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Lorsque vous sortirez de la tempête, vous ne serez plus la même personne qui est entrée. C’est la raison d’être de la tempête. Laissez-la vous consumer et libérer votre âme de sa coquille d’argile. Cette tempête est un présage et possède un nom : Croisade Noire.
Prophète Joe Hartwell Hallen, Code Noir.
Verset 1 – L’oiseau du désert
Le croisé en armure devait presque hurler pour couvrir le bruit des turbines du Cutlass. Son casque était posé sur le strapontin tandis qu’il examinait sa tenue de combat FBL-8a Desert Digital.
— C’est une très mauvaise idée prêtresse, commença Aquila Lespine en s’adressant à Alaura.
En face de lui était assise une femme en Microïd Battle Suit sur laquelle se drapait un caftan noir à capuchon ourlé d’or en carbonsilk. Elle leva doucement les yeux vers lui tout en dissimulant son visage dans le tissu.
— Je comprends, tempéra-t-elle. Néanmoins nous ne pouvons pas nous poser en armure lourde et armes au poing en territoire des Nine Tails. Ils prendraient cela pour un acte de guerre. Cette fois-ci je veux juste discuter.
Une nouvelle voix siffla dans l’intercom de bord.
— Je ne sais même pas si je vais pouvoir atteindre leur bivouac à la Whistlers Crypt, commenta à son tour Gideon Orslaw depuis le poste de pilotage. La tempête commence à se lever, et les vents me déportent sans cesse. Nous devrions attendre que ça se calme.
En écoutant d’une oreille, le croisé Lespine commença à réviser son équipement pour une opération dans le désert de Daymar. Le sable et le soleil étaient aussi impitoyables pour les hommes que pour le matériel.
— Non, nous ne pouvons pas. Chaque seconde à attendre est une munition de moins pour nos frères. Le NQA à cessé ses livraisons d’armes vers nos temples, et l’Administratum me charge de découvrir pourquoi, conclu Alaura impavide.
— C’est de la folie, reprit le pilote. Je n’y vois presque plus rien et je n’ai aucune balise pour me guider.
— Je fais toute confiance à vos talents de pilote, Orslaw. Néanmoins là où s’arrête la certitude de l’expérience, débute la foi. Retenez bien ce précepte. Laissez le Vajrayana vous guider.
— Au moins ici, railla Lespine, personne n’ira venir chercher la prime sur ta tête ! Pas vrai Gideon !
— Je sais bien ! Abattre ce Titan n’était pas très malin. Nous devrons faire escale à Kareah au retour.
— Nous verrons cela en temps utiles, nos amis sur place devraient pouvoir nous aider sur ce point. Pour le moment pratiquons ensemble l’oraison afin de nous purifier avant cette mission.
La prêtresse Luxeed ajusta sa position dans le siège rabattable de soute afin d’obtenir la posture de prière qui convient, celle dite : zazen
« Ô Vajrayana , Je Vous implore de libérer l’univers de la peur qui détache les âmes du véritable éveil de Lethe.
Je prie pour les âmes qui vont faire l’expérience d’une peur réelle pendant La Purge. Que cette peur puisse cesser et que votre Absolution inonde leurs âmes afin qu’elles soient libres de rejoindre Le Prieuré comme elles le devraient.
Gloire à l’Ordre’’.
Voyant qu’Aquila ne se joignit pas à elle, la femme en fut très irritée.
— Ne vous joignez-vous donc pas à moi croisé ? L’acédie est un grave péché !
— Loin de moi l’idée de blasphémer devant vous, mais les prêtresses ont leurs armes et les croisés les leurs. Vos prières protègent nos âmes, nos armes protège vos corps. Et j’ai eu pour mission de vous garder en vie.
Il marqua une courte pause, puis salua la prêtresse d’un hochement de tête respectueux. Ce à quoi la prêtresse lui rendit un Anam Cara, le salut de l’Ordre Noir, avec déférence.
En terminant sa prière Alaura se saisit de l’Eau de Lazare, dans une flasque gravée contenant le pulque de Sujin. Elle s’entailla la main puis y laissa tomber quelques gouttes de sang qu’elle mélangea à la boisson laiteuse. Chacun à son tour prit une gorgée de l’alcool saint.
Dès la fin du rituel, Aqulia Lespine se replongea dans sa lecture.
— Connexion au réseau Narthex de l’Ordre Noir, ordonna-t-il à sa mobyGlass pirate. Mise en ligne de l’Archiviste.
Un flux de données très dense défilait maintenant devant lui, que son œil cybernétique l’aida à filtrer. Le pulque de Sujin lui avait enflammé la gorge et revigoré son corps sous l’effet de la caféine. Tous ses sens étaient en éveil. Bercé par la prière d’Alaura en fond, il entra dans une semi-transe tout en murmurant en cadence les informations les plus pertinentes.
— Daymar, pression atmosphérique 0,6atm, durée d’un cycle 2 heures 28 minutes 48 secondes, écart thermique 78 à -40°C, composition atmosphérique azote 98,4%, méthane 1,4%, hydrogène 0,2%, Scalpel, vitesse de sortie de bouche standard 800m/s, distance maximale optimale 1600 mètres, distance effectivement standard 120 mètres, inefficace, doit compenser vitesse des vents et faible gravité, polymères à pénétrer, Lastraprene, Dynaflex, platine, inefficace, optimisation de la munition avec une tête en diamant…
Aquila et Alaura continuèrent ainsi un moment, l’une renforçant ses capacités mentales, l’autre en composant ses équipements ainsi que ses munitions sur-mesure.
L’appareil tomba soudain en chute libre durant un instant. La prêtresse fut projetée par-dessus son siège de fortune, envoyant son casque rouler sur le sol. Le Scalpel d’Aquila valdingua dans la soute. Des cartouches de 7.62mm roulèrent en tous sens, ce qui rendit le croisé bien gêné.
La voix hésitante du pilote résonna à nouveau dans le Cutlass avec les accents métalliques du système de com.
— Je ne peux pas aller plus loin, gémit Orslaw. Si je vole plus haut le bunker NT-999-XVI va nous localier. Si je descend plus bas, nous risquerions de percuter le relief. D’après le radar météo il y a une zone de très basse pression. L’orage est en train de s’effondrer et la tempête localisée autour de la crypte va s’étendre. C’est une haboob, je ne vais pas tarder à devoir traverser un véritable mur de sable !
Dès qu’elle fut à nouveau sur pieds, Alaura réajusta son vêtement à la hâte. Ses mains tremblantes disparurent rapidement sous la nuit du caftan. Tout en ajustant sa respiration, elle déglutit péniblement.
— Posez-vous ici, fit-elle en dissimulant sa peur, nous ferons avec. Vous viendrez nous récupérer quand cela sera possible. Rester en contact, mais silence radio.
— Prêtresse, insista Aquila ! Je vous prie de reconsidérer la question. Ou alors, prenez au moins ceci. Mon Demon Fang.
Aquila décrocha le couteau de son holster magnétique de cuisse, l’ensemble de la ligne de coupe luisait d’un éclat rouge irisé. La femme considéra la lame avec amusement, soupesa le couteau de combat, puis le glissa au niveau de la hanche sous sa tunique légère.
— On est posé, grésilla Gideon. Je ne pourrais pas vour emmener plus loin. A partir d’ici vous êtes tout seuls, la tempête bloque toutes les communications à moyenne et longue portée.
Le beuglement des turbines jumelles mourut en decrescendo, vite remplacé par le raclement du sable contre la carlingue. Gideon fit coulisser les panneaux latéraux du Cutlass et la tempête s’engouffra immédiatement dans l’habitacle. Les vents hurlants saluèrent leur folie en faisant claquer le caftan de la prêtresse. Son voile d’ébène s’agita avec une frénésie chaotique, laissant tantôt apparaître les courbes délicates de la jeune femme, tantôt la vision d’une oriflamme de la mort.
