dans la pièce adjacente, elle gronda la première comme un parent qui peut anticiper les gaffes de sa progéniture, même à travers les murs.

Dans la chambre, la table était déjà dressée et garnie de mets fins. Assise au bout, la femme lui sourit silencieusement. Sa bouche charnue et dessinée avec un rouge à lèvres incarnat, répondait à la teinte rousse profonde de ses cheveux de feu. Un ensemble de mèches disciplinées descendaient sur le côté d’un visage sévère en une cascade de boucles dociles. L’air était stricte et sévère, celui d’une femme d’affaire dans la force de l’âge, sachant exactement ce qu’elle désire et quand elle le désir. Son faciès de prédateur n’était adoucie que par deux yeux lapis lazuli.

La femme était habillée avec une veste noire modèle homme Tuvois d’Opalsky, laissant apparaitre une belle poitrine amplement tatouée.

Elle lui désigna le verre de vin qui l’attendait déjà, puis réajusta nerveusement son pantalon Devereaux noir. Elle commença d’une voix douce et ferme à la fois avec un léger accent :

— Bonsoir docteur, je me suis permise de prendre des dispositions à votre égard. Vous ne m’en voulez pas j’espère ? Je suis Ahmya, la fille de la nuit. J’ai cru comprendre que aviez demandé une professionnelle pour la soirée !

La femme lui fit un clin d’œil entendu.

— Le service de sécurité de cet établissement laisse vraiment à désirer. Je pensais à être clair, pourtant ! On ne badine pas avec…

— Allons, allons ne soyez pas si aigre ! Prenez un verre de kir ! Pinot Blanc du Domaine Mithra et crème de Chibanzoo et… une pointe de pollen de Revenant. Le Sang-mêlé, je connais mes classiques !

Encore nu, il tenta de s’emparer de sa bure mais Zuriñe se trouvait déjà sur son passage. Elle remua l’index en guise de réprobation, puis lui désigna l’habit déposé sur le lit.

— Cette loque miteuse n’est pas d’une grande discrétion ici, vous en conviendrez ! Une tenue plus adaptée fera belle effet. Fit la femme avant de guider à nouveau l’attention du Docteur vers la table. Et puis vous avez un rendez-vous qui nécessite une certaine dignité.

Il observa de loin le costume OpalSky plié à la perfection, composé d’un pantalon Devereaux, d’une veste Tuvois aux couleurs fantaisistes accompagné d’une paire de Vivant de chez Hawksworth’s.

— Je ne porterai rien de si vaniteux. C’est immonde ! Je préfère encore l’honnêteté de ma nudité à vos apparences creuses. Tout ce verni ne m’atteint pas. Quoi qu’il en soit vous êtes plutôt bien renseignée pour des prostitués, tacla Mithra. Dommage que cela fut dans une autre vie. Vous avez plusieurs années de retard.

La femme fit une moue nettement surjouée.

— Quel insulte ! Oh, non ! Je suis bien plus que cela ! Prenez un verre ! J’ai quelques petites surprises pour vous divertir ce soir mais chut ! Une chose à la fois.

Zuriñe posa un doigt sur les lèvres, puis le lécha lentement avec un érotisme calculée.

— Zuriñe ! S’agaça Ahmya. Vous pouvez disposer ! Le docteur et moi-même avons à discuter en privé.

— Oui madame, a votre service. Je vais voir si monsieur Ceasar Ides nécessite mon intervention dans la chambre 44. Il débarque fraîchement de Mars, je crois.

— Docteur vous dites ? S’enquit l’homme avec une colère à peine dissimulée.

— Oui, cela n’a pas était facile de vous retrouver. Mais buvez avant ! In vino veritas, comme disait un ancien peuple de la Terre.

En restant circonspect, Nikolaï fit glisser sa main sous le verre à pied puis laissa rouler le liquide un instant, tout en observant la teinte d’un œil expert. Ces réflexes d’une autre vie qu’il croyait oublié depuis des âges avaient pourtant été répétés un tel nombre de fois, qu’il revinrent avec panache. Il jaugea la liqueur. La couleur d’or du Pinot Blanc, mélangée avec la crème de Chibanzoo lui donnait une teinte d’aubergine aux reflets de miel.

En parallèle le visage d’Ahmya était celui d’un félin prêt a bondir sur sa proie. Dans l’attente, elle observait, prête à sortir ses griffes. Le premier piège fut placé et l’homme de foi, se laissa tenter. La sensation fut immédiate, et l’appât fatal.

