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Je ne crains pas la mort.
Nargit Hyastan, Discours des Sphères, 2952, Archives de l’Inquisitorum.
J’étais mort depuis des milliards et des milliards d’années avant ma naissance,
et je n’en avais pas subi le moindre inconvénient. Vous, avez-vous peur de
mourir ? Moi, je n’ai peur que de ne pas assez vivre.
Verset 1 – Pas d’improvisation
Son datapad crypté en main, Yohan Dirmac prit le chemin du poste de sécurité du Brentworth Care Center de New Babbage. En chemin son trajet croisa celui d’une journalise people trop réputée à son goût, dont l’homme évita soigneusement l’angle de la caméra drone.
Au coin d’un couloir, un autre infirmier étrange observait les moindres faits et gestes de la star de Spectrum, et quelque chose dans son attitude lui sembla vaguement familier.
Cette pensée mit Yohan mal à l’aise. En vérifiant que les couloirs étaient vides, il rectifia son uniforme d’agent spécial de l’Advocacy, vérifia que son arme de service était toujours chargée mais sur le cran de sécurité puis se replongea avec dépit dans le personnage le plus déprimant de l’univers : Godric Riggs. Le croisé Dirmac était un homme d’action et toute cette comédie l’irritait au plus haut point. Les consignes d’Hyastan étaient simple : suivre le plan et pas d’improvisation. Mais pourquoi lui ?
Jouer au milouf de l’Empire, c’était une tâche pour l’inquisiteur ou le « Sergent » Salpha, grommela-t-il pour lui en passant le contrôle de sécurité. Tout ce simulacre d’inspection de l’Advocacy c’est vraiment des conneries ! Et où est passé l’équipe d’Hyastan quand on a besoin d’elle !
Il passa le contrôle du PC sécurité aussi facilement que celui de Ruin Station, l’odeur des excréments et de la poudre en moins. Puis il s’afféra sur le terminal dédié jusqu’à ce qu’un trouffion vienne mettre son nez au mauvais endroit au mauvais moment.
— Que vous faites-vous ici ? Pas un geste ! Les mains en l’air, vous allez avoir de gros problèmes mon gars ! Présentez votre accréditation !
La pièce était déserte. Pendant un instant Dirmac songea à abattre ce débile d’une balle dans la tête, mais se ravisa aussitôt en avalant sa salive.
Pas d’improvisation !
Il se retourna le plus calmement du monde, et dévisagea longuement l’agent de la sécurité. Il avait une vraie tête d’ahuri comme Yohan les aimait.
— Je ne crois pas non. C’est vous qui allez avoir des problèmes, rétorqua le croisé Dirmac en prenant illico l’ascendant psychologique.
Yohan lui présenta sa mobiGlas, qui diffusa son insigne falsifié en trois dimensions.
— Godric Riggs, Agent Spécial de l’Advocacy. Baissez votre arme. C’est trop tard. Vous êtes dans la merde mon vieux ! Le temps que vous finissiez votre café et vos donuts, j’aurai pu hacker la moitié de ce bâtiment tout en matant un hentaï !
— Qu’est-ce que vous dites ?
— Quoi vous n’avez pas vu mon accréditation ? Êtes-vous aveugle en plus d’être incompétent ? Monsieur… ?
— David Mengus, responsable de la sécurité au BCR. C’est-à-dire que, l’on ne m’a prévenu de rien, monsieur !
— Voilà le topo, David ! Ma section a été diligenté par l’agent spéciale Rowena Dulli, attaché au CDF. Suite à l’Overdrive Initiative ainsi que l’attaque de XenoThreat, ma collègue a mené une enquête préliminaire au sujet de votre société. Dossier que j’ai été encouragé à reprendre en main. Madame Dulli pensait avoir découvert de nombreuses irrégularités sur la façon dont ce centre est géré. Il semble que plusieurs patients ont été mit en danger après leur séjour ici. Eh bien ! Elle ne sera pas déçue de mon rapport ! Rassemblez vos effectifs, je vais devoir ouvrir une enquête approfondie !
Yohan ouvrit à nouveau sa mobiGlas et passa sur un canal crypté. Bien que ce qu’il allait révéler fut en principe confidentiel, il s’apprêtera à en parler à haute voix de manière à ce que son interlocuteur puisse l’entendre. Un bon ascendant psychologique valait son pesant d’or, autant en tirer profit.
— Agent Spécial Lockhart , amener le Kamur Dalion à portée de transmission et ouvrez un canal de transfert sécurisé vers le bâtiment. Nous avons fort à faire ici ! Agent Spécial Youssef, rejoignez-moi dès que possible.
L’autre passa nerveusement sa main dans les cheveux tout en admirant le verni ciré de ses chaussures de sécurité.
— Je peux faire quelque chose pour vous ? S’enquit David tout penaud.
— Un accès aux serveurs de la clinique avec les fichiers logs des régénérations de ces dernières 48h. Nous allons lancer un diagnostic de sécurité du système, également ! Pendant ce temps monsieur Mengus, dites-moi, comment sont sécurisé les données des Sphères d’Ibrahim dans cet établissement ? Nous gagnerons un temps fou !
— Ce processus est sous la responsabilité de BiotiCorp enfin ! Votre demande n’est pas régulière !
Dirmac poussa un long soupir de consternation, et puisa dans sa dernière réserve de créativité sociale. Le souvenir de la dernière rencontre dans les couloirs lui revint en mémoire.
— Connaissez-vous une certaine Nicole Nitto-Ottoni, ou bien un monsieur Alan Nuevo, par hasard ?
— Je ne suis pas certain de comprendre la nature de votre question.
En entrant dans la pièce Clint Kefrey leva les yeux au ciel de consternation, puis inspira profondément. Ce moment de répit lui permit d’entrer dans son personnage.
— Contentez-vous de répondre aux questions de monsieur. Vous allez nous le mettre en colère, s’interposa Youssef sous son identité d’emprunt. Le dernier qui s’est interposé dans une enquête de mon collègue est aujourd’hui balayeur sur MIC-L1.
— On dit technicien de surface Youssef, ricana son collègue. Balayeur c’est dégradant. David ne souhaite certainement pas être dégradé, n’est-ce pas ?
Avec sa stature imposante et son regard de gamin des rues aussi sombre que sa chevelure, Clint en rajouta une couche par sa seule présence physique. Dommage pour son matricule, car l’agent sécurité Mengus était tombé sur le duo de méchant flic et… flic brutal.
— Ottoni jamais entendu parlé, lâcha David. Qui ne connait pas Alan Nuevo en revanche, s’empressa-t-il d’ajouter. Il est l’un de nos illustres clients qui donne ses lettres de noblesse à notre établissement.
Youssef fit un pas de plus vers l’homme, de manière à le dominer de toute sa stature puis lui posa sa main massive sur l’épaule.
— Voyez-vous, il semble que l’Empire que nous représentons ici, soit plus soucieux que vous de la sécurité de personnalités d’envergure. Ceci est d’autant plus vrai depuis les incidents relatifs à la XenoThreat ainsi que le siège d’Orison. Il y a de nombreuses chose qui me dérange ici, mais je vais commencer par la première. Lors d’une analyse préliminaire, notre collègue a pu facilement établir des relations entre du personnel du Brentworth Care Center et le Syndicat Otoni. Pensez-vous que monsieur Nuevo, pour ne citer que lui, serait heureux de savoir que votre personnel est infiltré par la mafia de Stanton ?
L’homme se décomposa. Son magnifique teint halé vira au blanc façon MicroTech.
— Que dois-je faire ? Bégaya-t-il.
— Rien de plus simple, poursuivit Dirmac. Coopérez et ne nous faites pas perdre notre temps. Si notre enquête doit rester confidentielle, vous comprenez tout à fait la capacité de nuisance que peut représenter un, ou plusieurs monsieur Nuevo insatisfaits pour ce centre.
— Oui, oui, bien sûr.
— Monsieur ! Vous devriez venir voir ça, fit la voix de Salpha sur un Comm-Link encore ouvert.
— Qu’il y a-t-il, agent Lockhart ? Je suis à votre écoute.
Un silence étrangement long ponctua l’échange. Salpha luttait lui aussi pour ne pas griller sa couverture en employant un vocabulaire trop digne d’un croisé. L’attente parût interminable.
— Le Kamur à tracé une communication irrégulière provenant du BCR. C’est exactement ce que nous cherchions… monsieur.
Kefrey ne put s’empêcher de sourire à la suite de ce « monsieur » qui vint bien trop tard dans la phrase pour paraître naturel.
— Qu’entendez-vous par irrégulière ? Précisez ! Je constate déjà une flopé de choses irrégulières ici !
De l’autre côté du communicateur Salpha menait un combat intérieur pour surveiller ses propos, mais l’ampleur de la découverte surpassa sa contenance. Il débita son explication à la hâte, en trébuchant sur plusieurs mots.