Quant à lui, Aquila Lespine vint à leur rencontre sur le pas de la porte. Les bourrasques successives n’avaient aucune prise sur son crâne méticuleusement rasé. De son seul œil organique, il observa avec patience la houle de dunes. De son autre oeil, sa rétine cybernétique de sniper scannait les positions de tirs probables, les angles d’interceptions et la disposition du sol. L’appareil de visée oculaire émit une très faible lueur faisant ressortir les cicatrices de son visage. Lorsqu’il eut compilé toute la data nécessaire, il ajusta le casque de sa FBL du mieux qu’il pu et le scella. Mais même les filtres militaires de sa combinaison ne purent totalement effacer l’odeur de l’ozone et du silex qui saturait l’atmosphère.
La prêtresse embrassa la puissance indomptée de la nature dans une nouvelle prière, scella également le casque de sa Microid puis sauta dans le sable de Daymar. Elle disparu de l’horizon comme un fantôme, uniquement guidée par sa foi et sa confiance en ses frères.
Le croisé Lespine fixa son Scalpel en dorsale et s’en alla après elle, suivant une route parallèle. Chaque pas dans l’haboob était un défi, une épreuve de foi à la hauteur des guerriers insoumis de la Croisade Noire.
Verset 2 – La marche de la foi
La ferveur de la prêtresse fut mise à rude épreuve. La vision était nulle, l’abrasion de la poussière sur l’armure fut insupportable, mais le froid l’était d’autant plus. Proche du cœur de la basse pression, la température atteint très vite la limite critique de l’armure à -33°C. En plein désert aride le froid était ironiquement agressif et mortel.
Alors que tous ses membres commencèrent à s’engourdir, le HUD du casque lui envoya un signal d’alarme dont elle ne voulait pas tenir compte. C’était bien trop tôt ! Mais : bip bip, bip bip… l’alerte ne voulait plus se taire, ses yeux ne pouvait plus se détacher de l’indicateur de survie. Le chrono s’était lancé, à zéro c’était la mort. Qu’avait- elle imaginée ? Elle, seule face au désert.
Obsédés par le décompte, ses yeux ne lui obéirent plus, elle décida alors de les fermer en s’abandonnant à Daymar. Son esprit encore impur d’Hinayana avait passé des heures a apprendre par cœur la topographie de la zone. La prêtresse s’enferma dans son Panthéon Mental, son esprit dictait à son corps quelle arête franchir, quel canyon éviter. Le sol sous ses pieds était converti en courbe de niveau, en dénivelé et azimuts. Elle songea :
La dépression, je dois garder le vent de face et affronter le courant de la basse pression. Si le Vajrayana me guide, le camp des Nine Tails est en son centre.
La douleur la fit douter, coupant la ligne de vie de sa boussole mentale. Son caftan en soie de carbone et les plaques de céramiques protégeaient sa peau, l’empêchant d’être pelée à vif. Mais chaque bourrasque fut un coup de fouet brulant contre sa volonté. Elle souffrait atrocement dans sa chair et sa foi.
Plusieurs kilomètres plus loin pourtant, une silhouette digne d’un antique bédouin émergea en lisière du camp des Nine Tails. L’ombre louvoya entre les dunes ruisselantes de sable jusqu’en bordure des premières structures.
Partout où se portait le regard d’Alaura, les vents poussiéreux du haboob se déchaînaient. Elle s’engagea dans le campement de la Whistlers Crypt et un pirate la surprit autant qu’il se surprit lui-même.
— Halte ! T’es qui toi ? Jamais vu ici !
La voix du Nine Tails crépita dans le casque au dessus de la tempête. Le pirate avait déjà la crosse de son Custodian calée contre l’épaule.
— Ouais, tu m’as pas trop l’air du coin toi, ajouta une autre voix en mode ouvert. C’est quoi ton p’tit nom ? Fais voir ton visage, ajouta un autre compère qui surgit de derrière un abris de fortune.
— Alaura P. Luxeed, déclara la Panthère en utilisant son vrai nom. Je suis là pour affaires. J’aimerai rencontrer…
Mais le pirate ne lui laissa pas le loisir de s’expliquer plus en détails. Il n’en avait manifestement rien à foutre.
— Et le P. c’est pour quoi ? S’enquit le premier.
— Je miserai bien sur putain, ricana le second. C’est fou c’que peuvent nous apporter les vents du désert ces derniers temps ! Et toi, t’en dis quoi ?
— Ouais peut-être, pucelle ? Hein ! Y’a qu’a vérifier !
— Vu qu’il n’y a pas grand-chose à enlever ! La fouille de sécurité va être rapide ! On fait ça où ?
— Je vois, fit Alaura résignée en observant les deux SMG braquées sur sa tête. Puisque vous insistez ! Je préfère encore dans l’épave de ce 600i là-bas !
— Ouais tu vois j’avais raison ! Haha ! Madame à des goûts de luxe. Mais nous, nous sommes des gentlemen.
Sous bonne escorte, la femme du se résoudre à prendre le chemin de l’épave sous la contrainte. A peine eurent-ils franchit les premiers abris que le pirate la poussa dans un Cutter inoccupé. Exténuée, la prêtresse n’avait pas la force de résister et ses agresseurs s’en doutaient bien.
— Voilà, on sera bien peinard ici. Dit-il en fermant la rampe derrière lui.
— Vous êtes bien trop pressés, souffla la prêtresse à bout de forces.
— C’est ça oui, enlève ton casque et fait voir ce que tu as sur toi !
Le pirate commença la fouille au corps selon la procédure Nine Tails. Il l’agrippa fermement contre lui, les fesses collées contre son sexe. Sa main gauche commença à courir sur la combinaison de la femme à partir de la nuque. Tandis que sa main droite glissait invariablement vers l’entre jambe.
— Moi, je préfère prendre mon temps. Mais puisque vous insistez.
En un éclair l’air siffla dans la danse du Demon Fang. D’un jeu de jambes rapide, Alaura plaça son corps hors de l’angle de tir immédiat du second pirate. Elle pivota avec la grâce d’un félin et passa son croc démoniaque sous la jugulaire du premier Nine Tails collé-serré à elle. Quand l’acolyte ouvrit le feu sur la prêtresse, le premier gangster lui fit office de bouclier humain. Le sifflement du Custodian s’accompagna d’une odeur de chair grillée et de métal fondu.
Le corps du Nine Tails s’affala sur Alaura qui dut tendre tous ses muscles pour soutenir le poids du cadavre. Aussitôt avait-il lâché son arme, qu’elle le repoussa en avant d’un coup de coude. Le premier gangster mort s’étala contre le second comme une loque, qui s’affaissa à son tour sous le poids.
— Attendez, pleura la pirate en communication de proximité. On peut discuter !
— Oh oui, on va discuter, répliqua Alaura froide comme la mort.
La prêtresse glissa contre la paroi du Cutter et le temps que le pirate se défasse de son fardeau, elle le maitrisa avec une clé de bras. De sa main disponible, elle ouvrit la rampe arrière du Drake.
— Je n’ai pas le temps pour toi, lui murmura la prêtresse. Désolé de sortir les griffes, mais je suis là pour affaire. En revanche. Quand tu retournera à la vie quelque part entre les tas d’immondices de Grim Hex, de Checkmate ou de Ruin Station. Tu diras bien à tes congénères dégénérés de ne pas traiter une prêtresse de l’Ordre Noir de putain. Car si je recroise ton faciès simiesque, je te wipe.
Elle avança vers l’extérieur du vaisseau en poussant l’homme qui se débattait.
— Pas étonnant que les hommes aient une espérance de vie plus faible que les femmes. Maintenant ! Va discuter avec Daymar !
Vive comme une panthère, la femme lui arracha son casque et le jeta dehors. La main sur son Demon Fang, elle l’observa agoniser en le regardant droit dans les yeux.
Lorsque la petite étincelle de vie eut quitté les yeux du second misérable patrouilleur, ce fut plus complexe. Tuer, même pour sauver sa propre vie n’était pas une chose si aisée. Au fond de son subconscient les restes encore vivace de son humanité commencèrent a tambouriner a la porte. Il y avait toujours un prix à payer. Toujours.
