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Versets : 1, 2, 3, 4, 5
Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes. Mais celui qui contrôle les Sphères d’Ibrahim devient le maître de leurs destins.
Dr Nikolaï A. Mithra, Codex Medicae, 2952, Prieuré du Moratorium
Verset 1 – Le Chant du Cygne
Izel Gabriella Malapert était libre. Et madame Malapert avait choisi les services du Black Swan Touring Club pour le revendiquer. Pourquoi ? Car il y avait ceux qui se rendaient du point A au point B, ceux qui voyageaient avec style, et ceux qui utilisaient le Black Swan. Y avoir accès n’était pas un service, mais une manifestation de réussite.
Quelque part sur le trajet non linéaire entre Area18 et New Babbage, l’équipage de l’Origin 600i Executive Edition Black Swan faisait vivre à sa clientèle l’expérience promise.
Extatique, le corps d’Izel vibrait à l’unisson de la musique. Sa chair en transe ondulait sur les pulsations du beat comme les chamans des temps anciens. La ferveur mystique en moins. Elle commençait à perdre tout contrôle d’elle-même et ce fut exactement le but recherché. S’oublier, lâcher prise, s’abandonner au moment en se laissant dominer par l’instant, pure passion, justesse du désir.
La Glow et la Thrust faisaient effet, décuplant toutes ses sensations dans un golden ticket pour un paradis artificiel. Le tempo changea et l’enchevêtrement de corps des danseurs suivit. Toutes les barrières que la société avait bâti à l’extérieur n’étaient soudain plus. Izel pouvait sentir ses sens fusionner entre eux dans un kaléidoscope de plaisirs interdits. Tous ces sons qui raisonnaient avaient le parfum divin des fruits exotiques, du champagne, des cookies et du cuir. Les différents spots, eux, portaient des messages cachés. Et toutes les humeurs se chevauchaient entre elles dans une fantastique orgie sensorielle. Du rire, elle passa aux pleurs puis de la peur à l’euphorie sans bornes.
Cette synesthésie lui offrait tout ce dont à quoi elle rêvait de gouter. Pendant que la réalité du monde disparaissait et que sa perception éclatait en un arc-en-ciel de tentations, les corps n’étaient pas en reste. La biologie aussi, demandait à assouvir ses explorations. La salive se mélangeait à la sueur, au sperme et à la cyprine.
A l’intérieur de ce maelström de frissons et d’énergies humaine, Madame Malapert était nue. Au propre comme au figuré. Car en entrant au Black Swan on abandonne tout, sauf son argent évidemment. Autour d’elle, d’autres nantis glissaient les uns sur les autres, toujours. Les uns dans les autres, souvent. Sous l’effet des drogues, de la musique et de l’abnégation des riches, Izel était rayonnante. A travers la marée humaine de corps se frottant les uns contre les autres, sa sexualité choisi celui qu’elle méritait et elle le lui fit comprendre.
Ici, et maintenant. Izel était puissante.
La femme l’attrapa par les cheveux au milieu de la foule et le força à se mettre à genou, la tête enfouie entre ses jambes. Elle sentit les coups de langue rouler sur son clitoris et l’effet s’ajouta à celui des drogues. Le slam du chemsex monta en elle, l’extase était à porté de main, juste sous la sienne qui s’agripait à une chevelure noisette.
Dominer était la nature de tous les prédateurs.
Une alchimie puissante affluait dans ses veines, irradiant son corps d’une jouissance sans entraves. Un cerveau reptilien réclamait sa quête d’un orgasme animal. Pas de pensées, pas de chaines, rien que la brutalité de l’instant. Le chemsex lui apporta cette pureté de la pulsion, l’extatique sans religion. Les fruits défendus étaient bénis et leurs goûts furent paradisiaque. Alors pourquoi s’en priver ?
Car le moment était venu pour la dominatrice de revendiquer ce qui était à elle. Izel le repoussa du pied, le forçant à se coucher totalement sur le sol puis l’enfourcha comme une Nox. Alors qu’elle le senti s’enfoncer en elle, ses yeux et sa gestuelle réclamèrent encore plus de virilité. La chair tapa contre la chair, comme un forgeron martelant une armure de peau. L’homme tenta de lui caresser le visage, elle, lui plaqua les mains avec violence. L’heure n’était pas à la romance, le parfum des fleurs rares se méritent, ils se cultivent. Eux, n’étaient que des morceaux de viandes sans âmes, ils n’avaient aucuns droits.
Mais vint le moment où l’effet des drogues se dissipèrent. Ce fut le début de la descente, la pente du Paradis vers l’Enfer. Coup de genou bio-chimique dans les dents. Izel leva les yeux sur la partouze qui s’étendait devant elle depuis un temps incalculable, et un mal-être lui broya aussitôt les entrailles. Quelque chose n’allait pas. Impossible de reprendre sa respiration après l’orgasme, un étau lui compressait les poumons.
Ses yeux rencontrèrent le visage d’une femme, elle lui sourit tendrement puis vomi un flot de sang, les yeux révulsées. Le corps chaud s’écroula inerte, un trou dans la poitrine. Encore à cheval sur sa Dragonfly humaine, les tétons gonflés de plaisir, tous les sens d’Izel furent surchargés par le chaos immédiat. Des décharges lasers fusèrent, et l’espace fut envahi par une cacophonie de sons discordants : le sifflement des balles, le bruit humide des impacts dans la chair. Puis vint l’odeur d’ozone des SMG à énergie, le goût du fer, les vapeurs de la viande grillée, et le parfum de la mort.
Izel était dans un abattoir.
Tout autour de la foule qui se réduisait, une meute d’armures noires vidaient leurs chargeurs. Une Morozov souleva d’une main une femme à coté d’elle, observa ses traits puis la rejeta dans l’enchevêtrement de membres inanimés. A sa suite quelqu’un l’acheva à coups de crosse.
La Morozov se dirigea à présent droit sur elle. Un requin avait flairé le sang de sa proie.
Izel était morte.
Cette brutalité, cela ne pouvait qu’être le modus operandi de Joe Hartwell Hallen, le Prophète de l’Ordre Noir. Alors que le bruit du carnage était partout, lui, intima un silence ultime. L’armure de presque de 2 mètres s’avança lentement, ses pas se détachant les uns après les autres dans un marécage d’hémoglobine et de tissus humains. Sa main trouva vite le chemin de la gorge d’Izel. Et elle su, qui était le véritable prédateur.
En vérité, Izel était une merde.
C’est que lui cria la menace d’une mort violente et imminente. Elle ne fut que la partie cosmétique d’un algorithme biologique dénué de sens. Izel était une marionnette, dont les fils étaient un fatras nerveux de sexualité, de volonté de puissance et de jouissance sans conséquences, une esclave prisonnière d’une cage forgée avec le sang des citoyens de l’UEE.
Soudain tout lui sembla futile, vide. Sa vie passa devant ses yeux et elle en eut une honte profonde. Hallen referma sa main, et elle se laissa partir sans résister. Izel avait compris, elle ne voulait plus vivre.
Verset 2 – Déchirures
Flash. Hallen n’est plus là, et le 600i est devenu plus gros. Une cathédrale d’or et d’alliages au milieu de l’espace. L’éclairage est éteint, le vaisseau est mort. Alors qu’est-ce qui vit ? Izel n’est jamais monté dans un tel vaisseau. C’est humain ? Flash. Sortie en EVA, des engins perdus dans un amas de débris. La guerre, jusqu’aux confins de l’univers. Des traces de combat partout. Rien ne fonctionne, tout tue. Un nom sur une coque blanche : Lune Aux Mille Visages. Au milieu du cimetière deux titans de l’espace s’offrent une étreinte violente. Craquements et déchirures. Fracas du métal contre le métal. L’appel du vide.