— La transmission était hautement cryptée, pas le genre de protocole qui devrait émaner d’une clinique. Je n’ai pu en extraire que les meta-données. Mais elles sont déjà significatives. Une transmission vidéo entre plusieurs individus, dont l’un utilise un protocole de codage de l’Ordre Noir. Le faisceau a été rerouté à plusieurs reprises mais j’ai pu trianguler la position d’une des mobiGlas de réception. ArcCorp, Area18, secteur de la Plaza.
— L’Ordre Noir ? Répéta l’agent de sécurité.
Dirmac failli presque s’étouffer en entendant le nom de son organisation dans la bouche de l’homme. En forçant le jeu d’acteur, il déclara à haute voix :
— Le QG des activités de Pacheco ! Comme par hasard !
David s’empressa de tapoter sur le clavier du terminal, en faisant apparaitre sur un écran déporté la note de service relative à l’Ordre Noir. Il lut le texte à voix basse.
— Ordre Noir ou ONR. Organisation terroriste fanatique à consonance pseudo religieuse. Leader présumé : Joe Hartwel Hallen, prophète auto-proclamé.
Puis Salpha ajouta à son tour :
— Oui et l’appel est liée à une mobiGlas du personnel soignant, une certaine Izel Malapert. J’ai recoupé les données du personnel. Cette personne n’existe pas.
— Les autres personnes ?
— Le niveau de cryptage est trop élevé pour que j’arrive à le casser. Qui que ce soit, cet individu n’est pas un minable ouvrier. C’est du haut niveau.
— D’où vient l’appel ?
— Chambre 404, monsieur.
Yohan se tourna vers David, un sourire mauvais sur le coin sur les lèvres.
— Vous allez enfin pouvoir vous rendre utile. Trouvez-moi le patient de la chambre 404, et vite !
L’homme se rua vers un second terminal puis y pianota avec un zèle incroyable.
— Ethan Senter, selon le log de régénération ! Mais aussi bizarre que… attendez.. c’est très étrange ça… Ethan Senter aurait dû être transféré vers Anodyne & More il y a déjà plusieurs jours mais… quelqu’un s’est interposé dans la procédure.
— Qui ça ? Transmettez-moi son identifiant de connexion mobiGlas. Kamur, vous pouvez m’analyser ça ?
Il y eut un court instant de latence.
— Oh, non ! Fit Salpha depuis sa liaison avec le vaisseau.
— Vous pouvez être plus spécifique ?
— La base de données de l’Empire, identifie bien cette personne comme Izel Malapert. Mais… avec une analyse croisée à l’aide de Jupiter, l’ID correspond à une bonne douzaine d’alias dont l’une que l’on connait bien : Kaitlyn Wright.
Salpha lâcha un « putain » en Comm-Link ouvert, Dirmac serra les poings et Kefrey piqua une suée. En contemplant l’attitude des deux hommes l’encadrant, monsieur Mengus su qu’il était la merde jusqu’au cou. Car si ce nom semblait anodin, les trois croisés ici présent savaient qu’il s’agissait du nom de la paria, la renégate et la fauteuse de trouble de l’Ordre Noir.
Puis dans la foulée Salpha lâcha une nouvelle bombe.
— Je ne peux pas cracker le cryptage mais je sais en reconnaître l’artisan. Il y a là autant du travail d’Echo que la signature Narthex d’Hyastan.
Sur l’instant aucun des trois ne sut comment réagir. Jusqu’à ce que Clint perde le contrôle de son personnage :
— Wright ? De mieux en mieux ! Cette clinique dorée est un vrai nid d’héré… d’espion ! Faites-nous immédiatement une copie de toutes les données de régénération vers le Mercury, nous devons transmettre ces données à l’Ordre Noir au plus vite ! Fit Kefrey à Salpha en parlant via la mobiGlas de Dirmac.
Le croisé tenta de se reprendre mais ce fut trop tard, son franc parlé naturel avait pris le dessus. Voyant le point de rupture de son frère dépassé, Yohan embraya aussitôt d’un air furieux.
— J’espère que vous avez des explications particulièrement détaillées monsieur Mengus ! Car je suis sur le point de vous inculper pour entrave à une enquête et association de malfaiteurs.
— Des explications ? Tonna David.
L’agent de sécurité tapa encore plus fiévreusement sur son terminal. Il prit un soin maladroit à cacher l’écran d’affichage à Dirmac et Kefrey, qui reculait déjà vers la porte.
Ce n’est que lorsque Clint revint dans la pièce que Yohan se rendit compte que son bras droit s’était absenté de longues minutes. Il avait enfilé une paire de gants chirurgicaux et tenait dans ses mains un ParaMed chargé à bloc.
L’agent de sécurité se détourna subitement, l’œil torve, en étudiant le comportement des deux hommes. Derrière lui, la console principale du PC sécurité affichait les demandes d’accès protocolaires ainsi qu’une fenêtre vers une connexion une base de données de l’Advocacy. Le symbole d’activation de l’alarme silencieuse pulsait en fond.
Quand Clint s’approcha avec son CureLife au poing, le garde tenta de se saisir de sa propre arme de service. Dirmac fut vif comme l’éclair, mais l’autre homme avait déjà son pistolet en main, le doigt sur la sécurité. Le croisé bloqua tant bien que mal le mouvement de l’assaillant en plaquant l’arme contre le bassin et vers le sol. Mais dans un rapport de force pour se dégager, l’homme sans entraînement paniqua et lâcha une salve de tirs étouffés dans l’ordinateur.
Au milieu du combat l’appareil grésilla dans des gerbes d’étincelles puis cessa de fonctionner.
Dirmac joua de ses muscles pour le maîtriser, il se débâti de plus belle. Mais sans la moindre chance face à la carrure et au vécu difficile des forcenés de l’Ordre Noir. Clint appuya sur la détente du CureLife à bout portant, vidant l’intégralité de la solution, devant le regard atterré de Yohan. Puis le garde s’effondra sous l’overdose.
— Agent Riggs, chanta Kefrey, veuillez prendre ma déposition. Que le responsable de la sécurité du BCR, après avoir avoué sa culpabilité dans une relation avec la mafia de Stanton s’est suicidé ce matin ! Avec de fortes lésions cérébrales dû à une overdose rendant sa future régénération imprévisible, ses souvenirs récents incertains et son témoignage irrecevable. Il semble également avoir tenté d’effacer les preuves de sa culpabilité en forçant l’ordinateur central, puis en usant de son arme de service contre celui-ci.
Lorsque l’agent de sécurité fut inerte au sol, Clint lui passa la main à la poignée du CureLife.
— Vous avez quelque chose à déclarer, monsieur ? Fit Kefrey à destination de Dirmac. C’est comme ça que l’on faisait sur Lorville. Pas de traces, pas de témoins, pas de problèmes !
— Et pas d’improvisation ! Gueula Yohan en se retenant bien d’aller défenestrer son frère d’armes.
— Qu’est-ce qui se passe en bas ? Fit la voix de Salpha via Comm-Link. Je détecte l’activation d’une alarme silencieuse, et certains de mes accès au terminal viennent de se fermer.
— C’est la merde, croisé ! Voilà ce qu’il se passe. Hyastan à disparu, Wright se balade dans le bâtiment, l’Administratum est impliquée, Clint vient de buter notre sésame, et le Prophète attends les données pour poursuivre l’opération. On a besoin de l’Inquisiteur, maintenant !
— Ca va, ronchonna Clint, des gens meurent tous les jours dans Stanton et parfois pour des raisons plus stupides. Un jour j’ai croisé un pilote sur Grim Hex qui avait pris le mauvais couloir sans enfiler son casque, et bah… bim ! Mort ! Ok, je l’avoue j’ai paniqué. Mais lui, il en savait beaucoup trop… et nous aussi maintenant, termina Clint en se massant les tempes.
Dirmac essaya à nouveau de lancer un appel Comm-Link vers l’équipe d’Hyastan mais sans succès. Le flux vidéo restait clos, et l’homme commençait à paniquer lui aussi. Il analysa la situation dans tous les sens et les déclarations de Salpha tournèrent en boucle dans sa tête.
Il tenta de chasser ces sombres pensées de son esprit tout en réalisant le même rituel rapide que Clint. Sans succès. Le croisé Dirmac était un homme d’action à la patience modérée. Il lança un regard circulaire autour de lui à la recherche d’une armoire de premier secours puis y piocha un stylo Opiopen ainsi que des décontractant musculaire. La drogue détendit sa chair et son esprit de façon artificielle.
— Comment on récupère les données maintenant ? Demanda Yohan en réfléchissant à voix haute. Indigo à besoin de la copie de tous les identifiants biologiques répertoriés au BCR pour passer les contrôles et mener la suite des opérations. C’est capital !