A vouloir faire ses preuves à ses pairs, Alaura Luxeed venait de justesse d’éviter un drame. Tout prêtresse de l’Ordre Noir qu’elle était son corps lui rappela qu’elle n’était qu’une simple humaine. Le jugement fut violent. Soudain, elle s’effondra foudroyée, ajoutant presque son corps au bilan du carnage. Ses jambes refusaient de la porter plus loin, ses mains tremblantes n’arrivaient plus à agripper quoi que ce soit, ses lèvres cyanosées et craquelées par le désert hurlaient le besoin d’eau. L’adrénaline de la survie avait fuit.
De l’eau, du sommeil, du glucose. Ses entrailles avaient des besoins primaires. Primals. Immondes. Le sang bourdonnaient à ses tempes, des mouches noires et transparentes s’accumulaient devant ses yeux. Un poids immense lui écrasa la poitrine tandis que son cœur s’emballait dans un rythme aléatoire. Alors elle rampa comme la larve humaine qu’elle fut, jusqu’à la commande de fermeture de la rampe. Tandis que le Cutter se pressurisa à nouveau, ses dernières forces s’évanouirent dans la recherche d’une bouteille d’eau ou de Cruz.
Puis les ténèbres vinrent la trouver.
Mais la mort ne voulut pas encore d’elle. Quand elle reprit conscience, cette réalité déclencha en elle une rage incommensurable. Lentement, son esprit revint à la surface, poussé par l’impulsion du dégoût de sa propre faiblesse. Ce fut la honte de sa personne qui l’empêcha de défaillir. La haine est un moteur puissant, tout comme la peur.
— Des animaux ! Des chiens, des rats et des mécréants, pensa-t-elle alors que esprit divaguait entre deux mondes. Pourquoi suis-je si faible ? Pourquoi est-ce si difficile ? Je suis impure ! Lethe, Lethe, Lethe !
Ce mot martelait l’hémisphère gauche de son cerveau, sonnant comme un cor de guerre ancestral. Il appelait au meurtre.
— Lethe ! Je dois me purifier et purger les hérétiques ! Je dois accomplir ma mission karmique et faire honneur à l’Ordre.
Dans le combat millénaire où l’animal luttait contre ses blessures, le catéchisme de la Croisade prit le dessus. Une nouvelle lampée de Cruz la requinqua, mais ne put effacer complètement le goût de sang et de bile qui lui emplissait la bouche. Ce parfum donna pourtant à Alaura une satisfaction démesurée, qui emplit son cœur de joie et de détermination. Elle se releva. Le primate quadrupède avait gagné le combat sur la larve rampante. L’exultation se mêla a la haine. Pour se donner du courage, elle se remémora des sutras des Soeurs De La Nuit.
A la sortie de la vaisseau, la tempête faisait toujours souffler ses murs de sable, mais la créature qui la traversa était un hybride bipède. Dans le désert l’évolution était en marche.
Verset 3 – La Crypte Aux Murmures
Après plusieurs foulées hésitantes la prêtresse s’installa au milieu du camp de la Whistlers Crypt, sur le point le plus exposé qu’elle put trouver.
— L’animal rôde le ventre à terre, l’humain s’élève ! Le sur-humain, rayonne, par la grâce du Vajrayana ! Lethe ! Que les mortels entendent la prière !
Elle prit position en zazen sur un promontoire de ferraille, et alors que le caftan de sa Microid claquait au vent comme une oriflamme de mort, elle ajusta les paramètres de ses com de proximité. Via un dispositif de son équipement, elle boosta la puissance du signal de son Comm-Link et chanta de sa voix la plus puissante :
— Hérétiques ! La Croisade Ultime vient à vous aujourd’hui ! Je suis Alaura Panthera Luxeed, prêtresse de l’Ordre Noir, démiurge de l’Intendance. Et la Panthère de l’Ordre s’adresse aux chatons des Nine Tails.
La prêtresse Luxeed entama à peine son sermon que plusieurs déclics familiers lui intima de s’arrêter.
— Donne-moi une bonne raison de ne pas te buter, salope de sorcière !
— Une ? Mais j’en ai douze ! Et elles sont toutes en tungsten chemisées de carbure de carbone avec une tête en diamant.
— Te fous pas de ma gueule et descend de là !
Une décharge de S-38 lui vola dans le ventre. La céramique de Kastak Arms absorba l’impact sans ciller, mais la femme dû user de toutes ses ressources pour ne pas crier sous la douleur.
— Si vous n’avez pas encore compris, je me dois donc de préciser. Car à la fin de ma phrase, il ne vous restera qu’une seconde et vingt-six centièmes pour baisser vos armes.
— Une seconde pour quoi f…
Le tireur bascula en arrière dans un filet de sang, puis une détonation feutrée retentit dans les montagnes au loin. Le son fut vite avalé par le vent.
— Parce que c’est précisément le temps que met une balle à haute vélocité, dans une atmosphère à basse hydrométrie et basse gravité pour parcourir les 1,2 kilomètres qui séparent le courroux de la Croisade Noire de votre crane piaf !
Il y eut un geste de recul général et plusieurs pirates se mirent à couvert, regardant tout autour d’eux. Le tir était impossible, et pourtant un Nine Tails avec la poitrine laissant passer le jour témoignait de l’inverse.
— Fous ! Dois-je demander à mon ange-gardien de dilapider d’autres vies inutilement ou bien êtes-vous prêt à recevoir la parole du Vajrayana ?
Il n’y eut aucune protestation. La prêtresse leva les mains au ciel, et des stries de lumière découpèrent l’ombre de la tempête. Le sable porté par le vent retomba au sol, et des larmes de sang coulaient le long des pommettes d’Alaura. La scène était impossible, et pourtant tous en furent témoin. Aussi, lorsque le silence plana entre les structures du bidonville, la voix de Luxeed enflamma le cœur des hommes :
— N’êtes-vous pas las de vivre une existence dénuée de sens ? De mourir dans des bunkers miteux ou des planques de contrebande pour un paquet de Maze ? Vous pensez faire cela au nom de votre liberté et de votre indépendance ! Le blanc mouton craint le loup toute sa vie ! Mais au final c’est toujours le berger qui finit par le manger ! De l’UEE à la piraterie vous n’avez brisé qu’un seul des maillons de la chaîne de votre esclavage ! Car oui ! Quand je contemple ce campement fait de draps, d’épaves, de matériaux de recyclage… je ne vois qu’une bande de rats mangeurs de poussière, se serrant les uns contre les autres dans l’espoir que la balle perdue ne sera pas pour lui ! Est-ce là tout ce que mérite votre humanité ? Libérez-vous de votre humanité en vous baignant dans la source de la foi ! Embrassez la Croisade Noire et purifiez votre esprit des miasmes de l’Empire ! Votre vrai pouvoir, votre vrai nature celle d’un croisé fier, d’un Mahayana rayonnant est à votre portée. Mais pour cela il vous faut tuer ! Non seulement vos péchés et vos attaches au monde terrestre, mais aussi purger tous les hérétiques, les ataviques et la nomenklatura de cet Empire du vide ! L’humanité doit mourir et renaître pour l’avènement du Surhumain, le Vajrayana ! Pour que nous soyons à nouveau, un peuple de communion à travers les galaxies autant que les siècles !
Une décharge de FS9 fusa en l’air.
Verset 4 – No Question Ask
— Non mais j’hallucine j’espère, fit la voix qui tenait l’arme. Nous avions portant été clair avec vous ! Pas de conversions dans ma clientèle ! C’est mauvais pour les affaires !
La voix appartenait à un homme trapu carapacé dans un plastron ORC-mkX sur lequel était riveté un haume Mandible Snowlfy. Comme personne ne réagit, il laissa filer une autre salve de LMG, puis reprit par-dessus :
— Vous n’avez pas entendu la dame ? Baissez vos feux ! Vous êtes face à l’Ordre Noir ! Abattez l’un des leurs et ces malades vont tellement vous buter que vous allez vous réincarner en fœtus avorté ! MAINTENANT !
— Ah monsieur Arthemys, chantonna Alaura. Je commençais à m’impatienter, tous les coups de feux précédents ne vous ont pas alerté ?