Flash. L’infirmerie d’une Carrack. Un homme chauve déblatère un discours qu’elle n’écoute pas. La Métanoïa. Le flou. Des cris, des alarmes. Moins d’une minute, c’est trop tard ! Se concentrer sur la chanson, ne pas écouter les voix. Surtout pas ! Des menaces, des armes qui claquent. Une femme cours dans un couloir, derrière elle toutes les portes se ferment. Des langues et des mots se mélangent. La réalité n’existe plus. Rijora ! Le sang coule, on étouffe. Un sas, la peur écrase tout. Mon dieu, mon dieu, mon dieu… L’airlock cède, le vide avale tout.
Verset 3 – Royal au Bar
Izel Gabriella Malapert reprit conscience avec un mal de crâne horrible. Tout l’agressa : la lueur cru d’un éclairage industriel, le bruit des machines en manœuvre, l’odeur âcre des produits chimiques… Ce réveil ressemblait fort à un appel urgent par mobiGlas. La sonnerie fut insistante mais au bout de plusieurs essais l’interlocuteur laissa tomber.
— Madame, vous ne pouvez pas rester ici ! C’est une zone technique interdite !
Une voix irritée accompagnait la silhouette d’un technicien affairé à débarder le 600i. L’homme en Mule manqua presque de rouler sur le corps quasi inerte d’Izel lors de sa manœuvre, et l’insulta au passage.
A cet instant la femme portait le regard désemparé d’une enfant perdue dans un Kel-To, ne sachant nullement comment elle était arrivée ici. Tous ses sens l’interrogèrent sur ce lieu, mais aucun souvenir ne se présenta. Alors son esprit tenta encore plus fort. Rien ne vint, ce fut comme tenter de se remémorer un rêve lointain. Il y eut tellement de questions dans sa tête, mais jamais aucune réponse satisfaisante. En somme, c’était un peu l’histoire de sa vie.
Suivant le flux et le reflux de la marée humaine, elle se laissa alors guider dans la colonne de passagers. Zombies des temps modernes. Son corps semblait hors de contrôle. Les mains tremblaient, une sueur froide coulait dans sa nuque, ses jambes titubaient tandis que sa bouche sifflotaient une satané mélodie jusqu’à la rame de métro. « Outsider Again I… » de Sindo Guerrero, mais pourquoi diable avait-elle cette chanson en tête ? Impossible de se la sortir du crâne.
Comme une volonté étrange guidait ses pas, elle s’orienta inconsciemment vers la station du Metroloop de New Babbage. Lorsqu’elle franchit le scan de sécurité du terminal, l’ordinateur l’identifia sans broncher comme Izel Gabriella Malapert, consultante en ICU chez BiotiCorp. Ce que confirmait également le badge qu’elle portait sur sa veste, tout autant que ses vêtements.
Un badge ? Un vêtement ? BiotiCorp ? Se questionna la femme. Izel n’avait aucun souvenir de cela. Ni même de son propre nom d’ailleurs. Il n’y avait que cette céphalée qui tambourinait dans sa tête, combinée à une peur animale.
Dans les tunnels du métro, une surface vitrée lui renvoya sa propre image à travers ses Sarrab. Elle l’étudia un moment avec attention, tout en luttant contre son mal de crâne. Ce fut celle d’une inconnue, étrangère dans son propre corps qui ne reconnaissait pas son reflet. L’instinct et l’angoisse semblaient être les seuls piliers de sa réalité.
Elle fut soudain saisit avec l’urgence d’une coquetterie toute féminin, et se sourit à elle-même sans savoir pourquoi. Elle disciplina ses longs cheveux blonds en une queue de cheval haute et stricte finissant sur des mèches d’un rose pastel. Puis examina avec narcissisme le physique encore avantageux de ses 42 ans et, se rendit très vite compte à quel point sa tenue se fondait dans le paysage. Ses formes féminines furent masquées sous un élégant complet-veston Marias blanc et or de chez Fiore lui donnant toute l’autorité nécessaire à son métier.
Elle consulta sa MobyGlass par reflexe, et vit le nom d’Eddie Parr dans les appels en attente. Flash. Elle fut submergé par un sentiment d’urgence, et des échos de souvenirs diffus illuminèrent ses neurones. La Résurgence. Une partie de sa mémoire lui revint, elle se mit à rire toute seule dans la rame comme une folle.
Finalement cela aurait pu être une journée ordinaire pour madame Malapert, songea-t-elle. Tout du moins si la vraie Izel n’était pas en ce moment précis au fond d’une benne à ordure quelque part à Area18 tandis qu’elle était là. Tant pis pour elle, le verse était un espace cruel et les holo publicitaires d’Eclipse Mutual l’avait répété assez souvent.
Comme quoi, toutes ces pubs ne racontaient pas toujours que des conneries, médita la femme avec un brin de sarcasme. Mais sa rêverie fut interrompue par l’accélération soudaine de la rame, et son attention fut parasité par un geyser de neige horizontal au dehors.
En parallèle des piliers du Metroloop, une minuscule Dragonfly semblait déterminée à faire la course avec la capsule jusqu’à la ville. La Drake glissa pendant un moment au même niveau, puis disparue comme un missile dans un nuage de poudre cristalline. Izel tenta de la poursuivre des yeux comme une enfant en lui enviant sa chevauchée polaire, mais ne vit plus que la forêt de bâtiments high-tech qui avala soudain la rame.
La quadra en costume fit un arrêt aux Commons, déambulant un instant dans les larges couloirs blancs, observant les manières des habitants de ce monde. Elle eut à nouveau un horrible mal de crâne et des reflexes venues de loin la pressa d’agir. Assise l’air de rien dans la foule, elle en enregistrait les moindres détails culturels : habits, expressions, façon de marcher. Tous les détails avaient leur importance et tandis qu’elle digérait ces informations, une voix dans sa tête formula une étrange critique :
Des moutons blancs, dans des habits typiques de cols blancs, camés à la poudre blanche, saignés à blanc sur une planète blanche. Ah bordel ! Même les ordures sur Grim Hex puaient moins la merde.
Venant d’on ne sait où, une large vague de déprime la prit aux tripes. De la confiance en elle qu’elle venait tout juste de regagner, la femme passa immédiatement dans un état de dépression profond. Devant la monotonie stérile de ce lieu, l’énergie libre, foisonnante et vibrante d’un lointain chez-soi sur Levski lui sembla soudain presque irréelle. Dans sa tête en vrac, des fragments de vie comme des morceaux de puzzle se superposèrent dans un ordre qui n’avait aucun sens. La femme en habits d’Izel ne contrôlait plus rien.
Elle en eut la nausée et un vertige violent, jusqu’à devoir s’assoir un instant sur le sol aseptisé des Commons. Des réminiscences chaotiques papillonnaient dans les cellules d’engramme de son cerveau : une enfant insolente valsait avec une adulte désabusée, elle-même effacée par la charge d’une valkyrie en armure de guerre. Il y avait tellement de femmes, toutes semblables mais toutes différentes s’emboitant comme des matriochkas dans un mille-feuille d’émotions contradictoires. Elle eut l’impression que sa tête était le Klesher de plusieurs personnalités, toutes criants en même temps pour s’évader. Cela laissa la femme mentalement exténuée.
Pourtant, le nom d’Eddie Parr domina soudain ses souvenirs, et une quelconque mission à accomplir : La Résurgence.