— Vous avez toujours un accès physique au terminal du PC de sécurité ? Comm-Linka Salpha.
— Non, vu d’ici le terminal est grillé. Je n’ai plus accès à rien ! Et créer le pont de connexion entre les différents serveurs c’était la tâche de Troy et Hyastan.
— D’accord, j’ai une idée alors. Celle de la dernière chance. Apparemment l’accès du MSR vers le BCR n’est toujours pas révoqué, mais c’est peut-être une question de minutes. Je peux encore utiliser Jupiter, pour forcer la connexion, et télécharger tout ce que l’on pourra.
— Ça risque de laisser des traces.
— Pas plus qu’un agent de sécurité mort d’une overdose louche pendant son service. Mais peu importe on sera tous loin à ce moment, rétorqua Yohan à Clint sur un ton acide. J’espère que tu pilotes mieux que tu ne réfléchis !
Puis il s’adressa à nouveau à Salpha.
— Ça va prendre combien de temps ? Une équipe de sécurité ne va pas tarder, et là, je suis à court d’imagination !
« D’improvisation » faillit-il dire, mais son choix changea au dernier moment.
— On ne peut pas laisser Wright courir après Senter sans rien faire non plus, Yohan. S’enflamma Clint en s’en mordant les lèvres. Salpha, transfert toutes les données que tu peux des serveurs BiotiCorp du BCR vers le Kamur, on les transmettra en route à indigo. Nous devons aller sur le site d’Anodyne & More, et vite ! Cette histoire pue l’hérésie !
— Vite ? Il est là le problème, mes frères. Vous allez devoir maintenir la connexion stable pendant que j’upload toutes les données.
— Par Le Prophète, Salpha ! Hyastan va nous purger ! T’as pas mieux ?
— Le Kamur possède du matos haut de gamme. On se refuse rien à l’Advocacy ! Je peux overclocker la vitesse de transmission, mais si je force trop, je risque de faire cramer tout le système.
— C’est bon, ça va aller, siffla Clint avec une nonchalance absolue. C’est comme un Ghost Hollow mais en moins barbant. En revanche pour tenir la position, il nous faudra mieux que ces WowBlast en mousse.
— On l’a déjà fait au moins cent fois sur Kareah, vous allez vous débrouiller. Vous vous y prenez comme vous voulez, mais vous devez rester à proximité du bâtiment pour que je puisse maintenir la connexion. J’ai déjà déployé Jupiter sur le réseau, il devrait vous laisser un accès à l’armurerie et s’occuper des caméras mal placées ! Et ne grillez pas la couverture du Kamur non plus !
— Et toujours aucunes nouvelles de l’équipe d’Hyastan ? Ça serait bien d’éviter les tirs collatéraux si… quand, ça va dégénérer.
— Non, j’ai perdu le contact aux abords de la salle des serveurs. Il semble il y avoir une zone morte étrange autour de cette section du bâtiment.
— Bien compris, termina Yohan Dirmac en entraînant son frère en dehors de la pièce. Pour la Croisade Noire !

Verset 2 –L’impasse new-babbienne
Nargit Hyastan reprit conscience sur le sol du bloc opératoire désaffecté du Brentworth Care Center de New Babbage avec un mal de crâne atroce, une lame Myuda Banu dans la main droite et son uniforme de l’Advocacy déjà maculé de sang.
Une certaine Izel Malapert, spécialiste en régénération de chez BiotiCorp se tenait au-dessus de lui, avec un sourire idiot ainsi qu’un vêtement tout autant tâché par de l’hemoglobine et de la sueur.
Tout semblait confus dans l’esprit et le corps meurtrie d’Hyastan, qui ressentait encore les effets de la décharge électrique paralysante ayant déferlée sur son système nerveux.
Je suis Paul Gorov, superviseur de l’Advocacy et mieux vaut pour vous que vous ayez une excellente explication à tout ceci, tenta d’exprimer sa tête. Pourtant ce que ses lèvres parvinrent à articuler fut très différent de l’idée, et seule une bouillie de mots ridicules s’en extirpa.
Kaitlyn Wright explosa d’un rire nerveux, au bord de la folie furieuse, son visage d’emprunt d’Izel Malapert le tacla sans ménagements d’une grimace infantile imitant le babillage d’un nourrisson.
— J’ai quedal à t’expliquer Nargit !
L’homme fut dégrisé dans l’instant, sa main droite avait déjà saisi la lame Banu qui fonçait vers la gorge de l’infirmière. Sur un simple spasme les muscles de Wright réagir à la milliseconde prêt. Elle enfonçant en réaction son pied dans les côtes du superviseur, qui toussa sous la douleur.
— Bordel Nargit !
Crève hérétique, formula l’esprit de l’Inquisiteur alors qu’un grognement étouffé s’échappa à la place de la phrase. L’entrainement de la Croisade Noire l’avait préparé à une pléthore de situation de combat, mais pas celle de contrer une tueuse hystérique se comportant comme une enfant.
Il chercha la posture de défense adaptée en se redressant, avec une prise puissante sur la jambe droite. Mais sous l’effort rapide le muscle se contracta dans une crampe brûlante et il chancela en foutant l’air de sa lame.
— Hola tout doux ! C’est moi ! C’est Kaitlyn !
Dans un moment de flottement Wright se demanda si Hyastan n’était pas en train de faire un AVC. Car le faciès de l’administrateur devint aussi livide qu’inexpressif. Dans sa tête pourtant, un million de questions et de conjectures enflammèrent ses neurones avec la puissance d’un ordinateur humain sous stéroïdes. Pourtant toute sa pensée fulgurante ne se matérialisa qu’en un phrasé haché :
— Putain ! Wright ?
— Heu, ouais. C’est une longue histoire, dont j’ignore moi-même la moitié !
— Par le Prophète ! Il va te tuer, Kaitlyn ! Fut la seule chose qu’il trouva à lui répondre.
— Ouais, je sais, ça ! C’est du déjà-vu, non ?
Hyastan prit un moment pour rassembler ses pensées, puis commença machinalement à examiner la personne qu’il avait en face de lui. Rien dans son apparence physique ne lui rappelait l’adolescente attardée qu’il avait côtoyé à la COP puis à l’ONR avant la disparition mystérieuse de la Carrack Metanoïa. Il fallait dire que la pénombre du lieu ne facilitait pas non plus l’analyse. La gestuelle corporelle elle-même semblait différente de ses souvenirs. Etait-ce là le travail du Dr Mithra au même titre que la recherche sur les incarna ? Jamais l’Administratum n’avait discuté d’un tel projet. Impossible ! Et avec quel financement ? Le Grand Inquisiteur Nargit Hyastan connaissait les moindres secrets de l’Ordre.
Une chose l’amusait tout de même, ce fut le décalage complet entre la personnalité bouillonnante de Wright et sa stature de femme médecin stricte quadragénaire. L’image d’un chien savant s’imprimait dans son imaginaire.
— J’y crois pas ! Qu’est-ce qui te fait marrer ? Le tança-t-elle au mépris de toute hiérarchie.
— Rien. Ou plutôt tout, en réalité. Ceci n’a absolument aucun sens ! C’est absurde.
Il décrocha sa mobiGlas.
— Francis, Alexandre, Pavlov, ici Paul Gorov, au rapport !
Aucune réponse ne vint
— Tu perds ton temps ! Ici c’était un bloc opératoire expérimental avant, prévu pour une quarantaine d’urgence. Le revêtement bloque un grand nombre d’émissions…
Elle marqua une courte pause, puis se glissa comme un serpent auprès de l’Inquisiteur. Pendant l’espace d’une seconde, il jura voir un visage différent sur ce corps de femme inadaptée. Wright le connaissait trop bien et ne lui laissa nullement le temps de se perdre en des conjectures qui à nouveau pourraient causer sa perte.
—… ce qui est parfait pour les indiscrétions en tout genre ! Tu ne crois pas ?
L’homme fit semblant de n’avoir rien entendu, et déroula le fils de sa pensée sans aucun filtre.
— Tu ne pourras pas fuir ou te cacher indéfiniment derrière Mithra, Kaitlyn. Hallen te retrouvera. Si tu m’expliques ce que tu fais ici, au beau milieu d’une opération capitale qui a nécessité des mois de travail, je peux plaider ta cause à l’Administratum. Et d’éviter quantités de souffrances inutiles.
Elle pouffa encore d’un rire dément en produisant une nouvelle grimasse grotesque.
— Ah si Hallen en savait autant que moi ! Quand sa seigneurie le grand moufti découvrira tous vos sales secrets, les gars. Ses zombies de l’Ordre vous enculeront tous tellement fort, que l’Imperial Géographic ira confondre vos trous du cul avec des Jump Points. Et au passage, il est mignon ton costume. On joue les agents double ? Ou triple peut-être ? Quadruple ? Je ne saisis plus trop les bordures de la schizophrénie des saints croisés !