— Par professionnalisme je ne m’en soucis que lorsqu’ils me touchent !
L’homme passa le caftan de la Microid au scanner mental.
— C’est une bien belle pièce que vous portez là, une création personnelle ? Je trouverai facilement un marché pour ça ! On dit 70/30 ?
— Le Voile de l’Ombre n’est pas à vendre, c’est un vêtement réservé aux fidèles. En revanche maintenant que les politesses sont écartées, j’aimerai bien pouvoir faire mon shopping.
— Raa, grommela-t-il, que l’on me préserve des manières des adeptes de l’Ordre Noir ! Vous êtes vraiment infréquentables ! Vous ne pouviez pas juste vous annoncer comme tout le monde ? Monter dans le Spirit, nous y serons plus au calme. Il me semble qu’Yvan avait préparé quelque chose pour vous ! J’ai de superbes arrivages aujourd’hui des Ravager 212, des P4-AR et des Salvo Frag.
— Allons, allons, reprit la prêtresse Luxeed plutôt dépitée ! Je pensais que nous avions dépassé ce stade. Gardez la camelote pour les gangs pouilleux de Grim Hex. L’Intendance demande du vrai matériel !
— Une précision en la matière ?
Jinn Arthemys lui désigna la cale du cargo Crusader du bras. La femme lui emboita le bas.
— Principalement des C54 en Xa’Pyen avec chargeur grande capacité et optique OT4-RF, des FS9 avec freins de bouche, quelques Firestorm Cannon mais aussi des hyper processeurs HLX99, ainsi que des plaques de renfort d’armure en DynaFlex, sans oublier de l’AcryliPlex brute.
Le duo remonta la rampe du C1 et une fois dans le vaisseau, l’homme pressurisa la soute. Sans autre forme de procès, il retira son casque et se mit pleinement à l’aise. Ce qu’Alaura ne fit pas. Elle détailla le contrebandier puis la pièce dans son ensemble.
Jinn était un trafiquant aguerri au service de tous ceux osant porter de la CrimeStat comme l’on porte de l’eau de Cologne. Un truc qui colle vraiment à la peau, et dont on ne se débarrasse qu’avec une douche au Re-Authorizer. Pour lui, il s’agissait du parfum du respect universel à travers la galaxie.
Son aura professionnelle était renforcée par sa stature proche des deux mètres, sa carrure musculeuse de militaire et sa barbe grisonnante en broussaille. Son regard sombre renforçait d’autant plus ses 46 ans, qui depuis Corin n’avait pas cessé de maudire l’UEE. S’il ne pouvait plus être une arme lui-même, Jinn et son associé Yvan s’étaient mis à la tâche d’en fournir en fondant le No Question Ask Shop Pirate Stock Exchange, ou NQA.
D’après les renseignements de l’Ordre Noir, on prêtait même au NQA des contrats avec Alex Dougan. C’est dire si l’homme avait le bras et les burnes en acier.
Jinn farfouilla dans une caisse et en tira une bouteille de Radegast 2947 Homeward Édition qu’il attaqua directement au goulot. Au dessus de sa tête trônait l’emblème du NQA : une tête de mort blanche façon crâne de pirate incrustée dans un cadre en forme de pièce de monnaie antique.
Lorsque l’analyse lui parut suffisante, la prêtresse Luxeed se retourna vers Jinn. Pas de doute c’était bien la personne que l’Intendance lui avait demandé de contacter.
— Monsieur Arthemys, je suis très attristée de constater que le No Question Ask à cesser ses livraisons d’armes en direction de nos temples sur Tyrol et Taranis. Quelle en est la raison ?
Le trafiquant remis la bouteille à l’endroit exact d’où il l’avait pioché puis pesa ses mots avant de dévisager Alaura.
— Pardon, répondit-il avec tact, mais je ne traite généralement qu’avec Echo ou le Dr Mithra. Surtout lorsqu’il s’agit d’une question aussi délicate. Alors avant tout, à qui ai-je l’honneur au juste ?
Les propos de l’homme n’eurent pas les effets escomptés. Dans sa tête, la prêtresse avait déjà entamé une partie d’échec et elle n’était pas femme à aimer perdre.
— Certes je comprends, répondit-elle sèchement, mais vous pouvez traiter avec moi. Ici et maintenant, ou bien attendre et négocier avec Hallen. Je suis la prêtresse Alaura Panthera Luxeed, démiurge de l’Intendance de l’Ordre Noir. Que décidez vous ?
A l’évocation du nom de Hallen, l’homme sembla nettement moins détendu. Sans un geste brusque, la femme rejeta doucement le capuchon du caftan en arrière, puis retira son casque. Des tentacules de dreadlocks s’en échappèrent, jouant dans le vent de la climatisation comme les branches monochromes d’un arbre mort. Les locks tressées étaient toutes peintes d’une coloration blanche colombe ou noir charbon et parfois ceinturées d’un anneau métallique aux inscriptions mystérieuses.
Le visage félin de la prêtresse émergea de cette forêt de cheveux, avec des yeux bleu pale à la limite du translucide et bordés de khôl. Ils surplombés un nez délicat, tombant sur une bouche fine maquillée avec un rouge à lèvres aussi sombre que son cœur.
De multiples bijoux et piercings piquaient ce chef-d’œuvre de la féminité, lui donnant la beauté hypnotique et sauvage d’un animal mortel : la Panthère noire de l’Ordre.
— J’ai bien peur d’avoir affaire à un impayé madame Luxeed, embraya Jinn. Ce qui entraîne la cessation de nos livraisons selon les conditions que vous connaissez.
— Il me semble pourtant que nous payons grassement le NQA !
— Nous dirons que c’est un oubli, dans ce cas ! Veuillez régler votre précédente commande et nous reprendrons nos livraisons.
— Cela m’étonnerait ! L’Ordre Noir n’oublie rien ! A combien estimez-vous cette soi-disant omission ?
— 5 654 400 UEC.
La prêtresse partie d’un rire hystérique.
— Ca je ne crois pas !
Jinn pianota sur sa mobiGlas puis se gratta nerveusement l’arrête du nez.
— Si. La commande était assez spécifique pour s’en souvenir. Une Anvil Valkyrie équipée de composants personnalisées, et 3 codes de transpondeurs. Elle-même, affrétée pour le transport d’une marchandise particulière.
— Vous êtes fou ? Ce vaisseau ne vaut pas ce prix, même chez ces voleurs d’Astro Armada !
— Non, effectivement. Mais la requête spécifique livrée dans la soute, oui. Un conteneur scellé de 1 sCU en polymère furtif, résistant au scanner, avec système interne de régulation d’atmosphère.
— Plus de 1 million de crédit pour un simple conteneur de 1 sCU ! Pour y mettre quoi ?
— Je l’ignore. Son contenu fut fourni par un prestataire externe du choix du commanditaire. Ce qui est tout fait irrégulier selon nos usages, mais le NQA tient à choyer sa clientèle de marque !
— QUI ? Qui donc à l’Ordre Noir vous a passé une commande de presque 6 millions de crédits sans la payer ? Ceci est impossible ! Seuls les membres de notre honorable Administratum peuvent effectuer ce genre de requête, mais c’est pourtant eux qui viennent de me diligenter pour cette enquête ! C’est inepte !
Il y eut un long silence gêné uniquement rompu par le ronron du système de soutien vital.
— Sauf votre respect madame Luxeed, osa le trafiquant du NQA. Quel point ne comprenez-vous pas dans l’expression qui nous définit : no question asked ? Je saisi bien votre embarra mais l’information que vous me demandez viole non seulement nos conditions commerciales mais le principe même de l’existence du NQA. De plus je ne possède aucune garantie quand à votre implication personnelle, vous êtes pour moi une parfaite inconnue.
Un feu sacré s’embrassa soudain dans le regard d’Alaura qui s’exprima avec les dents serrées. La partie d’échec allait prendre une tournure intéressante.
— Vous. Osez. Me. Parlez. De viol ! Alors que deux autres de vos fameux clients ont tenté de pratiquer un attouchement sur une prêtresse ?