Oui. Aujourd’hui, elle avait une mission à accomplir, ça lui revenait lentement, et cela risquerait de ne pas être une partie de plaisir. Mentir et voler était une seconde nature, mais comme dans tout sport, la pratique était la clef. Il fallait se remettre à l’entrainement. Le maelström de souvenirs se tassa et l’instinct retourna au manette.
Premier exercice. Miss Personne se leva et entra chez Garcia’s Green avec l’attitude la plus newbabbienne possible. L’air hautaine, détachée avec un faciès passablement blasé, elle survola le comptoir d’une main experte, frôla deux badauds en complet Waldron, laissa son visage austère trainer devant les yeux du vendeur, puis alla voir ailleurs si elle y était.
Résultat des comptes : des citoyens aussi neurasthéniques que leur système de surveillance. Butin : un smoothie Weekend Warrior à l’œil, deux cryptokey, un étrange golden ticket, un sachet de Neon et vingt-mille crédits impériaux volés grâce à l’application de sa MobyGlass pirate.
Miss Malapert poussa ensuite le vice jusqu’à Wally’s. L’air de rien, la femme écuma en mode cruise control un nouveau comptoir. Domaine dans lequel elle semblait avoir beaucoup plus d’expérience. Elle commanda un B3 qu’elle ne but pas, demanda des nouvelles d’un certain Eliott, et troqua un petit datapad contre un Ripper comme une véritable joueuse de Poker. Mais lorsqu’elle voulut récupérer ses gains, une main ferme retenait encore l’objet.
— C’est vous Izel ?
Plusieurs voix se bousculèrent dans la tête d’Izel. L’une d’elle passa par-dessus la digue tout en éclipsant la première.
— P’être bien, lui répondit la femme sans aucune formule de politesse. Aujourd’hui je suis Izel Malapert, hier Elisa Perkins, demain Jeda Cavendash et parfois l’ex de Kyle Valentino. Qui sait… je suis p’être ta mère en fait.
— Je vois, lâcha-t-il avec un cynisme décontracté. Vous ne manquerez donc à personne si vous foirez.
— C’est ça ouais. Je suis Miss Personne. Tu peux m’oublier, du moment que tu n’oublies pas de payer mon boss.
Le barman du Wally’s jugea un instant la consultante de BiotiCorp avec de profonds soupçons. Son phrasé lui parût étonnamment puérile au vue de l’aura stricte qu’elle dégageait. Il mobilisa ses sens pour enregistrer mentalement le visage de la femme, puis se souvint que : d’une, il n’était pas assez payé pour ce genre de conneries. Que de deux, il était aussi peu barman qu’elle devait être de chez BiotiCorp.
Izel quant à elle, jeta un œil rapide mais attentif à la cryptokey, et l’expression sur son visage changea du tout au tout. Le masque de chair qu’elle portait, passa soudain de la nonchalance à la placidité d’une tueuse professionnelle. Elle attrapa la main du serveur comme l’aurait fait sa petite amie, mais y enfonça discrètement ses ongles. Eddie Parr eut un gémissement de douleur.
— Un Ripper maison, chuchota la femme en serrant les dents. Tu te fous de ma gueule, j’espère ? Ce truc n’est bon qu’à hacker les consoles de Kareah, et encore… Tu veux me faire buter ?
— Ce matos est efficace, rapide et intraçable. Je te transfert l’emplacement de ce que tu cherches, comme prévu. Pour le reste ce n’est pas mon problème. Dégage !
L’homme fit glisser la clé de piratage en sa direction, se massa vigoureusement la main, puis disparut de l’autre côté du bar.
Si le matériel de ce crétin d’Eddie Parr était correct, ce soir tout allait changer.
Verset 4 – L’impasse New Babbienne
Izel poussa les portes du Brentworth Care Center de New Babbage avec l’assurance d’un sourire faux, d’une identité fausse mais d’une vraie mission. Passé un filtrage de sécurité, elle ajusta sa tenue de business-women, et un regard beaucoup plus dure effaça celui d’un alias d’emprunt cousu sur mesure. La galaxie n’était qu’un vaste théâtre et Izel était né avec un don pour l’improvisation. Tant pis pour ceux qui n’avaient ni talent, ni suffisamment répété. Chacun ses enmerdes, ils pouvaient bien tous crever la gueule ouverte.
Soudain un autre fragment lui revint encore en mémoire, et ce fut comme si l’une des prisonnières dans sa têtes lui murmurait à l’oreille :
Pas si facile d’être discrète hein ? Surtout lorsque l’on est activement recherché sur plusieurs mondes pour vol, extorsion, refus d’obtempérer, détention de marchandises illégales et destruction de biens publics. Dans la majeure partie des cas, un bon coup d’icePick et une certaine immunité diplomatique fait le café. Mais pas toujours ! Alors n’oublie pas à quel point cela peut nous irriter au plus haut point ! Et puis, l’orange de Klescher ne nous met vraiment pas en valeur ! Alors cette fois, évite de te chier dessus !
Une nouvelle céphalée lui enflamma le crane, et elle failli presque perdre connaissance sous la douleur. Il lui fallut bien tout son self contrôle pour ne pas fondre en larme.
Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche, personne dans les couloirs. Madame Personne n’en pouvait plus. Elle profita de l’instant pour ajouter une pincée de Neon à son smoothie afin de se donner du courage. De toute façon il était bien meilleur comme ça. En le laissant couler dans sa gorge, elle eut cette adrénaline artificielle et une douce euphorie qui vint cajoler son système nerveux.
Dans le vestiaire tout était là, comme prévu. Pour une fois ! Elle changea la veste de son costume Marias contre la blouse austère d’infirmière, s’équipa avec le matériel puis prit l’ascenseur jusqu’au dernier étage. A peine dans le couloir, un groupe de medrunner des Dragons Rouges passa en courant dans sa direction. Elle fit semblant d’admirer la vue lorsque qu’elle surprit une femme trottinant péniblement derrière l’équipe avec un drone-caméra. Elle était en pleine conversation.
Des regards se croisèrent dans une animosité de femmes en concurrence. Izel reconnue malgré elle le faciès de la star de Spectrum entre mille. Une pimbêche persifla dans l’hémisphère gauche d’Izel. Pétasse de Nito-Ottori ! Toujours à laisser trainer ses cameras là où il ne faut pas ! Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
En dressant discrètement l’oreille, l’espionne pu capter des bribes du dialogue de la journaliste.
— …évidemment que j’ai entendu parler de cette explosion sur Daymar, et alors ? C’est ça votre tuyau ? Des pirates qui se massacrent entre eux ? Mais tout le monde s’enfout !
Il y eut une voix lointaine et étouffée en réponse, puis la réplique de Nicole.
— L’Ordre quoi ? Connais pas ! Je ne vais pas risquer mon image là-dessus ! Écoutez je n’ai pas le temps pour ces bêtises, mon stream démarre bientôt…
La voix se fit plus insistante, et Nicole râla devant sa mobiGlas
— Oui, oui c’est entendu… d’ici là trouvez-moi un sujet vraiment intéressant. Je ne sais pas moi un drama entre des mercenaires, le dernier coup du Baron Of Moork, l’inflation du prix des vaisseaux Crusader, un scoop sur Terada… et arrêtez de me parler de ces sectes ! C’est clair ? Ça c’est juste bon pour les fouinards du Wormhole Tribune !
L’investigatrice sauta l’ascenseur pour disparaitre derrière les portes automatiques.
Patience. A nouveau seule. Tout était calme. La fausse Izel jeta un œil rapide à sa MobyGlass. La balise était toujours active et immobile. Merci Eddie ! Elle inspira un grand coup tout en fredonnant du Sindo Guerrero. Putain de mélodie psyché ! Elle fit sauter le verrouillage de sécurité en un instant. Le chrono était lancé pour l’Opération Résurgence.