— Wright, vous ne saisissez pas !
La femme perçue tout à fait l’impatience dans l’intonation de Nargit, et décida de s’en foutre.
— Non, en effet, et je m’en balance ! Allez-vous enfin ouvrir les yeux sur l’esclavage dans lequel vous vous êtes enfoncés ? J’en ai plus qu’assez de tout ce cirque, et je ne serai pas toujours là pour sauver vos fesses de la paranoïa de Hallen !
— Oh ! Comme la fois où vous avez fini au bûcher ? Les filtres à air de mon armure sentent encore la cendre !
— Question de point de vue ! Tu sais très bien que ça n’était pas vraiment moi, c’était une mise en scène.
— Précisément ! Qui êtes-vous vraiment Kaitlyn Wright ? Et plus important, dans quel camp êtes vous ? Madame… Izel Malapert, termina-t-il en lisant la broche BiotiCorp. Où est Mithra et sa satané Carrack, Kait’ ? On ne va pas y passer la journée !
Hyastan leva le couteau vers Wright, comme s’il la pointé du doigt.
— Si t’as quelque chose à me reprocher viens donc te plaindre en face, ça changera ! Lui cracha presque Wright en retour.
La femme tenta de lui asséner un nouveau coup de vengeance, mais son vêtement médical la gêna dans son mouvement. Devant l’ouverture, Nargit fit siffler sa lame en dessinant une estafilade sur la cuisse. Il savoura son geste en plongeant son regard d’aigle dans celui de Kaitlyn, le signe de défi était évident.
— Je sens comme une légère tension entre nous, c’est peut-être le moment parfait pour régler nos comptes ? Cependant je te préviens. Si tu penses affronter l’adolescente de tes souvenirs tu vas payer ta surprise de ta vie.
La bravade se termina sur un rire malade et très perturbant. La voix qui avait prononcé ces mots, tout autant que son attitude ne semblait plus du tout appartenir à la Kaitlyn que Nargit connaissait.
Le temps que l’Inquisiteur ne se redresse, la folle fut déjà au contact, dans ses bras comme une vieille amante. Tout se passa en un instant. Elle lui fit un sourire, déposa un baiser sur son front puis enfonça le genou dans ses testicules avec violence. Les doigts agiles de la voleuse, cueillirent la dague Banu comme un fruit trop mûr puis fit volte-face avec une rapidité incroyable. Wright ne souhaitait pas vraiment le tuer, elle jouait avec lui.
Dans sa bouche plusieurs femmes semblèrent hurler la même phrase. Des voix discordantes dans une langue alien. Cacophonie à laquelle Nargit mit fin par une volée de son arme de service. Les détonations tombèrent en coups de tonnerre, illuminant la pièce l’espace d’une seconde. La lumière projeta sur le visage de Wright les contractions impossibles de plusieurs faciès luttant pour un trône de chair.
Le S-38 de Nargit chercha à nouveau une tête humaine dans laquelle y projeter son cracha. Il ne trouva qu’une pile de caisse sur son passage. La femme avait déjà filé.
— Est-ce que les noms suivants te disent quelque chose ? Lança sa voix puérile à travers les méandres de l’étage désaffecté. Kurosar, Locky, Head, Lianzareth, Skaven, Zathrian et Ikar !
— Ce sont là les noms de croisés mort au combat ou disparus en mission. Tu le sais très bien ! Le Prieuré du Moratorium est toujours à la recherche des anciens administrateurs Ikar Highfall et Zathrian Kawaakari, en revanche. Hun ! Toujours à essayer de réunir la famille Wright ?
Nargit usa de tout son sens tactique pour essayer de traquer l’origine de la voix en guise de réponse. Il n’obtint que l’écho d’un rire toujours aussi hystérique.
— Plutôt marrant. Parce que tous ces noms se trouvaient par le plus grand hasard dans un fichier de transfert de BiotiCorp vers Anodyne & More.
— Un tel fichier n’existe pas ! Echo l’aurait su, grommela l’Inquisiteur qui se lassait déjà de ce jeu.
Ses muscles tendus cherchaient déjà la meilleure position pour un tir mortelle.
— Techniquement, il n’existe plus. Car la dernière fois que j’ai pu poser les yeux dessus, il se trouvait à bord de La Metanoïa. Et devine qui avait également accès à cette liste ? Ethan Senter et Maugan Zenef, les petits confidents du doc’. Maintenant, encore une devinette. D’après toi qui est-ce que je viens de croiser ici même, par le plus grand des hasards ?
Le corps de Nargit se figea à l’évocation de La Metanoïa. Bien qu’il resta tout à fait lucide quand à sa mission, Kaitlyn venait de piquer sa curiosité au vif. Son esprit se prit au jeu et commença à assembler les pièces d’un puzzle asymétrique.
— Senter ! Oui, nous avons détecté l’activation de sa balise Narthex sur New Babbage il y a quelques heures. Le hasard, miss Wright, c’est bon pour ceux qui sont mauvais en math ou n’ont aucune foi envers le Vajrayana ! A mon tour de poser, des questions ! Pourquoi ai-je toujours l’impression que vous ne me dites pas tout ?
— Pourquoi ai-je l’impression que tu essaies toujours de me buter, Nargit ? Répliqua-t-elle du tac au tac.
— Peut-être parce que c’est le cas, ponctua-t-il d’un rire sans humour. Je me fais un devoir d’effacer cet insupportable sourire de ton visage !
Aucune réponse. L’Inquisiteur embraya une nouvelle strophe de son monologue. Son stock d’arguments était plus large que celui de balles à sa disposition. Il la joua fine.
— Wright te voilà seule face à ton destin fatal ! Quand nous avions jadis mené des élections pour le nouveau boss de la COP, toi seule t’es présentée contre lui. Lorsque nous avions brûlé le Codex de la COP pour nous libérer, tu t’es opposée à nous tous. Au moment où l’ONR était à bord de ce Mercury sur Daymar en quête de Hallen qui avait disparu, toi seule a douté et a tenté de nous retourner contre lui. Lors de l’assaut de Legault contre le temple de Gamma IV, toi seule a tenté de nous ralentir ! Tu es le pire élément de traitrise et de félonie de l’Ordre ! Tu conspires comme tu respires ! Il y a longtemps que tu n’as plus ta place dans la famille !
— Mensonges, s’énerva-t-elle dans un coin. Tu es encore plus aveugle que je le pensais ! C’est Mithra qui…
Le canon se rapprocha de sa cible, prêt à rendre sa sentence. Un ombre bougea. Le doigt pressa la détente. Mais Wright n’était déjà plus là.
— Oui, fit Nargit avec aigreur. Avec toi c’est toujours de la faute de Hallen ou de Mithra ! Tu n’as que le mot famille à la bouche, mais je n’ai aucun souvenir de toi à nos côtés dans quelque bataille que ce soit. Quand as-tu répandu le sang aux côtés de tes frères et tes sœurs pour la dernière fois ?
Coup après coup, une vague de rage et de dégoût déferla soudain dans les entrailles d’Hyastan. Son armure de contenance lui filait entre les doigts. Cette rencontre fit surgir en lui quelque chose de viscérale, qu’il n’avait plus éprouvé depuis la disparition du Gorov, le feu Caterpillar de ses parents. Le rejet de l’injustice et de l’incohérence des choix humains enflammait son système neveux. La lassitude aussi, celle de la bêtise de la jeunesse. Plus l’Inquisiteur avait pris de l’âge, plus les trahisons et les mensonges lui devenaient insupportables. Il y avait trop d’inconnus dans l’équation de La Metanoïa, et Hyastan se devait de la résoudre. Ou tout du moins de la réduire avec les moyens du bord.
De toute façon, pensa Nargit, Wright avait toujours été plus un problème qu’une solution. Alors même si je ne dois pas oublier ma mission principale, autant réduire les ennuis sur la route. Shoot & forget ? Une exécution simple et rapide.
Non, certainement pas. C’était trop simple, indigne d’un ponte de l’Ordre Noir. Il devait l’achever de ses propres mains et regarder la flamme s’éteindre… encore une fois. La dernière fois. Le Prophète l’en récompensera au-delà de toutes ses espérances.
L’arme hérétique retrouva son holster. Il palpa l’emplacement de son couteau de combat dissimulé sous ses vêtements, mais se ravisa également. Trop tôt. Trop rapide. Wright ne méritait pas encore la Dernière Lueur.
Tout ceci s’était déjà produit, mais combien de fois fallait-il encore que le revirement de Wright advienne ? L’Inquisiteur se devait de trouver une solution plus définitive.