Elle marqua une courte pause afin de laisser ses paroles tomber comme un chapelet de bombes, puis reprit de plus belle.
— A votre avis, que se passera-t-il quand j’irai remonter cet incident à mes frères et sœurs de l’Ordre ? Et mieux encore ! Que pensez-vous que feront l’Inquisiteur Hyastan ou le Prophète lui-même lorsqu’ils apprendront que notre fournisseur d’armes conspire contre l’Ordre Noir en faisant de la rétention d’informations !
Jinn resta silencieux.
— Vous voulez négocier ? Fort bien, ponctua madame Luxeed qui ne lâcha rien. A combien estimez-vous la valeur de cette information ? Tout ce qui ne vaut que de l’argent est bon marché. Si cela amène l’Ordre à un nouvel épisode de l’Union ou La Mort, le NQA risque de finir comme la SSRG ou la FAGAL ! L’Administratum est particulièrement tatillonne en ce qui concerne la confiance.
— Oui, certains utiliseraient le mot : paranoïaque.
— Attention monsieur Arthemys, vous blasphémez !
A nouveau, le trafiquant ne pipa mot. Il se mit subitement à faire les cent pas dans la soute tout en consultant sa mobiGlas avec frénésie. Puis après un long silence, il débita comme une mitraillette :
— La commande a été passée mais, il semble que personne ne l’ai retiré pour le moment. La Valkyrie est toujours à la crypte, et le caisson sous bonne surveillance, la mienne. Je n’ai aucune directive particulière du commanditaire. En ce sens, j’imagine que je peux donc vous en transmettre le contenu sans enfreindre notre politique.
Monsieur Arthemys déplaça plusieurs caisses à l’aide de son Multi-Tool, puis se fraya ainsi un chemin jusqu’à un petit conteneur dissimulé.
La prêtresse le descella avec l’aide du trafiquant et manipula le petit objet qu’il contenait avec une précaution extrême. La température de la soute chuta brusquement.
— On dirait, mumura Alaura, un artefact alien. Avez-vous déjà vu quelque chose de semblable ?
— Jamais. J’ai côtoyé des collègues spécialisés dans ce genre d’objet, ils peuvent avoir des effets étranges. Vous devriez le remettre dans la caisse.
Jinn dévisagea la femme dans l’expectative et vit Alaura se pétrifier, cette vision de la peur chez sa cliente le glaça d’effroi. Il insista sur un ton plus ferme, mais la prêtresse n’était déjà plus là.
Verset 5 – L’orbe
A mesure qu’Alaura Luxeed étudiait l’artefact, l’impression croissante que l’orbe l’examinait en retour la prit au ventre. Sa conscience toute entière s’était verrouillée. Un frêle petit papillon noir hypnotisé par la lueur d’un soleil inconnu.
L’orbe devint soudain de plus en plus froid, si glacial qu’il en fusionna avec les gants de son armure. La piqûre du givre lui transperça les doigts, irradiant ses mains entières de douleur. Elle cria d’effroi mais le son se perdit dans l’air polaire, comme absorbé par l’artefact.
Elle prit soudain conscience que la surface de la sphère ondulait devant ses yeux, dans une marée de nuages cotonneux. Des lignes se dessinèrent à sa surface, en des filigranes d’or et d’argent se recoupant entre eux jusqu’à se rejoindre à l’équateur. L’orbe se brisa en deux dans une nouvelle déferlante de douleur, et elle eut l’impression que son âme se fit siphonner par le cœur de l’orbe ouvert.
Du coin de l’œil un ensemble de créatures la jugea. Dissimulées dans les ombres, elles avaient une forme grotesque et arrondie avec une poitrine volumineuse se terminant par des bras puissants. Leurs statures dépassaient Aulara de plusieurs têtes avec des appendices volant dans un vent invisible. Sur ces êtres dépourvus de peau, à la teinte presque translucide, palpitaient des veines d’un bleu intense.
Ces spectres firent cercle autour de la prêtresse, se réunissant dans une improbable communion. L’instant d’après son âme sembla quitter son corps et tout autour d’elle disparu.
Une vision s’offrit à elle.
Dans la nuit étoilée de rêves, la prêtresse glissait malgré elle vers un voyage sans retour de plusieurs années-lumière. Elle dérivait, en bordure d’un disque d’accrétion, obsédée par l’aura de cet horizon des évènements.
Bientôt ce que les anciens nommaient La Morrigan allait l’avaler. Sa structure allait être fracturée et son existence disloquée, par la bouche d’un trou noir capable de plier l’espace et le temps.
Mais alors, une Voix Ultime vint à elle. Elle s’adressa à son esprit à travers le vide intemporel, celui sans âge ni limites dans lequel vont se perdre les hommes trop audacieux. Sa présence était absolue, sa parole était écrasante :
— Ô, femme que t’es-t-il arrivée ? Jadis tes yeux brillaient comme des étoiles et aujourd’hui ils sont ternes et sans fond comme les abysses. Enfant, tu n’aurais jamais laisser l’abyme t’enfermer dans cette boîte étroite et pleine de regrets. Tu aurais flamboyé et repoussé ces murs jusqu’à l’infini. Jamais, tu n’aurais échangé un sourire contre des promesses vaines.
La prêtresse n’osa tout d’abord pas parler, pourtant du plus profond de son humanité lui vint l’éloquence d’un testament.
— Ma muse, comme j’aurai aimé que tu sois encore là pour moi, avec cette Lune Aux Milles Visages qui éclaire mes pas.
Tout se figea soudain dans un moment qui n’avait plus aucune réalité. Et l’œil de La Morrigan se posa sur la prêtresse, tel un puit sondant son âme de mortel. Dans le tourbillon des ombres apparut un monde, une planète telle qu’aucun humain n’avait vu. Ce fut un astre mortifère ravagé par l’ambition de son peuple, portant les stigmates d’un cataclysme planétaire. Sa surface semblait tordu, chaotique et presque coupée en deux en son milieu.
A travers la singularité nue, la lune oubliée grossi. Encore et encore, comme tentant d’échapper d’elle-même aux lois immuables de la physique. L’image frappa Alaura car l’objet dans son ensemble ressemblait en tous points à un œil céleste de plusieurs parsecs. Le regard ancestral d’un dieu maudit, confinant à la folie celui qui le croise.
Impossible pour les Hommes de science, improbable pour les Hommes de pouvoir, inévitable pour les Hommes de foi.
— Humaine, reprit la Voix Ultime, jadis tu étais une rêveuse de jour. Celle sur laquelle la vie n’a aucune prise. Elle t’as bien maltraitée. Il y a maintenant dans ta voix des accents graves et des notes tristes. Des déserts et des sillons sous tes yeux. Des traces de givres et de cendre dans tes cheveux. Des palpitations à la place de la fascination. Es-tu encore ma fille ?
L’œil l’avala, engloutissant à nouveau ce monde macabre dans les ténèbres de l’indicible. Car La Morrigan ne la jugea pas digne de ce cadeau. Elle n’était encore qu’humaine, trop humaine, hors de portée de la Vérité.
Alors la prêtresse, ce Hiérophante à la fois rêveuse et lucide, prit soudain conscience de sa situation.
Une nouvelle vision se superposa aux ténèbres. Le cosmos avait disparu. La femme gisait maintenant enchaînée dans le mastaba d’un cauchemar, comme une offrande aux dieux de la folie.
Ses membres nues et endoloris étaient attachés sur une stèle de pierre noire, poignets et chevilles entravés. Le dos collé contre de l’obsidienne, l’échine collant dans la sueur et sa propre urine. La peur se distilla dans son esprit. Elle hurla autant qu’il le pu, mais aucuns sons ne vint.
La Morrigan pourtant était toujours là, dans sa tête, lui mumurant des paroles saintes.
— Ceci est une histoire qui a déjà été contée et qui le sera encore à maintes fois. Mais cela tu ne peux encore le comprendre. Aujourd’hui, cette histoire il s’agit de la tienne. Alors que choisis-tu ?