La douceur d’une promenade en forêt sur Terra glissa dans sa gorge. Au nez fruité et frais évoquant le pin, succéda la douceur de la pomme ainsi que de la pêche des vignes aux légères notes florales. Le raisin mûr dansaient joyeusement dans sa bouche comme un acrobate expert, se laissant rapidement tomber vers l’acidulé du Chibanzoo, et son amertume piquante.

Quelque part dans l’esprit du Baphomet de l’Ordre Noir, un funambule dansait sur une corde raide. Un filin tendu entre deux mondes, deux vies, deux souvenirs. C’est alors que le pollen de l’arbre Revenant entra en scène. De l’altruciatoxine brute qui se répandit dans tous son système sanguin. Les parfums du vins se firent images mentales, et les images, des souvenirs, des émotions. Ce fut comme de déterrer un mort tout en lui chantant une sérénade fruitée. Mithra avait joué le jeu, et à présent un fossoyeur de souvenir chevauchait Dionysos en galopant droit vers le delirium.

Dans son esprit, un jeune garçon surgit d’un passé oublié. Un Gavroche courant les salles de la Villa Mithra, dans des habits en loque et recouvert de boue. A chaque pas, des domestiques horrifiés criaient après lui.

— Mère, père ! Venez voir ! Venez vite ! S’exclamait le gosse dans ses souvenirs.

L’enfant dans ses vêtements en lambeaux, rayonnait d’une joie solaire. Entre ses mains, il tenait un trésor. Un bocal en verre contenant un couple de poissons Banded Fessle.

La douceur du moment s’effaça sous l’amertume du regret. Une cascade de souvenirs et d’émotions s’écoula en lui, le flot incroyable d’une multitudes de vies contenues en une seule. La vague fut trop puissante pour que son esprit parvient à tout compartimenter, car il n’y avait là qu’un amalgame de sensations sans aucune chronologie. Son cœur battait soudain la chamade.

Les yeux doux d’Ahmya semblèrent briller une seconde. Un coup de feu au milieu de la nuit. La cage était prête.

— Maintenant que vous êtes de retour à la maison monsieur Mithra, il est temps d’avoir une discussion en famille ! N’est-il pas ?

— A quoi cela nous mène-t-il et qui diable êtes-vous ? Ce jeu commence à me lasser terriblement.

— Le diable ? Ha, c’est flatteur ! Mais je serai certainement votre Enfer, si cette discussion ne mène nulle part. D’autre part, Le Baphomet c’est plutôt votre domaine. Je n’empiète pas sur les chasses gardées ! Zuriñe, s’il te plaît !

La femme entra à nouveau dans la pièce avec un pistolet Yubarev dans chaque main.

— Surprise, le vioc’ ! En même temps, ce n’est pas vraiment comme si nous vous donnions le choix !

— Voyez-vous monsieur Mithra, cela est plutôt délicat à vrai dire. Vous avez disparu depuis un long moment, laissant l’un de nos plus fidèle client dans l’embarra ! Il semble que ce dernier n’ait eu que très peu de nouvelles depuis que vous êtes entré en contact avec cet organisme occulte, l’Ordre Noir. Et des rumeurs circulent… qui ne sont plus à votre avantage.

— Allons, Ahmya ! On perd notre temps là ! Il ne sait même pas qui nous sommes ! On extrait ce qu’il nous faut de son crâne et on décroche !

Ahmya prit un longue gorgé de vin puis se pinça l’arrête du nez.

— Effectivement. En guise de recadrage, le terme de chasseuses de primes pourraient correspondre à notre profession. Néanmoins je trouve cela profondément vulgaire. Je préfère le terme de « récupératrices » ou de « collectionneuses de secrets ».

— Et moi, coupa l’invité-prisonnier, je préfère le terme : putains.

— Oui, on est quand même pas du même calibre que ces paysans de hors-mondes ou de pirates ! Les Drop Kings, des concurrents ? Tseu, pitié ! Ils feraient n’importe quoi pour une poignée de crédits. Alors pourquoi se fatiguer quand on peut avoir accès à de la main d’œuvre bon-marché !

— Voyez-vous monsieur Mithra, vous nous posez un sacré soucis ! Le vilain petit mouton noir des Mithra. Quelle surprise lorsque nous avons parcourus les actes ! Aucune trace avérée du décès de Nikolaï Ambedo Mithra, l’échec de la famille ! La honte, pourtant réhabilité en secret par son père dans son testament ! Un homme disparu et censé être mort depuis bien trop longtemps, qui porte en lui tout l’héritage d’une famille !