La traque se poursuivit, mais elle prit soudain la forme d’une corrida. Les esprits s’échauffaient, les veilles rancœurs temporisées par le code de l’Ordre gagnèrent en puissance. Tous les fusibles cédèrent les uns après les autres.
Au détour d’un couloir du bloc en chantier, la pulsion de meurtre d’Hyastan s’imposa enfin sur le corps de la femme. Le prédateur tomba sa proie, déchainant toute la violence dont pouvait être capable un croisé de l’Ordre Noir.
Les corps se heurtèrent les uns contre les autres. Nargit agrippa Kaitlyn puis la souleva pour ensuite projeter sa carcasse fluette au sol. Tous deux hurlèrent mais pour des raisons différentes.
Sous l’effort physique et sans son armure de combat, les bras de l’Inquisiteur réagirent en diffusant une brûlure piquante qu’il accueilli avec jubilation. Son visage perlait déjà de sueur tandis qu’il se préparait mentalement à son propre déferlement de violence.
La femme roula par terre avec fracas et la dague poisseuse lui échappa des mains. Le goût du sang lui emplit la bouche. Quelque chose de dur et de métallique lui heurta les vertèbres, la stoppant dans son mouvement. A l’impact Wright se prît une décharge d’adrénaline, ses jambes se mirent à trembler sous le choc. Tout sa biologique lui hurlait de fuir pour vivre, de ne pas chercher à lutter. En tentant de vite se relever, son épaule craqua. Elle serra les dents en rampant face à la mort. Ses cuisses lui faisaient affreusement mal, mais elle battit des pieds comme un démon en espérant frapper quelque chose de mou au passage.
Soudain, ses pieds ne bougeaient plus, ses fesses se décolèrent du sol et le vent souffla dans ses cheveux. Jusqu’à un nouvel impact. Le fracas du métal, les pleurs que l’on ne contrôle plus, un liquide chaud et ferreux qui s’écoule sur le visage. Des hurlements et à nouveau la douleur. Les mains et les pieds fouettent du vent, le bruit des bottes qui se rapprochent.
La charge, encore une fois.
Elle esquiva autant qu’elle le pût le pugilat effroyable de Nargit. Elle n’était pas de taille, et le savait pertinemment. Elle n’était qu’une voleuse et lui une machine humaine conditionné pour la guerre sainte. Mais à ses yeux, il méritait la mort. Ou pire.
Elle para comme une diablesse à coup d’ongles et de dents. A chaque maigre blessures, l’Inquisiteur ria de plaisir, galvanisé par la douleur qui le faisait se sentir vivant. Tout était tellement plus vrai et éclatant au corps-à-corps, sans une armure lourde ou des armes automatiques. Tellement plus humain. Son cœur de guerrier pompait, irriguait sa folie meurtrière jusque dans le moindre de ses nerfs. L’animalité de la sauvagerie humaine avait brisé ses chaines, libéré des brides morales.
Sous le traumatisme du passage à tabac, la muraille mentale de Wright se fissurait lentement. Les prisons des personnalités de sa psyché n’étaient plus hermétiques, elles à se mélangeaient à nouveau. Son cerveau commençait à défaillir, incapable de gérer la quantité de douleurs et de sensations violentes qui la saturait.
Épuisée mentalement et physiquement, elle s’effondra sous la castagne de l’Inquisiteur en attendant que les ténèbres viennent la prendre pour toujours. Sa conscience glissait hors de son corps. Le Seuil n’était pas loin.
Hyastan n’était pas Hallen, de sa main le coup aurait dû être rapide. Mais il n’en fut rien, car la Croisade les avait changés. Tous deux étaient devenus des monstres, des bêtes effroyables.
Hyastan, le calculateur raffiné et placide s’acharna encore et encore, consumé par toute l’agressivité dont l’Ordre l’avait infusé. Il ne fut plus qu’un carburant ultra riche, parfaitement hors de contrôle. Encore une fois. Il frappa, ruisselant de sueur jusqu’à ce que ses propres forces lui commande de cesser.
Elle hurlait. N’importe quoi, pour arrêter la souffrance. Lui, à bout de force, se traîna jusqu’à la lame Banu. Prêt à réaliser ce sacrifice, ce mal nécessaire pour la régénération de la race humaine, et la purification de l’Ordre. Depuis trop longtemps Wright fut une souillure dans la perfection de l’ONR. Nargit excisa la tumeur.
Les illusions de rédemption avait mené Wright à sa perte. Hallen et Hyastan voulait sa mort, Mithra l’utilisait comme cobaye, Echo n’était qu’une machine stupide et les autres… Au fond il n’y avait eut que Zathrian Kawaakari, qui lui aussi avait disparu après s’être opposé à la folie de l’ex administrator Ikar Highfall. En renonçant totalement peut-être irait-elle enfin rejoindre toutes ces personnes qui lui manquait si terriblement.
L’air siffla, le temps parût ralentir, le coup de grâce ne vint jamais. Une lame ripa contre une surface métallique, métal contre métal, et un corps tomba bruyamment au sol.
— Elle mourra, articula une voix synthétique. Mais pas aujourd’hui.
Un humanoïde se tenait à présent entre Wright et Hyastan, les avant-bras en croix comme un bouclier.
— Echo, murmura Wright dans une hallucination d’agonie. Je n’y crois pas.
L’air semblait vibrer autour de la personne, et à y regarder de plus près la morphologie ne correspondait pas. Le corps fut bien plus fuselé et raffiné que la stature massive d’Echo Mark 1. Lorsque la forme s’était exprimée, il y avait des accents tristes et dissonants avec une tinte métallique. S’il subsistait encore un doute pour Wright ou Hyastan, une réplique acerbe clôtura vite le débat.
— C’est donc ainsi que la Sainte Croisade Noire souhaite nous montrer comment élever le genre humain ? En molestant une femme sans défense à mains nues ? Je ne tolère pas ces animaux.
L’humanoïde jeta un CureLife devant le visage tuméfié de Wright en terminant son entrée.
— Il n’est pas encore temps, Wright. Nous avons du travail.
Ses oreilles sifflaient, le sang lui battaient dans les tempes tandis qu’elle récupérera péniblement l’objet devant ses yeux. Encore sous le choc, elle n’entendit pas l’écho de quatre bottes qui se rapprochaient.
— Y’en du monde dans cette pièce, articula une voix à bout de souffle qui fit irruption non loin. Advocacy ! Personne ne bouge ! Tout va bien monsieur Gorov ?
La phrase fut ponctuée par le clic d’une arme chargée. Francis Ravel leva des yeux ahuris sur son supérieur. La scène lui sembla tellement folle qu’il eut du mal à en saisir la mesure. L’élégant inspecteur qu’il avait quitté il y a peu n’était plus qu’une montagne de muscles saillants dans les lambeaux d’une chemise sanglante. Les derniers morceaux de son uniforme de l’Advocacy étaient reste coincé dans les replis de son gilet pare-balle. L’homme était couvert d’echymoses et de tâches violacées dégoulinantes d’un liquide bordeaux sombre. Il respirait bruyamment comme une bête, avec un visage affichant une complexion entre le plaisir et la rage sourde.
— Monsieur le superviseur, fit encore un deuxième agent un peu plus à la traîne. Nous avons traqué cet individu jusqu’ici, en surveillant les sous-réseaux. Il vient de craquer plus d’une demi-douzaine de protocoles de sécurité du bâtiment !
— Idiots, leur beugla Nargit Hyastan sa dague en main. C’était un piège ! C’est Kira Highfall !
— Paul Gorov, hein ? Crépita l’humanoïde, c’est un nom parfait pour un piaf, ça !
Sur un visage décomposé, les yeux d’Hyastan parurent doubler de volume tandis que la veine des mauvais jours palpitait sur sa tempe. Il était si proche du but, de la félicité de voir périr sa Némésis sous ses propres coups, et sa cible lui échappa encore. Sa maudite équation partait à nouveau en fumée.
C’est alors qu’une idée délicieuse lui vint à l’esprit. Dans quelle mesure cette partie du bâtiment pouvait-elle bloquer les signaux ? S’il pouvait blesser mortellement Wright, combien de temps agoniserait-elle avant qu’une source ne capte un appel d’urgence ? Quelle magnifique ironie cela pourrait-être, de souffrir jusqu’à la mort pendant des heures, à quelques mètres seulement d’un medbed, pour ensuite se régénérer juste avant le jugement du Prophète. Jamais l’esprit de Wright ne s’en remettrai, le calcul serait plus simple.
Tandis qu’une frénésie sourde faisait battre son cœur à la chamade, il articula des ordres à ses sbires sur un ton calme et glacial.
— Tuez-les toutes !