Alaura se débattu comme une diablesse, laissant les entraves lui lacérer la chair. Elle serait allée jusqu’à se couper les membres si elle en avait eut la force. Mais sa camisole tenue bon, son esprit était sa propre prison.
— J’ai toujours choisi la liberté, plaida-t-elle. Et la seule façon que je connaisse de faire face à un monde non libre, est de devenir si absolument libre que mon existence même est un acte de rébellion. Je ne suis pas de celles qui croient que l’on peut supprimer la souffrance en ce monde. Mais je suis de celles qui pensent et qui affirment, qu’on peut détruire la misère. Mère de tout, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter ou circonscrire. Je dis, détruire ! Purger ! Absoudre !
Une dernière fois, la Voix Ultime chuchota dans son crâne. Les phrases furent des braises, se détachant comme des notes de musiques d’un autre monde.
— Des mots. Un vent tiède et fragile. Tes paroles sont des traces de pas dans le désert. Elles s’éffacent sous le vent et ne mènent à aucune oasis. Sous mes yeux millénaires, des générations entières ont tenté, des civilisations complètes ont périclité. Le jugement approche ma fille, et il sera pur, absolu et éternel.
A ces échanges qui flottèrent dans les éthers, revint la sensation froide et brutale d’une table d’opération. Pour la femme, ce fut comme émerger d’un songe avec un réveil glacial. Le temps passa quelque peu, les brumes d’un dialogue impossible s’évaporèrent et les sensations d’un corps endormi revinrent.
La peur. La douleur. La solitude.
Était-ce l’éveil ou la mort ? Les vapeurs cosmiques se dissipaient.
Du coin de l’œil une nouvelle scène se répétait aussi loin qu’elle pouvait la voir. Des stèles de pierre noire, des corps nus entravés, certains hurlants, certains immobiles, certains implorant, certains morts, certains exaltés, certains prient d’un rire diabolique et certains baignant dans le sang, leurs entrailles exposées à l’air libre.
Des silhouettes en robes d’ébène s’agitaient autour d’un captif. Parfois la lueur salvatrice d’une guérison, puis une prière. Parfois l’éclat sinistre d’une dague s’enfonçant dans un abdomen, puis des flammes purificatrice dans un hurlement d’agonie. Une main noire plongea dans le torse d’un voisin captif et y retira le coeur encore palpitant du Sacrifice, le présentant à son acolyte. Ce dernier le soupesa un instant puis s’appreta à décapiter le malheureux.
Mais avant que le spectacle d’horreur atteint son paroxysme, la vision d’Alaura fut obstruée. Des robes de charbon et de suie dansaient à présent autour de son propre corps. Ces corbeaux en bure de minuit formèrent un cercle autour de la prisonnière entravée. Sous leurs vêtements, pulsaient des veines bleues. L’heure était arrivée.
Avait-ils seulement un corps, un visage, une existence réelle hors de ce lieu ? Rien n’était moins sur.
Sept, ils étaient sept spectres à flotter au-dessus d’elle. L’un d’eux posa une perle blanche aux mille facettes sur son front. Elle était semblable à l’orbe alien, la lune d’une nuit d’hiver, et au contact de sa peau la femme eut l’impression de naître et mourir à la fois dans un océan fractal infini.
Tout ceci n’avait duré qu’un instant, à présent perdu dans les replis du temps. Car au moment où Alaura s’était saisi de l’orbe, Jinn vit la femme s’effondrer sur le sol. Une mince couche de glace noire pellicula aussitôt toute son armure, et la sphère roula non loin de son corps.
Verset 6 – Nage à contre courant
Elle reprit conscience de maigres secondes plus tard, le visage marqué de fines rides qui n’étaient pas encore de son âge. Les yeux exorbités, les traits tirés, elle sembla scruter fixement le plafond sans dire un mot.
— Nous, s’avança Jinn avec une grande timidité. Nous, avons un problème ?
La prêtresse prit alors le ton le plus calme et solennel qu’elle pu.
— Écoutez-moi bien monsieur Arthemys. Je vais régler le montant intégral de l’impayé, ainsi que celui de la commande actuelle. Et je vais ajouter 250 000 crédits impériaux pour faire disparaitre toute trace de cet échange. Vous allez faire preuve de la discrétion la plus ultime.
Le verbe du contrebandier devint soudain beaucoup trop affable pour être sincère, avec une timidité qu’Alaura ne lui reconnut plus.
— Le No Question Ask vous remercie d’avoir mit fin à ce quiproquo. Vous restez l’un de nos clients les plus fidèles… et également les plus exigeants. Et c’est toujours un plaisir renouvelé. Heu, néanmoins, le service de discrétion ultime est plus efficace si nous savons envers qui ou quelle organisation nous devons dissimuler cette transaction.
— Ces informations doivent absolument rester secrète auprès de… de…
La prêtresse Luxeed se releva péniblement, titubant jusqu’au bord de la soute. En dépit du calme qu’elle projetait, sa respiration fut haletante et saccadée. De l’eau perlait sur son visage, qui aurait pu être de la sueur autant que des larmes ou encore du givre fondu. Elle plaqua ses deux mains noirâtre contre la paroi de la coque et baissa la tête vers le sol, puis termina sa phrase dans un long soupir :
— De l’Administratum de l’Ordre Noir elle-même.
Lorsqu’elle se retourna pour observer la réaction de Jinn, il se trouva que l’homme avait bu le quart de la bouteille de Radegast 2947 d’une seule traite.
— Voilà qui n’est pas conventionnel, mais cela reste pourtant acceptable par notre politique commerciale ! Toutes les informations concernant cet échange seront masquées. Autre chose ?
Sa phrase avait plus les accents d’une supplique que d’une question.
— Vous ne vous en rendez pas compte, mais je viens de sauver votre commerce, vos vies, autant que notre approvisionnement en armes. Si l’un seul des membres de l’Administratum avait su cela : Hyastan ou Mithra, vous seriez déjà tous mort.
— Je ne suis pas certain de comprendre, et sur un autre plan je ne suis pas certain de vouloir comprendre non plus.
Un sourire carnassier s’esquissa sur les lèvres d’Alaura.
— Dans l’optique de la pérennité de nos accords commerciaux fit la Panthère, cela mérite amplement une compensation. Car, vous n’avez certainement pas conclu un échange avec un adepte honorable au sujet de cet artéfact. Comprenez-vous maintenant ?
— Oh ! Dans cas je crois bien que NOUS avons un problème. Vous de sécurité et nous de confiance. Mais comment est-ce possible ? Les codes d’indentifications étaient parfaitement valides !
— Je m’occuperai d’enquêter sur la question en toute discrétion dès mon retour au Temple. Mais le contact avec cet objet. Il s’est passé quelque chose. Une vision, qui n’est pas de bon augure. Et sachez monsieur Arthemys, que les miennes prennent ce genre d’affaire très au sérieux.
— Je suis certain que le NQA peut trouver une sorte de consolation en guise d’excuses, heu, comment pourrions-nous vous aider ?
— Essentiellement en vous taisant et en continuant à ne pas poser de questions. Vous êtes sage, l’omertà est votre assurance-vie. Mais puisque vous l’évoquez, il y a des rumeurs !
— Ah oui ? Il y a toujours des rumeurs !
— Concernant la fuite de plans de fabrication d’un prototype d’armure de chez Kastak Arms.
— Oh ça ! Vous ne voudriez tout de même pas nous remplacer ?
— Certes non, mais en qualité de démiurge de l’Intendance, j’ai la fibre créatrice. Alors ?
— Il est possible que nous ayons ce genre de plans en archive. Et peut-être même les matériaux nécessaires à sa réalisation. Cela suffirait-il à éponger le préjudice moral ?
— Ainsi que renforcer notre confiance dans vos équipements et…
Luxeed marqua une pause, silencieuse et contemplative, en communion avec son environnement immédiat.
— Est-ce que ce sont des coups de feu ?
Plusieurs séries de détonations étouffées semblèrent se répercuter dans la soute, suivis du crépitement de moteurs. Des bribes de conversations éparses s’échappèrent des casques. Alaura l’enfila sans tarder, et Jinn l’imita derrière.