La femme se glissa dans la pièce comme un félin et se mit aussitôt au travail sur la console centrale de l’ICU. Un coup de Ripper, une gorgée de smoothie boosté au Neon et le tour était joué : l’infirmière Izel avait accès à l’interface de BiotiCorp. Bioscan, archives, ECG, TRE, IVS… elle copia tout ce qu’elle pu vers sa MobyGlass.
— Allez, où sont les données de ta Sphère d’Ibrahim, Eliott ! J’ai besoin de savoir !
A peine avait-elle effleurée la surface du dossier médical que le Ripper rendu l’âme, et sa tentative de hack avec. Classique. A cet instant la cadre savait très bien ce que cela signifiait : un Caterpillar d’enmerdes était en route. Je te l’avais bien dit, railla une voix.
Le système entier se mit à générer une multitudes d’erreurs de diagnostic, tous les voyants passèrent au rouge. Les chiffres étaient devenus totalement incohérent, et dans une panique quantique l’ordinateur médical lança la procédure de régénération d’urgence du patient. L’ensemble de la machine s’était mise en branle.
Le temps que la femme puisse faire disparaitre les preuves, un homme nu était couché sur le lit entrain de reprendre conscience. Il fut pris de spasmes et commença à convulser en transpirant à grosses gouttes. Les yeux exorbités, les mains chassant des mouches imaginaires, le patient lui hurla une phrase dans une langue qu’elle ne comprit pas. En réaction immédiate la pseudo infirmière fit la seule chose au monde pour laquelle elle était doué : improviser. Elle lui injecta une solution complète de Roxaphen en pleine poitrine, et l’homme s’affala à moitié inerte sur le lit. La crise semblait passée.
Cela aurait pu être une journée ordinaire, oui. Mais certainement pas dans la vie d’Izel Malapert.
La femme inspira à fond, ferma les yeux pour se concentrer, et une autre prisonnière émergea du puit de la psyché d’Izel. La magie de la schizophrénie opéra en un instant :
— Houla ! Du calme, commença la quadragénaire d’une voix de miel ! Voilà ! Tout va bien, doucement ! Vous venez de récupérer d’un grave traumatisme !
L’homme posa en retour un regard hébété sur son uniforme, puis vers la grande baie vitrée. Il luttait pour s’habituer la lueur blafarde du jour nimbant la pièce.
— Quoi ? Fit-il. Oh ma tête ! Je suis où là ? Vous êtes qui vous ?
A cette question, l’une des personnalités d’Izel voulut exploser de rire, mais il n’en fut rien.
— Je suis l’infirmière Izel. Vous êtes au centre de régénération du Brentworth Care Center sur MicroTech !
— Je… je ne comprends pas ! Je ne devrais pas être ici.
Toujours aussi confus, Eliott le Rescapé se traina péniblement jusqu’à la fenêtre en protégeant ses yeux du soleil avec sa main. Dans un silence religieux, il observa incrédule le paysage qui s’offrait à lui.
Oh oui, mon grand ! Tu es en train de te demander pourquoi tu es ici plutôt que dans un moratorium de l’Ordre Noir. Nous sommes deux ! Parfois, la mort ne veut pas de nous.
Miss Personne le détailla de la tête aux pieds et d’après ses critères personnels, il était plutôt bel homme. Filiforme et svelte comme elle les aimait, loin des pirates toxicomanes de Spider ou des croisés sous stéroïdes de l’Ordre Noir. A vue d’œil il devait être dans le début de la trentaine, avec de beaux cheveux bruns coupés a la brosse et rasés sur les côtés, des bras musclés sans êtres excessifs. Peut-être la Neon lui jouait-elle des tours, car la vue de cet homme nu provoqua en elle une grande euphorie à la limite de l’excitation sexuelle.
Lui, ne détacha son attention de la vitre que pour chercher furtivement des yeux une chevalière onyx qui l’attendait déjà sur une table. La bague semblait être taillée d’une seule pièce dans de la pierre de lave, et le symbole du vegvìsir y était gravé. L’homme la passa à l’annulaire de la main gauche puis questionna Izel du regard.
Les aspirations de l’une des femmes de la cohorte venaient de prendre une douche froide.
— Bien entendu, murmura l’espionne pour elle-même sans comprendre ses propres mots.
L’infirmière observa le vegvísir du coin de l’œil, puis s’assit sur le lit à la place du patient. La pseudo soignante entama dès lors son explication en omettant le plus de détails possibles. Les mots qui furent propulsés par sa bouche avaient la saveur fade d’un texte appris par cœur.
— Eh bien pour faire simple, ce qui serait le mieux dans votre état. Vous êtes mort. Une équipe de medrunners a récupéré votre corps au bout milieu d’un champs de débris en orbite, il semble y avoir eut une importante bataille et… pour le moment cela suffira ! Chaque chose en son temps. Quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez ? C’est important.
L’infirmière laissa volontairement planer la question avec une impatience contenue, tandis que le rescapé la dévisagea en retour avec des yeux torves. Peut-être n’était-elle pas la seule à jouer à un jeu de dupes.
— Je… je suis, tenta d’articuler le patient. Je ne m’en souviens plus ! C’est impossible !
Izel reprit une longue rasade de smoothie à l’ecstasy pour se calmer les nerfs. Une partie d’elle avait l’envie urgente de frapper ce type jusqu’à en obtenir une réponse, tandis que l’autre lançait un appel au coït. Elle lutta contre elle-même et modula sa voix comme l’on parle à un enfant, mais non sans une pointe d’agacement.
— humm, comme je viens de vous l’expliquer vous venez de récupérer d’une régénération un peu compliquée. Ce n’est rien ménagez-vous ! Laissez-moi consulter votre dossier. Selon les données récupérées sur votre mobiGlas vous vous nommez monsieur…
Sa MobyGlass afficha soudain un appel entrant prioritaire et voyant le correspondant, la femme fut totalement désarçonnée. Un nouveau nom sortait tout à coup de la nuit : Nesta Linov. Et avec lui, un mal-être profond lui écrasa la poitrine.
—Et je… heu… un instant je vous prie, fit Izel au bord de l’apoplexie. Un appel du médecin chef, je dois répondre… c’est urgent.
Ele jeta un regard bienveillant mais factice par-dessus son épaule en direction du patient. L’homme lui rendit le même sourire fabriqué.
— Oui ? Ici l’infirmière Izel, docteur. Je suis sur site, bredouilla la femme en sortant dans le couloir.
Elle s’assura que la porte était bien verrouillée dernière elle, chercha un coin au calme à l’étage, puis laissa totalement tomber la douce voix d’Izel. Une nouvelle valse s’opéra dans son lobe frontal, et le timbre taquin et nerveux d’une espionne endurcie revint à la vitesse d’un Razor.
— Je ne sais pas si la communication est sécurisée, s’inquiéta-t-elle. Peut-être pas pour longtemps, j’ai pu m’infiltrer à l’aide de votre équipement. Le rescapé vient de terminer son processus de régénération ! Il semble totalement amnésique et toutes ses constantes sont absolument incohérentes. L’extraction de la clef est peut-être compromise. Je n’ai rien pu tirer de lui pour le moment.
Une composition froide et professionnelle comme un scalpel lui répondit sans tarder. Ses accents étaient mature et autoritaire, avec une condescendance à peine masquée. En arrière plan de l’homme, on pouvait distinguer de l’équipement de laboratoire.