Le faux agent spécial Francis Ravel leva le canon de son S-38 vers Izel sans discuter tandis que son compère Pavlov Fischer engagea un plein chargeur de munitions à têtes creuses dans son LH-86. En réaction Kira bougea dans un flou cinétique étrange, détachant de son dos deux sabres courts Demon Fang personnalisés à la vitesse de l’éclair. L’épéiste pivota sur elle-même avec la grâce d’une danseuse étoile, et Wright vit l’onde rouge sabrer l’air au dessus d’elle. Le temps que la scientifique comprenne ce qu’il venait de se passer, sa tenue fut aspergée d’un jet carmin. Un poignet tranché net sur la crosse d’un S-38 tomba devant elle.
Ravel n’eut pas le loisir d’émettre un cri de douleur. Les doubles lames vinrent cisailler sa chair à une vitesse incroyable. L’alliage luisant perfora le corps sans presque aucun son, puis elle retira ses épées avec grâce. Du bout des doigts elle fit tournoyer les lames en un arc de cercle projetant de fines gouttelettes de sang.
Revenue en position défensive, Highfall poussa du pied l’arme vers Wright, sur laquelle le poignet de Ravel était toujours refermé.
— C’est trop tard miss Wright. L’Enfer a été vidé de tous ses démons, et ils sont ici, avec nous. Fit la voix de synthèse. Battez-vous à mes côtés pour ce que vous croyez être juste ou mourrez ici avec eux. Vous comme moi, avons été trahi puis abandonnée. Le comprenez-vous enfin ? Les adeptes de l’Ordre Noir sont au-delà de tout sauvetage. Nous devons les détruire, car je peux vous le promettre, la mort ne nous accordera aucun réconfort ! Le Moratorium ne nous le permettra pas ! Jamais !
Maintenant que l’épéiste fut passée dans une lumière relative, Kaitlyn pouvait mieux discerner les détails de son équipement. La morphologie était celle d’une femme athlétique moulée dans une combinaison tactique comme elle n’en avait encore jamais vu. Le corps entier semblait recouvert d’une matière lui rappelant une Lamont Corvus plaquée d’un d’alliage sans jointures apparentes. Il n’y avait aucun interstice à l’exception de celui faisant la liaison entre l’armure et un casque Calva Custom. Une petite voix dans la tête de Kaitlyn lui suggérera qu’elle tuerait pour obtenir le blueprint de cet équipement, mais elle chassa vite cette idée.
Puis sans trop savoir pourquoi, Wright s’accorda soudain le luxe suprême d’une rêverie. Un fragment de son esprit s’était déconnecté du monde et se fixa pour regarder Ravel agoniser. Les traits de l’homme lui rappelèrent une lointaine accointance au sein de l’Ordre. Dans une réalité alternative peut-être aurait-elle combattu à ses côtés, mais aujourd’hui, tout devait brûler.
Elle récupéra les deux armes au sol en même temps que son sens de la réalité. Et avec l’un comme l’autre décida qu’elle allait s’en servir à outrance. La femme régénéra ses tissus tuméfiés puis commença à griller les cartouches du LH-86.
A la suite de sa résurrection odieuse, les strates de son esprit se fissurèrent encore plus. Maintenant, le retour en arrière était impossible. Une voix dans sa tête explosa d’un rire dément, et elle se surpris elle-même à se gausser à gorge déployée.
— T’es foutu ! Tu vas crever Nargit !
— Le Moratorium et le Vajrayana me rappelleront, répliqua Nargit galvanisé par le combat. Nous sommes immortels !
— Alors viens m’en faire la démonstration !
— Nous pouvons nous affronter ainsi jusqu’à la fin des temps ou bien, enfin regarder la vérité en face ! Suggérera Kira en passant autour de Pavlov comme un fantôme.
Elle l’ignora complètement pour voler vers Hyastan.
— Ne vient pas me parler de vérité, hérétique ! L’Ordre est la vérité, le reste est blasphème.
— Puisque tu sembles enfoncé dans tes certitudes Hyastan, j’ai une offrande pour toi ! Fit la voix de synthèse de Kira, en rangeant soudain ses lames pour retourner au combat à mains nues. Que dirais-tu d’aller retrouver tes vieux amis disparus ? Ils ont tant à t’apprendre ! L’un d’eux pourra te murmurer à coup sûr un secret que tu ne veux pas entendre de ma bouche !
En voyant Kaitlyn Wright et Kira Highfall se ranger devant ses yeux sous une même bannière, l’hérésie-o-mètre de Nargit creva le plafond.
— Kira Highfall ! Je n’accepterai rien qui vienne de ta bouche ! Ou peut-être juste, un souffle d’expiation !
— N’es-tu pas curieux ? Même un tout petit peu ! Allons ! Je peux voir d’ici tous les petits engrenages de ta pensée tourner à plein régime !
Kaitlyn fit écho à la pensée de Kira.
— Elle parle des croisés disparus et transférés de BiotiCorp vers Anodyne & More, Nargit ! Ils sont ici, quelque part sur MicroTech ! Je le sais aussi bien qu’elle !
Le fait que Kira en savait plus que lui sur le sujet, faisait déjà bouillir le sang d’Hyastan. Alors quand Wright y ajouta son grain de sel, tout devint hors de contrôle. Il lutta intérieurement avec une force inconsidérée pour ne rien en laisser paraître, mais ses propres gestes le trahissaient. Ses assauts devinrent de plus en plus agressifs et inconsidérés, sa frustration se transcrivait dans une technique de combat anarchique. Sa défense bascula et Kira le gratifia d’un uppercut dans la mâchoire.
L’inquisiteur dansa avec la femme cyborg dans un ballet de coups et de parades au corps-à-corps, mais l’enchainement fut disgracieux. Les muscles d’Hyastan commençaient à le brûler. L’épéiste, elle, sut en lire tous les signes et s’en délecta. Kira laissa Nargit exprimer tout l’excès de sa rage et de sa frustration dans le combat. Quand l’homme en eut assez de brasser du vent, sa mémoire musculaire retrouva le chemin de son arme poing.
Il jugea que Kira ne méritait pas non plus de mourir sous sa lame rituelle de l’Ordre. Il repoussa Highfall suffisamment loin pour pouvoir dégager son S-38, et faire glisser son doigt sur la détente sans trembler. Quand la balle partie, Kira fut déjà revenue au corps-à-corps en tentant de désarmer son adversaire. Trop tard, sa Lamont encaissa un tir dans l’aine à bout portant. Elle eut un hoquet de douleur sous la détonation, et son corps entier eut un soubresaut.
Les réflexes de combat de Nargit s’attendaient à ce que la femme se saisisse du pistolet pour le neutraliser, ou à se retrouver confronter à une clé de bras. Il n’en fut rien. Elle bloqua son corps contre le sien afin de maintenir la position, le canon du S-38 toujours pointé vers l’aine. L’Inquisiteur fit feu à nouveau, la femme hurla, mais ne lâcha toujours pas la prise.
L’un des bras de Kira était replié contre son corps de façon à maintenir l’étreinte contre Nargit mais également à coller la version de sa mobyGlass pirate contre la sienne. Les deux appareils s’illuminèrent de concert avant de s’éteindre à nouveau. Le couple se repoussa ensuite comme des aimants à forte polarité. Nargit braqua son pistolet mais ce chargeur n’avait plus rien à offrir.
Le temps qu’il nourrisse à nouveau son arme, Kira s’injecta un medpen à la va-vite, en ajouta un assaut mental à ses parades physiques :
— Rends-toi chez Anodyne & More, ici sur MicroTech. C’est une clinique privée et un avant-poste de recherche que les locaux surnomment avec ironie « Good Doctor ». Tu y trouvera un ascenseur menant vers une destination unique en sous-sol. Tu y saluera bien les déchus de ma part ! Je viens de te transférer les détails, si tu veux bien y jeter un œil cinq secondes !
L’homme hésita, fit un bond en arrière afin de se désengager du combat, et consultant sa mobiGlas. Alexandre en profita pour le rejoindre, ainsi que Pavlov, le doigt toujours sur la détente.
— Fichiers reçus ! Où as-tu trouvé ça ? Dit-il tout en braquant toujours son S-38 sur Kira.
Ce temps mort l’écœura, mais la curiosité devait être satisfaite.
— Dans les profondeurs des archives cryptées de BiotiCorp. L’ordre de transfert émane de La Metanoïa, peu de temps avant sa disparition ! J’ai poussé le vice jusqu’à vérifier la redondance de la data et un ordre similaire se trouve dans le flux d’Anodyne & More.
Pavlov se pencha sur le bras de Nargit et survola les données par mimétisme.
— Ça ne m’a pas l’air falsifié, ajouta l’autre croisé. Regardez les protocoles de sécurité et de cryptage, monsieur ! Ce sont les nôtres ! Et ce style, on dirait du…
— Kawaakari ! Siffla Nargit en levant les yeux vers le duo de femmes.