— Oui, ajouta Zuriñe, et sans parler de tous les petits secrets scientifiques que le vioc’ aurait emmener dans sa tombe !

— Que me voulez-vous a la fin ? Tout ceci est inepte ! Pressez la détente ou sortez de cette chambre ! Vous n’avez aucune idée de qui je suis ! Ça, je peux vous le jurer !

— Ahmya ! Nous n’avons pas le temps pour ça ! Poussa Zuriñe qui s’impatientait de plus en plus.

— Je pense que l’on peut bien lui donner une petite explication, non ? Lui rétorqua-t-elle. Et puis tout extra à négocier vaudra bien son pesant de crédits avec nos clients. Alors, Zuriñe, un petit effort s’il te plaît ! Monsieur semble confus !

— De vieux amis à vous ont sollicité nos services afin que vous les aidiez eux. Avec ou sans votre consentement. Bien que l’un serait plus agréable pour vous que l’autre. Alors enfilez le foutu costume de dandy pervers que vous êtes et finissons en !

La chasseuse de prime armée désigna encore une fois le costume d’un signe de tête plutôt insistant. Mithra ne cilla pas, pénétrant Zuriñe du regard comme s’il disséquait un cadavre. L’esprit guerrier du médecin enregistra le moindre signal émis par le corps de la femme : traits du visage, position du corps, tension musculaire, façon de tenir ses armes. Les deux bounty hunters ne devaient pas en être à leur premier coup, elles respiraient le professionnalisme.

Pourtant en assemblant les pièces du puzzle qu’était cette rencontre, plusieurs éléments semblaient hors de contexte. Son esprit analytique tiquait sur un je-ne-sais-quoi d’improbable. Jusqu’à ce que deux noms en forme de point d’interrogation ne se manifestent : Tania Harding et Alaura Luxeed. Le timing de tous les éléments était troublant.

— Sans vouloir vous manquer de respect, persifla une Zuriñe qui ne tenait plus en place. Vous devriez être cané depuis plusieurs décennies ! Tous vos parents et nombres de vos descendants se sont éteints dans l’honneur, alors que vous, vous êtes debout devant nous et plus frais qu’eux, cette situation est absurde ! Un paradoxe temporel et juridique qui est une épine dans le pied de nos clients. Et il s’avère que la paie pour remettre les choses en place est plutôt généreuse !

— Vos clients sont morts ! Vous êtes mortes !

— Nous ne sommes que les humbles transporteurs ! Cette agressivité est futile… et presque décevante, venant de vous.

— Mouais, ricana Zuriñe ! Apparemment vous êtes décevant monsieur Mithra, et je ne parle pas qu’au niveau cul ! Le grand Docteur et ses améliorations biologiques. Tu parles, c’est une bite molle à tous les niveaux !

Ahmya s’en étouffa presque avec son verre de kir. Il lui fallut tout son professionnalisme pour se reprendre.

— C’est effectivement un problème ! Que je qualifierai de : retour sur investissement ! Certaines personnes avaient beaucoup investi en vous, de même que La Fondation, La Société des Sciences de Persei ainsi que le cabinet de Laylani Addison. Pour ne citer qu’eux. Que cela soit bien clair. Quoi qu’il arrive nous allons récupérer ce que nous sommes venues chercher. Le lègue de plusieurs générations ne saurait reposer sur les épaules d’un paria. Néanmoins cela peut se faire en douceur, ou non. Personnellement je ne rechigne jamais une pointe de sadisme, c’est mon péché mignon !

— Zuriñe et moi sommes plutôt créatives. Pour la dernière fois, habillez-vous et veuillez nous suivre, monsieur.

C’est alors qu’une troisième femme entra dans la pièce, avec un visage étonnamment familier. Ou plutôt, ce fut la silhouette familière d’un femme n’ayant pas de visage : Tania Harding.

Soudain, tout se passa très vite. La femme au faciès d’ivoire lui sembla perdre toute apparence humaine. Aux yeux de Mithra elle n’était plus qu’une ombre ricanant lovée dans une armure Artimex. Une céphalée en raz de marée le propulsa dans un nouveau monde de douleur. Tout ne fut plus que souffrance, trahisons et volutes de fumées. Tania la vestale de l’incorruptibilité et du mystère avait muté en un vautour de mort. A ses côtés, une déesse drapée dans un voile noir s’avança vers lui. Il y eut un arc lumineux bleu puis la sensation d’un éclair brûlant son corps.


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