— Et est-ce mon problème, lui coupa presque Nesta Linov. Nous avions un arrangement. Vous savez que l’Ordre Noir est déjà sur le coup. Votre prochaine séance avec le Dr Mithra se rapproche à grands pas. Vous savez très bien ce qui vous attend.
A ce nom, plusieurs prisonnières mentales hurlèrent au meurtre comme des folles, déchainant l’ire d’une meute de louves. La forteresse mentale commençait à se déconstruire. Et au-delà du simple instinct de rétribution, une porte s’ouvrit avec un nom comme une clef. Nesta Linov, puis le Dr Mithra et également Joe Hallen… Le trousseau de la gardienne de prison s’étoffait au fur et à mesure. Mais au milieu de cette tentative d’évasion psychique une femme, une valkyrie, fulminait plus fort que les autres. Son nom était Kaitlyn Wright, et elle, jura d’avoir déjà gravé chacun de ces noms sur une balle.
L’esprit de Wright avait cherché le sommeil au fond de sa cellule d’engramme, il s’était dissimulé dans le cachot d’une ses personnalités multiples. Mais maintenant le sceau était brisé.
Son cerveau pensa : à mort ces fils de pute. Mais ses lèvres articulèrent pourtant :
— Le vieux chauve me tient comme une chienne au bout d’une laisse ! J’ai déjà suffisamment joué avec le feu, je ne pourrais pas plus m’engager sans me compromettre. Si Mithra ou quelqu’un de l’Inquisitorum se doute de quelque chose, je suis bonne pour un rituel de Voynich.
Le savant balaya tous ses arguments d’un revers de main.
— Peu m’importe miss Wright, usez de vos talents sans attendre. Il est hors de question que l’Ordre Noir remonte jusqu’à moi. Si je ne peux plus me fier à vous, je vais jouer mon Joker avec l’autre équipe et ainsi nous nous passerons de vos services.
— Chopra, il est déjà de retour sur Pyro ? Non, c’est encore trop tôt.
— Soyons réaliste. L’extraction est-elle compromise ?
— Ne faites rien c’est encore trop tôt ! J’ai besoin d’un peu de temps !
— Si le rescapé de la Carrack tombe entre les mains de Hallen ou de ses culs-bénis, vous aurez l’éternité pour repenser à vos erreurs ! La mort sera une douce délivrance qu’il ne vous accorderons pas ! Repliez-vous, la Résurgence est un échec et je ne saurai tolérer la perte de mes investissements. Les nettoyeurs seront bientôt en chemin.
L’homme se mit à pianoter frénétiquement sur un terminal hors du champ de la caméra.
— Bordel Linov, non ! Linov ! Fais chier, ragea la femme dans le couloir.
Un deuxième flux vidéo s’activa en encart de la conversation, avec le portait d’une personne tierce à l’air grave. Bien que son visage fut partiellement caché dans les ombres, sa voix féminine ne fut pas inconnue à Kaitlyn Wright. Dès qu’elle prit la parole le système força automatiquement la conversation.
— Ah ! Madame Pacheco, salua Nesta ! Pile à l’heure ! Mes hommages à l’Otoni Syndicate !
Consternée, Kaitlyn leva les yeux au ciel.
— Ah putain Linov vous n’êtes pas sérieux ?
— Tiens, miss Wright ! Cela fait un moment, s’enquit Tecia Pacheco ! Pourquoi n’êtes vous pas venue nous voir sur Area 18 ? Nous avons toujours du travail pour une pro comme vous.
— Mouais ! Salut Twitch ! Ça roule ? Euh alors en fait…
La femme badinait visiblement tout en évitant le plus possible de répondre à la question.
— Parce que madame Wright était un peu occupé ces derniers temps, coupa rapidement le professeur. Avec moi, mais aussi à vous dénicher un petit cadeau diplomatique. En l’échange d’un… maigre service, cela va sans dire !
— J’écoute.
Les yeux bleus intenses de Tecia passaient d’un interlocuteur à l’autre. En arrière plan quelqu’un sembla lui poser une question qu’elle ignora d’une main levée.
— Vous comme moi connaissons les talents de madame ici présente pour trouver des… choses, qui ne veulent pas êtres trouvées !
— Des choses, hein ?
— Oui, comme par exemple la planque… oh pas si secrète d’un certain. Eddie Parr !
— J’en suis. Allez droit au but professeur Linov.
— Vous éliminez mon problème et en échange j’élimine le votre. N’est-ce pas là un accord entre honnêtes citoyens de l’Empire ? La troupe d’un gang fanatique décérébré, dont un vieil ennemi à moi est membre, gène considérablement mes recherches. Ici à New Babbage. Et comme le hasard fait bien les choses, il apparaît que monsieur Parr se trouve non loin d’ici également. Pourquoi se compliquer la vie ? Nous sommes ici entre gens d’honneur, je vous envoie donc les coordonnées des deux balises immédiatement.
Nesta Linov marqua une courte pause, comme plongé dans ses pensées. Puis reprit avec des mots choisis avec soin.
— Et puis… si sur le passage vous trouviez par hasard l’un ou l’autre dépôt de monsieur Klim… je serai tout à fait heureux de vous racheter certaines fournitures médicales au meilleur prix !
La femme aux yeux bleus eut un large rire de joie.
— Je vais faire le nécessaire professeur, termina la fixer avec un sourire dans la voix, mais pas sur le visage. C’est un plaisir de faire affaire avec vous. Pacheco terminé.
La femme envoya en baiser par la main en direction de Wright puis coupa la communication. Le flux vidéo prit fin, laissant une Kaitlyn Wright toujours dans l’embarra.
— Ma parole vous êtes un gros con vous ! Nous avions dit, en toute discrétion ! L’Otoni Syndicate, Eddie Parr, Wallace Klim… vous essayez de déclencher une guerre des gangs dans tout Stanton ? Vous allez tous nous faire buter.
A ces mots, Nesta Linov eut un soupir consterné. L’homme disparu un instant de la vidéo puis réapparut assis derrière un bureau grand standing. Derrière lui, une large baie vitrée s’ouvrait sur un paysage urbain nocturne, parsemé de gratte-ciels, d’holos publicitaires et de véhicules en mouvement.
— Allons bon, reprit Nesta tout en se servant un large verre de jus de Pitambu. XenoThreat, Nine Tails, Fire Rats, Otoni Syndicate ou Ordre Noir… ce sont bien tous les mêmes agitateurs. Même si je dois reconnaître que je ne peux pas leur donner tord. Alors je pouvais bien rendre service à une ou deux relations n’est-ce pas ? Et puis compter uniquement sur vous… par pitié ! Wright ! Notre relation commune et moi-même préférons couvrir nos traces. Je ne peux que vous conseiller de ne pas trop tarder ici, d’ailleurs !
— Non, non, non ! Cette mission n’est pas terminé ! Il y a encore tellement de zones d’ombre.
— Dois-je vous rappeler les termes de notre contrat ? Vous deviez me fournir l’unique rescapé connu de la Carrack ainsi que la data des serveurs de La Metanoïa. En échange de quoi, je vous libère des chaines de Mithra en synthétisant un antidote de son innoculum. Pour le moment vous ne m’apportez que des mains vides, et une attention indésirable !
Nesta but son verre de Lula’s à grandes gorgées tout en fixant la caméra avec un air de défi.
— Ouais… cause toujours ! J’ai besoin de l’antidote au sérum de Mithra et de la formule qui va avec. Ce que vous allez me fournir, n’est-ce pas ?
Demanda Wright en laissant volontairement trainer le dernier mot de la phrase.