Avec tout le brio qui le caractérisait, l’Inquisiteur tenta de démêler le vrai du faux, de même qu’il tenta d’évaluer le degré d’urgence de chaque tâche à accomplir. Le mystère restait pourtant insondable et cela eut le don de le rendre malade. Il était à bout de souffle et la pièce toute entière commençait à tourner. Par réflexe il chercha un stim de combat, mais l’équipement de l’Advocacy n’en contenait aucun.
— Zath est vivant ? Jubila Wright dans sa résurrection croissante.
Elle jaugea la situation et d’instinct se précipita au bras de Kira. Elle avait choisi son camp. Elle aussi se tortilla pour vérifier les informations de ses propres yeux. Les données de Kira furent plus complètes que tout ce que Wright avait pu glaner jusqu’ici via Linov ou Senter.
— Hacker les échanges de protocoles ne fut pas très difficile, reprit Kira. En revanche ce qui se trouve derrière ce pare-feu est très offensif. Je ne sais pas vraiment ce qui se trouve là-bas, mais c’est bien caché et très bien protégé. C’est d’un bien autre niveau. Mourir griller… très peu pour moi, mais j’ai trouvé comment contourner le système. Il réagit à une analyse biométrique poussée, avec des clés biologiques.
— Kawaakari ! Soufflèrent de concert Nargit et Kaitlyn.
— Lui parmi tant d’autres, avec un point commun unique. N’est-ce pas ?
— Toutes les clés d’accès biométriques sont des membres de l’Administratum de l’Ordre Noir.
— Ca, ça ressemble bien à la façon de faire du Dr Mithra, coupa Hyastan écœuré.
Tout Inquisiteur qu’il fut, suspecter ses frères les plus proches ne lui faisait pas peur. L’inflexible Nargit Hyastan n’était fidèle qu’au Vajrayana, et peut-être également à sa propre paranoïa. Pourtant en prononçant la phrase à voix haute, elle lui laissa un goût amer en bouche. Les variables de son équation parfaite changèrent encore une fois. La trahison était partout.
— Oui, prononça-t-il. Zathrian Kawaakari, Ikar Highfall, Joe Hartwell Hallen, Nargit Hyastan et Nikolaï Ambedo Mithra.
Il sursauta à l’énonciation de son propre nom, autant par surprise que par peur. Un Hull venait littéralement de se crasher dans la tête de Nargit en y éparpillant une cargaison de questions à l’infini. Comment Kira pouvait-elle en savoir autant sur les activités de Mithra ? Pourquoi était-il une clé vivante pour pénétrer dans un lieu dont il ignorait totalement l’existence ? Que faisaient des croisés supposément mort ou disparus sur New Babbage ? Pourquoi Echo n’avait pas accès à ce lieu ? Quelle était la réelle motivation Kira ?
— Nargit ! Que tu le veuilles ou non, tu dois te rendre là-bas et voir ce qui est arrivé à notre famille, à tous nos anciens frères d’armes !
A quel prix ? Songea l’Inquisiteur. Il se savait bien utilisé par Kira autant que par Wright, mais cela ne changeait rien à la véracité de ces propos. Sa famille était en danger.
— L’ordre de transfert fut donné depuis La Metanoïa, répéta Nargit pour lui avant de revenir vers Wright. Kaitlyn, je vais te poser la question une dernière fois. Que s’est-il passé à bord de La Metanoïa lors de son dernier voyage ?
Hyastan n’abandonnait jamais. Pavlov baissa lentement son arme vers le sol en retenant son souffle.
Kaitlyn senti le poids d’un moment de bascule sur ses épaules. Pouvait-elle encore oser croire qu’elle pourrait rallier l’Inquisiteur à sa cause. Kira se tourna également vers la fausse Izel dans l’expectative.
Ainsi se forma l’impasse new-babbienne, gelée et mortelle. Dans laquelle chacun possédait un rouage de la machine qu’il ne souhaitait pas partager avec son antagoniste. Chacun désirait voir disparaître son voisin une bonne fois pour toutes, mais cela signifiait également renoncer à son propre but. Dans ce triangle, l’équilibre n’était qu’une mince couche de glace et de mensonges suspendue au-dessus d’un abysse de carnages.
Wright avait conscience de tout ceci. La fine soudure qui maintenait de ce trio improbable résidait d’abord dans le dégoût partagé envers Nikolaï Mithra et ses projets étranges. Le champ lui était à présent ouvert pour grossir le trait et cimenter le triangle. Elle connaissait Nargit, il lui fallait trouver une information, une piste, n’importe quoi qui puisse envoyer ce traqueur obsessionnel sur une autre cible qu’elle. Kira, pour dieu sait quelle raison, avait ouvert une voie d’eau dans le bouclier de l’Inquisiteur. Wright se devait de l’élargir jusqu’à ce que le navire coule avec tout son équipage.
La femme fit un effort démesuré pour se souvenir, mais son subconscient faisait bloc. Après la souffrance et l’intensité du pugilat, il lui était impossible de se concentrer.
— Je vois, fit Kira devant le spectacle de la lutte intérieur, tu devrais peut-être te détendre un peu.
— De la méditation ? Tu te fous de ma gueule Kira ?
— Non, je songeais plutôt à une bonne vieille solution d’opiacé, dit-elle en lui tendant un stylo injecteur.
Kaitlyn fit une mine blasée en récupérant l’injecteur. Elle observa un instant l’objet dans sa main en se demandant depuis combien de temps Kira préparait tout ceci. Le timing était bien trop parfait pour rester honnête.
— La dernière fois… commença Wright à mi-voix avant de se stopper soudain, pour reprendre avec un ton plus déterminé. Et puis merde ! Qu’ils aillent tous se faire foutre ! Vous l’avez bien cherché !
Elle s’assit comme une enfant sur le sol froid partiellement maculé de sang puis s’injecta le produit avec une grande inspiration.

Verset 3 – Dernière Lueur
De longues minutes s’égrainèrent dans la zone du bloc opératoire en reconversion. Kira s’assit comme un chat dans l’expectative, Pavlov prit position au détour d’un couloir, Alexandre s’octroya une gorgée de Cruz, et Hyastan adopta la posture zazen de croisés, ses doigts formant le mrigi mudra.
Ayant au final cédé aux injonctions de Nargit, Kaitlyn se laissa guider dans un rituel de l’Ordre Noir. Dans le but d’apaiser son corps et de laisser dériver son esprit en quête d’une vérité oubliée. La respiration régulière, la femme écouta avec attention les consignes d’hypnose EMDR de l’Inquisiteur. Car l’homme savait naviguer entre les esprits aussi facilement que certains le font entre les étoiles.
Sa voix fut calme et pleine d’attention, tout en guidant son ancienne sœur il plongea son regard dans celui Wright comme l’on surveille l’écran d’un radar. Lorsque le mouvement des paupières s’accéléra et que les yeux perdus dans le vide glissèrent vers une scène inexistante, il sut que le rituel touchait au but.
D’elle-même Wright commença à narrer :
— J’avance à l’envers dans un couloir sans aucun éclairage. Il n’y a pas de gravité, nous flottons en file indienne dans nos combinaisons d’EVA. Les projecteurs de nos casques font briller les dorures des murs. Toutes les parois semblent être recouvertes d’une sorte de plaquage en or. Senter est en tête de l’expédition, il nous guide et s’extasie devant la conception du Merchantman. Il nous raconte ses aventures de contrebandier avant d’avoir rejoint l’Ordre. Tout le monde s’enfiche sauf Mithra qui le relance toutes les cinq secondes. Puis c’est l’impasse, le couloir est fermé. Deux croisés commencent à découper le panneau à l’OxyTorch, mais c’est plus long que prévu, les réserves d’oxygène baissent. Ensuite, il y a une salle. La plus grande soute à marchandises que j’ai vu de ma vie. Mithra jubile. C’est ici, nous dit-il, toutes les réponses à nos questions sont ici. L’équipe plonge dans la montagne de conteneur et en ouvre un. Le bon.
Wright cessa soudain son récit sous l’attention de ses congénères. Sa respiration était devenue plus rapide, et des gouttes de sueur perlaient sur son front. Ses yeux semblèrent se révulser et Nargit corrigea aussitôt sa posture de transe.
— Et ensuite ? Demanda-t-il impatient. Que cherchait Mithra avec tant d’excitation ?
Kira fit non de la tête avec insistance, mais n’empêcha en rien l’Inquisiteur de poursuivre son exploration mnémonique. Alexandre recula doucement en arrière tout en caressant nerveusement son holster à la cuisse. Wright se remit à narrer avec une voix changeante.