Verset 7 – Le chat à neuf queues
— Gidéon ? Aquila ? Ici Luxeed ! Que se passe-t-il dehors ? A vous.
La voix du croisé Gideon Orslaw tonna dans le Comm-Link.
— Que, quoi ? Comment ça, que se passe-t-il dehors ! Mais où êtes-vous passé par le Prophète ! On se fait raider par Crusader Security, voilà ce qui se passe ! Remontez dans le Cutlass prêtresse, ça commence à dégénérer ! A vous.
— Ici Lespine, intervint le sniper en chuchotant. Je suis posté en embuscade, visuel sur le C1 pour couverture. Permission de purger ? A vous.
— Ici Luxeed, vous avez tous la bénédiction de la Croisade Noire. A vous.
Sur ces mots la femme roula l’orbe dans du tissu puis jeta l’objet au trafiquant.
— Remettez cela en sécurité comme vous savez le faire, et empêcher à tous prix la transaction d’aboutir. Si ce fameux croisé se présente à nouveau, faites trainer et contactez moi immédiatement.
Alaura et Jinn sortirent à la hâte du vaisseau cargo, embrassant le chaos qui s’offrait à eux.
La tempête avait cessée et la nuit commença à se répandre. Au loin au-dessus des dunes, la courbure de Crusader montait doucement dans le ciel de Daymar.
Au pied du Spirit une armure noire et violette chargeait à la hâte des munitions dans un lance-missile Kahix, quand une salve de Mantis GT-220 l’éparpilla en une brume sanguine. L’engin explosa en une boule de feu projetant des mottes de sables et des morceaux d’armures ensanglantées à 360°. Le hurlement des moteurs s’ajouta à l’onde de choc quand l’Avenger passa en rase-mottes au dessus du camp.
— Ici Orslaw, j’ai deux Avenger Titan en visuel, un Stalker et… bordel de merde, un Redeemer sur le radar ! Ils ne viennent quand même pas tous pour ma CrimeStat !
— Le désastre de Gundo, puis la guerre des gangs de Jumptown, Kareah puis le siège d’Orison. Vous n’êtes pas le centre de l’attention, croisé Orslaw. Il semble que Crusader se donne enfin les moyens de ses ambitions. Mais nous avons indéniablement mit le feu aux poudres ! Il faut quitter la zone au plus vite, les Nine Tails ne vont pas se laisser faire !
L’Avenger refit un passage à basse altitude en mitraillant par salves des poches de résistance Nine Tails. Plus haut le Redeemer commençait son approche finale en réalisant des cercles au-dessus de la Whistler’s Crypt. Les quatre Behring de l’Aegis crachaient du plomb sur la fourmilière.
Un flash illumina soudain le ciel suivit d’une onde de choc balayant une montagne de poussière. A travers la brume de silice, il pleuvait des morceaux de Titan chauffés à blanc. La visibilité devint à nouveau nulle. La guerre, c’etait le chaos. Et le chaos était la raison d’être de l’Ordre. Alaura n’avait jamais voulu transformer ce lieu en tombeau, mais l’idée commençait à faire son chemin.
— Jinn, ici Alaura. Vous avez à présent accès à notre canal de Croisade. Par pitié Jinn, ne me dite pas que c’est vous qui avez fourni un Ballista aux Nine Tails.
— C’était une très bonne affaire. Mais je crois que je commence à regretter.
— Et vous avez fourni quoi d’autre encore ?
— Vous vous souvenez ! No Question Ask !
L’homme se mit à couvert derrière un rocher tandis qu’une tente à proximité fut pulvérisée sous la mitraille. Des rafales lasers volaient au hasard dans le brouillard.
— Le NQA et sa satané politique commerciale, râla Luxeed sur les com !
— L’ONR et sa paranoïa !
— Ici, Orslaw. La situation est complexe. Le Ballista verrouille complètement le ciel. Ca tient le Redeemer à distance, mais mon Cutlass aussi.
— Et le C1 ? S’enquit Lespine.
La question resta un moment en suspens. Jinn désigna à Alaura l’ombre de l’épave d’un Mercury, elle opina de la tête. Le couple courût hors d’haleine jusqu’à l’abris. Les Nine Tails furent à deux doigts de les abattre à vue puis baissèrent leurs armes devant l’armure de Jinn. La prêtresse reprit son souffle puis ouvrit son micro.
— Nous n’allons pas monter avec le NQA, Lespine. Si nous montons à bord pour fuir, cela ira briser le statu quo commercial de Jinn et Yvan. Les Nine Tails iront se venger et nous pourrons dire adieu à notre fournisseur, tout en ayant le gang principal de Stanton sur le dos. Si Crusader Security saisi le cargo du NQA, nous allons également perdre Jinn ainsi que… heu.. certaines informations qui ne doivent jamais quitter la Whistlers Crypt.
— Prêtresse, je vais pas pouvoir vous couvrir bien longtemps avec des si. Il me faut un plan de bataille clair et des munitions.
— Il y a une cache d’arme non loin, ajouta monsieur Arthemys. Je vous transmets ses coordonnées. Prenez ce dont vous avez besoin, c’est ma tournée !
— Ici Lespine, bien reçu. Ce n’est pas trop loin je m’y rend. Terminé.
La poussière de la déflation était retombée, laissant un ciel clair et pur au dessus de la crypte. En risquant une reconnaissance, Aquila se retrouva à nouveau seul face au désert. La marée de dunes ondoyait de façon lascive devant ses yeux. Les courbes sinueuses évoquant parfois des hanches de caramel et de miel jouaient en dents de scie. Les mâchoires du désert de Daymar furent d’un beauté pénétrante, mais non moins mortelles.
Derrière ce théâtre mystique se levait Crusader, dans une aube pourpre. La géante gazeuse montait dans le ciel au milieu d’une nuit bleutée. Le paysage semblait intemporel. Dans un autre siècle, peut-être, les humains auraient peint cette fresque pour orner leurs temples, leurs châteaux et vénérer cette vision. De nos jours l’image n’était plus bonne qu’à décorer la chambre d’un nabab dans un 890.
— PUTAIN DE MERDE EST-CE VOUS VOUS FOUTEZ DE MA GUEULE ?
— Croisé Lespine, répliqua Gideon, que se passe-t-il ? Répondez !
Sans aucune réponse de son frère, Orslaw se risqua à un passage en bordure de la crypte. Il poussa les moteurs du Cutlass jusqu’à la rupture et le voyant de défaillance du circuit de refroidissement s’illumina sans surprises. Les deux turbines laissèrent échapper un gros panache de fumée. Malheureusement pour lui un autre témoin lumineux s’alluma dans la foulée : rdr lock. La poussée de chaleur des moteurs l’avait transformé en un appât de choix pour le Ballista qui fit feux dans la seconde. Le pilote fit pleurer des leurres infrarouge puis rasant un massif de pierre, passa en rase-mottes au dessus du camp. Plus aucun signe d’Aquila au sol jusqu’à :
— Gidéon, dégagez de mon ciel !
La voix désincarnée dans les com le surpris totalement, mais dans un reflexe de survie il obéit sans tarder en prenant à nouveau le large. Au sol, à tribord, une pluie de missiles S1 s’éleva vers les cieux dans plusieurs directions à la fois. Une grêle de 60 missiles Marksman I et 10 Ignite II vint frapper les Avenger encore en vol les uns après les autres puis martela le blindage du Redeemer.
— T’as perdu ton Scalpel, Aquila ?
La voix riante du frère Lespine lui donna le change sur la radio.
— Oui, la portée de celui là est meilleure ! Dommage qu’il ne rentre pas dans un cuty !
Verset 8 : Rituel de Lethe
Du sol, Alaura vit le spectacle du ciel s’embraser sous le regard de Crusader. Après le tonnerre des tambours de la guerre, survint la pluie de débris enflammés tomber comme autant d’étoiles filantes en métal.
Si la prêtresse jubilait intérieurement, Jinn comptait déjà ses dommages et intérêts pour le matériel détruit. Au moins le Ballista et le Storm AA était encore en état… pour le moment.