— Évidemment. Vous m’insultez, je suis un homme respectable ! Je ferai honneur à mes engagements, si toutefois vous remplissez toujours votre part de l’arrangement. Quand à vos préoccupations personnelles, vos souvenirs manquants, ou je ne sais de quel syndrome post-traumatique vous êtes victime. Cela ne m’intéresse pas. Vous avez un très cher Docteur pour vous occuper de cela, non ?
Le savant eut un rire grinçant tandis que Wright fulminait devant sa montre. La rage envers l’attitude de son employeur s’ajouta à la haine de cet homme qui en savait déjà beaucoup trop sur son passé. Elle se savait prise entre le marteau et l’enclume, dans une impasse mexicaine où la place du bourreau ne cessait de changer.
— Vous, ET MOI, avons besoin d’avoir accès à la base de données de l’Anvil, dont Senter est le navigateur. Pourtant vous savez très bien que seule trois personnes en connaissent les codes d’accès admin : Nikolaï Mithra lui-même, le navigateur Eliott Senter et le hacker Zathrian Kawaakari. Alerte flash info Linov ! Mithra veut ma mort, me réduire en esclavage, ou pire… Zathrian est mort ou porté disparu depuis des années et ce putain de pilote est là ! JUSTE DEVANT MOI !
L’homme, les mains dans le dos, se mit à faire les cent pas derrière son bureau. Sa nervosité était évidente, et ironiquement, cela calma un peu Wright.
— Mais c’est trop tard Wright, lui répliqua-t-il le dos à son interlocutrice. Vous avez une révolution de retard ! Il se trouve que mes… collaborateurs sont bien moins patients que l’homme de science que je suis. Aussi, je me vois obliger d’envoyer une équipe sur site ! Nous ne laisserons pas Le Rescapé entre les mains de l’Ordre Noir ! Priez simplement pour que mon équipe arrive avant la Croisade Noire.
Nesta Linov prononça ses mots comme s’il parlait des résultats des sports, puis reprit une gorgée de jus de Pitambu.
A les entendre en revanche, Wright s’étouffa presque d’indignation. Elle du user de toute sa contenance pour ne pas hurler dans les couloirs du Brentworth Care Center. Si Linov avait été en face d’elle en ce moment, elle lui aurait fait bouffer sa blouse de scientifique.
— Allons, ne m’en voulez pas miss Wright pour cette histoire avec Tecia, et puis mon établissement exprime le besoin de refaire ses stocks. L’occasion était trop belle, c’est du gagnant-gagnant !
— Ouais, sauf pour moi que me suis faite entubée ! Comme d’habitude !
—Je prends simplement des garanties quant à votre allégeance à géométrie variable, Wright. Vous avez un passif après tout.
— Pour un psychiatre vous n’y connaissez foutrement rien à la psychologie de gens et encore moins des femmes !
— Dit la femme qui s’est allié avec des groupes terroristes, les a presque tous trahis et se plaint de ne pas pouvoir leur faire confiance à nouveau ! Vous êtes un cas d’école, Wright !
Sur un ton assassin les lèvres de Linov dessinèrent un léger rictus sadique. Son sourire n’avait absolument rien de chaleureux. Mais Wright en avait vu d’autres. Lorsque que l’on a côtoyé Joe Hartwell Hallen, le Prophète de l’Ordre Noir, on gagne une certaine décontraction face aux insultes et aux constantes menaces de mort.
— Écoutez putain de gros maso’ mon alliance n’a pas variée. Elle va au peuple de l’humanité, le vrai, celui qui est encore aujourd’hui écrasé par les restes de l’Empire Messer et tous ses dinosaures avides. Ce que nous avions bâti jadis ensemble… avec Hallen, Freeen, Kira, Zath, et… Kross c’était autre chose. Nous étions des révolutionnaires avec un but précis. Nous faisons des choses dégueulasses, oui, mais c’était pour que d’autres n’aient pas à le faire. C’était juste. La COP, était juste. Nous étions libre !
Maintenant tout est perverti ! Ce taré de Hallen à brûlé le Codex, MON Codex ! Ils massacrent des civils comme des militaires sans aucuns discernement au profit d’une guerre sainte. Je ne sais pas ce que leur a fait Joe et son malade mental de médecin, le Dr Mithra. Mais il faut que ça cesse. Je suis fatiguée. Je veux, retrouver ma famille. La seule que je n’ai jamais eu. Peu importe les moyens.
Alors faites votre boulot Linov et moi le mien. Chacun aura ce qu’il veut dans le meilleur des mondes et je n’aurais plus à côtoyer votre face de rat de laboratoire. Par contre si cette O.P foire, alors là ! Vous serez seul ! Je peux vous jurer que rien dans cette galaxie ne pourra égaler la douleur de votre regret face à l’Ordre Noir !
— Vous êtes un sujet de toute beauté miss Wright. Je commence à saisir l’intérêt que vous porte le Dr Mithra !
Wright eut un haut-le-cœur et du bien utiliser toute sa contenance pour ne pas rendre son Weekend Warrior. Il y eut un long silence et quelque part au loin on entendit rugir les turbines d’un Cutlass Red.
— Mouais, désolé si je ne vous réponds pas, reprit la fausse infirmière. Mais j’ai cru vomir dans ma blouse après votre heuuu… bordel c’était vraiment un compliment ? Sérieux, faut vraiment vous faire soigner !
— Allons, ne me dites pas que vous n’avez rien remarqué !
— Putain, de quoi est-ce vous parlez Linov ?
— Du projet Matriarche du Docteur, bien évidemment ! Et de son intérêt très particulier pour vous !
— Ok, alors là, il va falloir développer ! J’suis pas vraiment une habituée de la section people de Spectrum.
— Les rendez-vous que vous avez avec lui tous les mois depuis… quoi… 9 mois ? Les prélèvements, les tests, les examens… allons allons, vous ne reliez pas les points Wright ? Quelle est l’obsession du docteur ? Que vous crie votre intuition féminine ?
— Si c’est la question, je ne suis pas enceinte espèce de gros pervers ! Parce que maintenant vous faites psy et gynéco ? En tout cas à force de vous entourer d’autant de trous du cul vous allez certainement finir proctologue. Hein… professeur !
— Ah ! Quelle défiance ! La fougue tempétueuse de la jeunesse ! C’est admirable ! Cependant vous savez bien que les techniques de Nikolaï sont plus subtiles et… tortueuses ! Bien ! Cette conversation n’a que trop durée, je ne veux pas que nos petits secrets finissent dans les serveurs d’un Herald ! Tentez le tout pour le tout ou fuyez d’ici, mais n’évoquez plus jamais mon nom en public et ne me recontactez que pour une bonne raison via un canal crypté ! Un Apollo Medivac décolle du pad numéro 3 dans 15 minutes. Si vous ou Eliott Senter ne sont pas à bord, j’irai reconsidérer nos arrangements.
— Linov ! Espèce de sombre connard !
Le Comm-Link de sa mobiGlas se ferma aussi sec. Elle prit une grande inspiration frustrée, ajusta sa tenue et puis retourna dans la pièce adjacente avec son classique sourire faux.
— Monsieur Senter, j’ai d’excellente nouvelle du docteur ! Nous allons pouvoir… non j’hallucine il s’est barré ! Pas ça, pas ça…
Izel balaya toute la pièce des yeux, aucun signe du patient. Tout allez bien, dans le meilleur des mondes !
— Bon, tant pis pour toi. Ca va devenir beaucoup moins confortable pour tes fesses. Plan B !
A ces mots, Kaitlyn retourna dans le couloir traquer sa cible. Avec son pistolet Judge Stun dans une main, un smoothie à l’ecstasy dans l’autre et la chanson d’une vieille star de flamenco psychédélique en tête.
Finalement, si, c’était une journée tout à fait ordinaire dans la vie de Kaitlyn Wright.
Verset 5 – C’est Grave Docteur ?
L’infirmière Izel Malapert eut tout le mal du monde à retrouver son patient en vadrouille. Comparé aux grands centres hospitaliers des capitales, ce bâtiment restait relativement modeste. Néanmoins 5 étages avec pléthores de chambres et d’accès, cela laissait encore un grand nombre de cachettes possibles.
En traquant sa cible dans les couloirs elle songea à tenter de se mettre dans la tête d’Eliott, mais ce fut peine perdu. Tout d’abord car la vraie Kaitlyn ne connaissait pas grand-chose de la vie de son confrère cultiste. Et ensuite, car l’ego de la voleuse de carrière se refusait à penser comme un rat. Ses courtes années à l’Ordre Noir l’avait vacciné contre leur mode de pensée dogmatique. Et en y réfléchissant, elle-même ignorait comment elle avait pu en réchapper face à Hallen.
Wright retrouva Senter dans la chambre 504. Ou tout du moins, c’est ce dont elle fut certaine en forçant la serrure de la porte. Il s’agissait de la seule chambre occupée à ce niveau du couloir et l’interface de l’administration n’indiquait aucune admission récente. Elle fit sauter la sécurité du mécanisme et brandi son Judge Stun en sautant dans la pièce.
Mais la femme se retrouva face à une autre infirmière, tête à l’envers, les cheveux pendant dans le vide. Sa blouse était totalement défaite, laissant apparaître une poitrine luisante de sueur et bougeant sur la cadence des coups de rein du médecin derrière elle. En voyant Izel l’autre femme eut un sursaut, entre la surprise et l’orgasme.
— Quoi, vous désirez également une promotion, lui lança le médecin avec une crête de punk.
Kaitlyn arma son Stun, visa le bassin du médecin, fit feu puis referma la porte dans une salve d’insultes et de cris de douleur.
Elle découvrit soudain que l’accès au bloc opératoire était ouvert. Chose étrange pour une section en chantier pour remise à neuf. Elle se faufila dans l’embrasure du sas, et se remit en traque.
L’intérieur était plongé dans la semi pénombre d’un éclairage de chantier, sur lequel jouait les ombres de la pièce mise à nu. Câbles électriques, tuyaux et morceaux de cloisons jonchés le sol dans un fatras anarchique. Dans un coin, un drone de manutention en veille balayait la zone de son gyrophare d’alerte. La lueur stroboscopique, le chaos et le silence firent ressortir une émotion profonde dans l’esprit de Wright. Un sentiment de peur et de malaise accentué par l’odeur chimique de produits pharmaceutiques.
Judge Stun commença à trembler dans sa main. Quelque chose tapi dans l’esprit de miss Wright tentait de communiquer avec elle, de lui dire à quel point c’était une mauvaise idée. Dans un autre lieu, en un autre temps, son corps se souvenait d’avoir déjà vécu ce moment. Il n’aimait pas ça du tout. Mais Kaitlyn Wright était une professionnelle. Elle jugea l’état de la batterie de l’arme, et focalisa toute son attention féminine sur l’affut.
Ici, du matériel médical avait été dérangé. Là, un mince filet de sang. Là-bas, l’écho d’un liquide qui goutte.
Le sang. Le sang qui s’écoule ? Larme par larme jusqu’à l’agonie. Seule dans le noir à attendre la mort qui ne vient pas. Flash. Mal de crâne… soudain monsieur le Judge ne voulait plus viser droit du tout.
— Chier, chier, chier… jura la femme entre ses dents en tentant de chasser ces pensées étranges.
Elle se saisit du CureLife à sa ceinture et s’administra une double dose de Roxaphen dans le bras. Son BDL explosa mais le traumatisme en éveil retourna se coucher dans son hémisphère gauche.
Un chuintement s’échappa du fond d’un couloir, accompagné d’un tintement métallique. Izel progressa, avec le Judge prêt à rendre son verdict. Dans la pénombre sa jambe ripa sur un obstacle et son corps bascula violemment dans une trappe de maintenance, face contre terre. On avait retiré les plaques de cloisons du sol et le contact avec la surface était humide, glissante. Tandis qu’un rire moqueur répliqua en échange, le goût du fer lui empli la bouche.
— Est-ce que vous aussi vous faites des rêves ?
Au dessus du trou, une voix lui susurra la question au creux de l’oreille, si proche qu’Izel pouvait sentir l’haleine tiède sur sa nuque. Sa peau frissonna et une main lui bloqua le bras.
— Je vois des choses dans le noir, siffla encore la voix. Des choses qui n’existent pas ! Et pourtant elles sont là !
— Eliott, murmura Kaitlyn de sa voix douce d’Izel. Tout va bien, c’est Izel, je suis là pour vous aider.
Ces mots sans conviction sonnaient faux dans la bouche de Wright, et la femme se demanda si Senter s’en rendit compte. En réponse à sa question intérieure, la voix de l’homme explosa en un rire sans humour.
— Plus personne ne peut m’aider. Mais, je peux vous aider vous !
La voleuse leva doucement les yeux en évitant de croiser le regard direct du Rescapé Senter. Car sa main était toujours refermée avec conviction sur le poignet endolori de Kaitlyn. L’étreinte fut poisseuse.
Le corps toujours nu du fugitif baignait partiellement dans la lueur rougeâtre de l’éclairage de veille. La teinte fit ressortir les ecchymoses de plaies suppurantes courant sur sa chair. Des poignets jusqu’à cou, en passant par la poitrine l’homme avait scarifié sa peau sans ménagement. Des formes circulaires rencontraient des lignes ensanglantées sur lesquelles s’égrainaient des lettres dans un alphabet alien.
Ce n’est qu’a ce moment que Wright vit le reflet du couteau dans l’autre main de Senter. Malgré la menace immédiate, ses yeux brillèrent soudain de convoitise !
— Un Myuda ! Un Njakte Banu ! Bordel, Eliott où avez-vous trouvé ça !
— Une femme étrange me l’a offert, en m’ordonnant de l’utiliser pour graver mes péchés ! Mais vous n’avez pas répondu à ma question madame Malapert ! De quoi vos rêves sont-ils fait ?
La pensée instinctive de Kaitlyn fut : boire un Wingman’s Hangover au Café Musain devant un Nikolaï Mithra avec une balle dans la tête. Mais la femme eut la sagesse de seulement retourner la question.
— Et vous Eliott ! Dites-moi de quoi vous rêvez !
L’homme ferma les yeux pour se concentrer puis eut un soupir d’extase.
— Oui, oui ! Mon esprit s’est perdu dans un rêve, quelque part dans le bruit du vide. J’entends encore des hurlements, ceux de milliers de singes riant comme des démons. Leurs dents blanches de neiges tranchantes et glaciales au parfum gingembre et chocolat. Hybris, moins d’une minute ! Des doigts noirs de primates qui s’agitent en chef d’orchestre sur une symphonie d’apocalypse. Peine perdue ! Mon esprit s’est perdu, quelque part dans le silence de la vie. Le Grand Midi à neuf par cinq en rouge ! Ils jouent ensembles la mélodie du chaos avec leurs grimaces dadaïstes ! Oui, j’entends les heures fondre ! Mitochondries ! Je me suis glissé entre le temps et l’espace ! J’ai vu des cendres, un supernova et puis l’aube. Toute l’humanité unie dans quelque chose qui est moins humain mais plus que l’Homme. Je rêve, de la Metanoïa !