— Avarie moteur, déclara Gidéon, je décroche ! Crusader Security va certainement envoyer des renforts. Ils sont sur le pieds de guerre maintenant. Je vois ces hérétiques s’agiter au sol comme des cafards.
Puis le Drake disparu dans la nuit.
— Guerre ? Songea Alaura.
La prêtresse n’en avait pas terminé avec ce lieu maudit. Tout devait brûler. Elle décrocha son Comm-Link sur un nouveau canal crypté.
— Ici Alaura Luxeed. Connexion au réseau Narthex requise, demande d’intercession d’un cryptarque.
A plusieurs centaines de kilomètres en orbite de Daymar, un croisé à la voix nasillarde et mal assurée prit sa requête.
— Bonjour prêtresse, ici cryptarque Kurosar depuis l’Herald Dern du réseau Narthex. Quelle est votre requête prêtresse ? Nous avons plusieurs rapports d’activités hérétiques dans votre secteur.
— Je requière un rituel de Lethe.
Alaura pu presque entendre sa surprise.
— Veuillez procéder à la confirmation vocale, prêtresse.
— Moi, Alaura Panthera Luxeed, prêtresse et démiurge de l’Ordre Noir, par injonction du Code Noir et ordination de la prêtrise, je requière le rituel de Lethe.
— C’est enregistré. Votre accréditation au rituel de Lethe est validée. Confirmez l’âme à éveiller.
— Calibrez sur moi-même.
— Prêtresse, généralement ce genre de rituel se doit d’être encadré par…
— EXÉCUTION, cryptarque ! Calibrez et verrouillez !
— Il sera fait selon votre volonté prêtresse. Que le Vajrayana guide votre âme jusqu’à l’Arcana. Gloire à l’Ordre. Cryptarque Kurosar, terminé.
Elle ferma le canal puis bascula sur celui de proximité :
— Jinn ! Vous devriez avoir une fenêtre de sortie maintenant, partez avec le C1 et emportez notre découverte commune. Vous savez à quoi vous en tenir ! Aquila, tentez de rejoindre Orslaw et préparez-vous à accueillir des convertis. Si votre intuition s’avère mauvaise, abattez-les sur place. L’Ordre Noir accueille de nouveaux disciples, mais ne fait pas de prisonniers. Les faibles ne méritent pas votre pitié.
— Et vous prêtresse ? J’ai pour mission stricte de l’Administratum de vous garder en vie, pas de convertir !
— Croisé Lespine, mon frère. Je dois entamer un voyage dans lequel vous ne pouvez me suivre.
— Cutlass de Crusader Security en approche, gronda Gideon.
— Maintenant ! C’est un ordre !
La prêtresse quitta l’abris du Mercury en ruine pour escalader le promontoire rocheux le plus en vue. A son sommet elle disposa une série de flairs qu’elle avait glané sur plusieurs cadavres. Elle verrouilla ensuite son signal Comm-Link sur le faisceau du Herald, qui étendit ainsi la portée de sa diffusion de quelques mètres à plusieurs kilomètres. Du haut de son perchoir, la Panthère avait une vision panoramique des évènements.
Deux Cutlass de Crusader sortirent du désert en vol à très basse altitude, et le temps que le Ballista fit pivoter ses derniers missiles, une troupe de miliciens étaient déjà au sol. Non loin du débarquement Aquila fit manœuvrer son Storm entre les morceaux d’épaves encore brulant et fonça droit sur la première formation à portée. Des hurlements d’horreur accompagnèrent le bruit du métal et des os broyés sous la puissance des chenilles. Derrière son véhicule qui fonçait à tombeau ouvert vers la position de Gideon, une large trainée de sang pointait vers le désert.
Des salves d’armes automatiques volaient déjà direction de Luxeed, mais elle n’en eut que faire. Elle farfouilla d’une main dans les poches internes de son caftan en carbonsilk et y dénicha un stylo auto-injecteur du Prieuré du Moratorium.
Tandis que les mots Lethe, et guerre résonnaient dans sa tête comme des coups de canons, elle s’injecta l’intégralité du contenu.
Une balle perdu frôla soudain son bras. La douleur ne vint jamais. Elle en ria à gorge déployée comme un démon, puis s’assit en zazen. Son micro était ouvert.
— Que ceux qui osent chercher la rédemption du Vajrayana aille trouver l’Oiseau du Désert. Si Daymar le veut, à plusieurs kilomètres à l’azimuth 270 plein ouest, le croisé Gidéon Orslaw vous offrira la liberté. Car ce lieu est à présent impur et doit être purifié. Que le bras sauvage de la Croisade Noire s’abbate sur les impies et les mécréants. J’en appel à Lethe afin qu’il élève mon âme au firmament de l’éveil.
La prêtresse se leva, tout comme elle leva les bras en direction du ciel. Puis entonna une prière venue du fond des âges alors que les balles commencèrent à siffler en sa direction.
« Par Lethe, prends-moi, Vajrayana,
Dans la richesse divine de ton silence,
Plénitude capable de tout combler en mon âme.
Vérité ineffable de la Croisade Noire,
Fais taire en moi ce qui n’est pas toi,
Ce qui n’est pas ta présence
Toute pure,
Toute solitaire,
Toute paisible et immortelle,
Car je marche sans peurs dans les ténèbres.’’
Un impact de balle en pleine poitrine lui fit perdre l’équilibre, elle sentit le métal dans sa chair et un liquide chaud se répandre sous sa combinaison. Le HUD du casque hurla sous la dépressurisation du système.
Mais rien n’arrête une adepte de l’Ordre Noir. Alaura roula par terre et releva, faisant à nouveau face au spectacle de la bataille.
‘’Impose silence à mes désirs,
A mes caprices,
A mes rêves d’évasion,
A la violence de mes passions.
Impose silence à mes ennemis,
A leurs folies
A leur hérésie
A l’abime de leur ignorance.
Lethe, couvre par ton silence,
La voix de mes revendications,
De mes plaintes.
Imprègne de ton silence
Ma nature trop impatiente de parler,
Trop portée à l’action extérieure et bruyante.’’
Une salve de lasers balaya le promontoire, envoyant la prêtresse s’effondrer dans du sable transformé en verre. Le souffle court, la bouche emplie du goût du sang, elle lutta pour se relever. Sous l’impact la visière de son casque commençait à se fendre, mais le micro émettait encore. Elle eut un haut le cœur et ordonna à ses muscles de se plier à sa volonté.
‘’Impose même silence à ma prière,
Pour quelle soit élan vers toi ;
Fais descendre ton silence
Des cieux jusqu’au fond de mon être
Et fais remonter ce silence vers toi
En hommage de la foi,
Par Lethe, Vajrayana, mon âme est à toi«
Mais Alaura Luxeed était faible. Alaura Luxeed était impure, et ses muscles cedèrent avant sa volonté. La Panthère s’écroula à nouveau sur le lit de silice vitrifié, donnant à ses nerfs une dernière impulsion pour lever les yeux au ciel.
La voix faible de Gideon fulminait de rage dans son casque.
— Lethe ! Alaura, vous avez entamé un rituel de La Première Mort sans même nous consulter ? J’y crois pas ! La prêtresse est une vierge ! Une impure ! Aquila ! On décroche, Alaura a fait son choix, il ne faut pas rester ici !
Aucune réponse ne vint.
Dans un soupir de douce agonie, la vision d’Alaura se brouilla. Crusader était maintenant haute dans le ciel. Une boule flou à la teinte violacée qui fixait le massacre d’une fourmilière sans ciller. Sa lumière impie illuminait le ciel comme un astre qui ne méritait pas ce titre.
— Fumées et poussières, pensa Alaura en fixant la géante gazeuse. Comme l’UEE. Ton existence est vanité.
Soudain une ombre profilée s’interposa entre elle et l’astre. Le vent souffla, des Colossus tombèrent, et la Whistlers Crypt fut noyée sous un dôme de flammes.
L’âme de la prêtresse fut purifiée et Lethe imposa son silence aux impies.