Eliott sortit de sa trance en plantant son regard droit dans celui d’Izel.
— Maintenant que vous partagez mes péchés dans cette langue impie ! Vous devez vous aussi vous purifier, hérétique !
Il renforça son emprise physique sur Izel et alors que la femme tenta de se débattre, il commença à lui entailler le bras avec le Myuda.
Au prix d’un effort insensé Izel parvint à se défaire de son étreinte. Elle l’attira de tout son poids à l’intérieur de la trappe et le rescapé bascula avec un cri de surprise. Lorsqu’il se hissa à nouveau à la hauteur du sol, Izel avait disparue.
— Hérétique, hurla-t-il comme un démon dans sa tanière. La parole sainte du Vajrayana vous a été révélé et vous la refusez ? La révélation du Chaos vous est offerte et vous fuyez ? Par la Croisade Noire, je dois vous purger, vous saigner avec ce Njakte jusqu’à la dernière goutte ! L’absolution n’attends pas !
Camouflée derrière une pile de caisses en retenant son souffle, Kaitlyn vit le rescapé sortir d’un bond de son propre piège. Tous les sens de la créature semblaient à l’affut. Quelque chose avait prit le pas sur l’homme qu’il était. Car ce fut avec une agilité inhumaine, qu’une araignée de chair se déplaçait dans la pièce.
Sans bouger d’un cil miss Wright tenta de le pister au son de ses mouvements, mais ce qu’elle entendit la perturba profondément. Ce ne fut pas le bruit de deux, mais de quatre membres nus courant sur le métal qui résonnait autour d’elle. La vitesse, le son, les reniflements… tout lui évoqua la présence d’un animal en chasse plus que celle d’un homme en fuite.
— Aksepti’nai yel’ri sakrifi’ka favore’ble, rugit Senter !
La seconde d’après la bête sauta sur elle avec ses quatre pattes, et ses dents prêtent à lui mordre le cou comme un chien enragé. Tous deux roulèrent l’un sur l’autre avec la force de l’impact, et la femme vit à nouveau l’éclat du Myuda briller comme un éclair. Elle lutta de toutes ses forces, mais à chaque seconde la dague gagnait du terrain sur sa poitrine. S’il tentait de l’enfoncer directement dans le cœur, son vêtement civil n’y offrirait aucun obstacle.
Elle tenta le tout pour le tout. Ne se doutant pas que les conséquences seraient pour elle pire que la mort. La Valkyrie dans sa tête supplanta le conseil des folles.
— Arrête par pitié… c’est Kaitlyn ! Je vais t’aider ! Je suis comme toi !
Eliott hésita un instant, ses muscles toujours tendus dans le combat. Wright s’engouffra dans la brèche. Sa main gauche glissa doucement jusqu’à sa ceinture pour y saisir un stylo injecteur. La lame entailla les chairs de Kaitlyn en retour. En un clin d’œil elle fit rouler l’injecteur entre ses doigts puis enfonça l’aiguille dans le ventre d’Eliott. La chose eut un bref sursaut et ses pupilles se dilatèrent rapidement.
— Je suis comme toi, fit doucement Wright en laissant tomber le stylo injecteur à terre ! Perdu ! Je ne comprends pas ! J’ai perdu une partie de mes souvenirs et c’est comme si l’autre moitié ne m’appartenait plus. Nous ne pouvons pas être ici, c’est impossible !
Eliott posa une main sur le visage de Kaitlyn pour en explorer la surface. Lorsqu’il la retira, la joue de la femme était barbouillée de sang.
— Miss Wright ! Par le Prophète, articula-t-il avec le souffle court ! Qu’est-il arrivé à votre visage ?
— C’est une longue histoire, dont on pourra tranquillement discuter une fois sorti d’ici ! Ceci, dit-elle en désignant son visage, était nécessaire. Nous sommes traqués Eliott, pour ce qu’il s’est passé là-bas.
— Là-bas ?
— Non c’est pas vrai, pleura-t-elle presque de désespoir. Vous ne vous souvenez de rien du tout ? L’expédition de Mithra, La Carrack, les… les ténèbres…
— Je me souviens que quelque chose n’était pas juste. Et, où est le docteur Mithra ? Pourquoi ne suis-je pas dans un moratorium ? Pourquoi…
— Faites un effort Eliott ! Ma vie est devenu un enfer depuis cette expédition. J’ai des trous de mémoire, je ne sais plus si je suis dans un rêve ou dans la réalité, je m’endors dans un lieu et me réveille ailleurs, je ne sais même plus qui je suis vraiment ! Par pitié, nous devons nous aider pour comprendre ! Faites un effort ! N’y a-t-il rien dont vous vous souvenez ?
Eliott lui murmura à nouveau d’un ton placide.
— De quoi sont faits vos rêves, miss Wright ?
— Je rêve de Hallen qui me poursuit encore et encore, je rêve de gens comme des crucifix debout sur des tables sans bouger, ils me fixent, d’un ascenseur qui se transforme en gouffre sans fond, je rêve que je tombe à l’infini, que des fantômes traverses des murs, des voix sans corps me parlent dans des langues que je ne comprends pas, mes crédits disparaissent sans cesse, je rêve d’un long couloir et soudain je suffoque jusqu’à la mort…
Le rescapé prit soudain sa tête entre ses mains et hurla si fort que Kaitlyn en eut les oreilles qui sifflent. Un silence, puis changeant d’octave, hurla encore plus fort. Un flot de parole comme un torrent se déversa de sa bouche dans une langue mi humaine, mi autre chose.
Ses yeux semblèrent luire d’une lueur incandescente tandis que sa bouche vociférait de plus belle des intonations dignes de la pire des tortures. Une seule fois au cours de sa vie, il fut donner à Wright d’assister à pareil déchéance. Ce fut lors de l’immolation d’un martyre de la Croisade durant l’abordage d’un Idris. Rien qu’a y songer Kaitlyn pouvait encore sentir l’odeur des chairs grillées qui s’insinuait partout.
— Vous êtes une pochemuchka, lui cracha-t-il soudain au visage ! Vous posez beaucoup trop de questions à la fois mais ne voulez entendre aucune des réponses ! Mes rêves sont trop grands pour ce corps étriqué ! Moi, je rêve d’être l’architecte du Grand Chaos. N’avez-vous jamais été las de cette réalité ? De ne plus savoir si vous êtes réellement éveillé ou non ? Vous n’êtes qu’une marionnette ! Mais je peux vous éveiller !
Et l’homme brandit à nouveau sa lame, avec une lueur mauvaise.
— Pochemuchka, je dois vous libérer ! Alors, tout vous sera révelé !
L’éclat d’une torche les aveuglèrent tout deux, une lame siffla dans l’air, des coups de feu retentirent.
— Que se passe-t-il ici ? Stop ! Advocacy ! Personne ne bouge !
Dans un reflexe de défense, Kaitlyn pressa la détente plusieurs fois et vit l’agent de l’Advocacy s’effondrer au sol dans une série de convulsions.
Le calme revint, accompagné de l’obscurité. Eliott s’était évaporé dans la nuit. Encore.
Miss Wright entreprit d’achever sa victime. Mais la surprise fut totale lorsqu’en s’approchant de l’intrus elle reconnut le visage de l’Administrator Nargit Hyastan. Aussitôt un mélange indescriptible de sentiments s’empara alors d’elle comme un cocktail noyant rage, amour, fierté, réconfort et peur en un même subtil breuvage.
En réalité, Izel Gabriella Malapert avait toujours été une esclave. Mais Kaitlyn Wright pouvait être libre.