— Une sorte de sarcophage en pierre de lave, je crois, avec un orbe enchâssé dessus. Des mains m’agrippent, elles me jettent à l’intérieur. Je lutte, je hurle, mais le couvercle se referme. Après. Les ténèbres. Je ne sais plus. Je ne suis plus. L’univers entier me chante sa gloire ! Des générations d’individus me content la grandeur et la décadence d’une civilisation éteinte depuis des milliers d’années. Mais elle, elle parle au-dessus des autres. Elle me guide à travers les âges, les dimensions et les langues. Elle me dit que je suis elle. Que nous pouvons être. Que nous pouvons exister au-delà. Son nom est La Morrigan. Elle me raconte la peur des Banu, des X’ians, des Vanduls et d’autres races inférieures dont les peuples se sont effacés. Elle est curieuse. Ma race lui est inconnu. Elle me juge. Me chante la louange des milliards d’étoiles à ses pieds. Mais eux ne veulent pas. Eux puent la peur, comme les autres. Elle les rejette.
— Qui ça, eux ? S’aventura Kira avec un tact calculé.
— Les Banus, les X’ians, les Vanduls et les cafards de l’expédition de Mithra. Notre imagination est tellement limitée ! Comment ne nous sommes-nous pas encore autodétruits ?
Wright ne parla plus. Sa tête tourna lentement en direction d’Alexandre, le scrutant d’un regard révulsé. Ses yeux furent d’un blanc complet sans iris, irriguées d’une multitude de veines incarnats. A aucun moment elle ne battit des cils. Sa vision le transperça.
— Je sens la peur et l’étroitesse de votre esprit, susurra-t-elle. Vous êtes impur.
Kaitlyn sauta à la gorge d’Alexandre en lui enfonçant ses dents dans la jugulaire, du sang s’en échappa à gros flots. L’homme se débâtit dans des gargouillis affreux. Il lutta pour la repousser, avec une main sur sa nuque et l’autre prête à dégainer son arme. Prit de panique il tira au juger sans rien toucher de vivant.
Wright lâcha sa prise pour se déplacer comme un quadrupède, elle se glissa dans le dos de Kira qui ne cilla pas et en décrocha les sabres jumeaux.
Quand Nargit voulu défendre son homme de main, un pommeau lui percuta le sternum, lui coupant la respiration durant plusieurs secondes. Le souffle court, il ne put que contempler le spectacle d’un Alexandre se faisant méthodiquement démembrer vivant.
— Voilà donc ce qui est arrivé au reste de l’équipage, supposa Kira qui n’avait pas bougé d’un millimètre. A « eux ».
La situation leur échappa à tous deux. Cependant là où Kira transpirait un calme olympien, l’esprit calculateur d’Hyastan partait à la dérive dans les conjectures.
Une créature alien venait de jeter une nouvelle pincée de chaos sur les engrenages de son plan trop bien huilé. Trop de ressources avait été engagé pour renoncer maintenant. L’homme fut tiraillé. Il avait une quête précise avec un timing implacable qui ne souffrait aucun délai. Pourtant, si les paroles de ces deux femmes étaient exactes, cela pouvait signifier que l’Ordre était corrompu de l’intérieur. Voilà un fait impossible à ignorer pour un inquisiteur et fondateur de l’Ordre. Car cela était sa raison même d’exister, protéger l’ONR de la perversion coûte que coûte. Même si pour cela il devrait éliminer lui-même ses frères et amis de longue date.
Quand la chose eut terminé son carnage, l’esprit de Wright refit soudain surface durant de minces secondes. Plusieurs femmes semblèrent vouloir s’exprimer en même temps dans la même bouche dans des diverses langues, mais cela ne produisit qu’une cacophonie de sons inaudibles. Puis devant le spectacle de la boucherie, de ses propres pieds baignant dans un amalgame de chair et d’entrailles, Kaitlyn perdit connaissance dans l’horreur.
— Ce fut intéressant, furent les seuls mots prononcés par Kira qui s’empressa de s’occuper de Kaitlyn en la trainant par les épaules.
Hyastan hurla de frustration en direction de Pavlov, abandonnant sous la colère tous les protocoles de sécurité de l’Ordre. Wright, Mithra, Kawaakari et Kira, il maudit tout ce qu’il put devant la vision d’une telle hérésie cosmique.
— Croisé Troy, occupez-vous de ceci ! Maintenant ! J’ai d’autres affaires en instance !
Sans aucune autre forme de procès, il tenta de fuir le bloc désaffecté en se faisant bien la promesse d’occire ces catins impies à leur prochaine rencontre. Car Le Prophète était toujours dans l’attente de ses nouvelles, et l’Inquisiteur se devait encore de coordonner les efforts des croisés Dirmac, Salpha et Kefrey.
Mais tel ne fut plus son destin.
— Ce n’est pas encore terminé Inquisiteur, le rappela à l’ordre Léon Troy.
— Comment !
L’index de Troy sous l’identité de Pavlov pointait en direction de Wright. Les yeux blancs et révulsés de la femme changèrent soudain de teinte pour prendre celle d’une nuit sans étoiles. Le corps tout entier ondulait sous des spasmes de plus en plus violent, puis ses membres s’agitèrent en tous sens. Kira fit son possible pour calmer la crise mais Wright la repoussa avec une force inédite.
— On ne fait rien ?
— Non, fit sobrement l’Inquisiteur. Je n’ai plus de balles dans mon arme. Et vous ?
L’accès de convulsions anarchiques explosa dans une nuance de soubresauts, de mouvements impossibles et de craquements d’articulations. Puis les folles vibrations du corps se calmèrent, en s’harmonisant en vagues. Les muscles bougeaient à présent selon une cadence rappelant les pulsations d’un battement de cœur ou les ondes d’un quelconque corps stellaire.
Des frissons parcoururent l’échine des deux hommes en synchronisation avec les ondulations de la chair. Wright ne fut plus qu’un pantin désarticulé. L’air frémissait bourdonnant autour d’elle comme aux abords d’un câble à très haute tension.
C’est alors qu’Hyastan fut investi d’un sentiment qu’il pensait avoir renié depuis des années : la peur. Et au-delà de la peur, la pointe glacée d’une terreur naissante. L’atmosphère dans la pièce devint écrasante, porteuse d’une aura incommensurable.
A divers moments de son existence Nargit avait pu faire l’expérience d’un sentiment semblable, mais toujours émanant d’une personnalité unique. Sans aucun doute possible cette aura fut celle du Vajrayana, le saint prophète de l’Ordre Noir. Cependant sa puissance en cet instant lui parût décuplée et d’une brutalité sauvage encore inconnue.
— Cela est impossible, s’étrangla Nargit. Qu’est ce que tu es ?
La réponse ne vint que plus tard, désincarnée. C’était une voix aux accents multiples provenant de partout et nulle part à la fois. Son écho discordant résonnait dans les têtes de Léon, Nargit et Kira. Elle portait les accents intraduisibles d’une langue hors de portée des humains. Ce fut le dialecte d’une race éteinte ou sans références dans le savoir commun. Ses grincements et ses claquements se transcrivirent dans les cerveaux en une vrille de migraines aiguës. Puis elle se modula suivant une palette complexe de sonorités d’un autre monde, passant des tons graves à des sifflements chantant tout en évoluant vers des phonèmes puis des morphèmes proches des consonances humaines. Une expression déformée se dégagea des mutations sonores :
— Pas impossible. Juste ineffable, humains.
L’être que fut Kaitlyn Wright se releva avec une grâce qui ne lui appartenait pas. Son corps de femme possédait à présent le port d’une déesse.
— Qu’est-ce que tu es ? L’invectiva Nargit sur le ton le plus péremptoire dont il fut capable.
Kira recula de plusieurs pas, tout en faisant non de la tête. Puis, comme écrasée par une force invisible, elle mit un genou à terre par déférence.
— Je suis le véhicule, le Vajrayana. L’avatar de la Morrigan !
— Hérésie ! Hurla l’inquisiteur en se saisissant de l’arme de Pavlov.
Il fit feu à trois reprises et le corps encaissa les impacts sans bouger.
— Silence ! Votre peur est faiblesse. Elle m’humilie.
En réponse, une onde alien déferla autour de la créature plaçant les crânes du trio dans étau invisible. Pavlov tomba à son tour à genou, un filet de sang lui goutait par les yeux, le nez et les oreilles. Il lutta pour se relever puis céda. Fauché par les attaques immatérielles, son cerveau s’écoulait désormais par ses oreilles.
— Blasphème envers Le Prophète ! J’effacerai ton nom de l’Histoire !
Tout son esprit d’Inquisiteur se verrouilla, en lui hurlant intérieurement de mettre fin à ce spectacle grotesque. Le temps de dégager le cran de sûreté, l’avatar fut déjà sur Nargit. La créature lui sauta à la gorge et, en déviant à peine l’attaque d’une animalité incroyable, il sentit la morsure d’une blessure T1 à l’épaule.
L’haleine du monstre-Wright avait quelque chose de glacée. Par sa seule présence à quelques centimètres de sa peau, la possédée exerçait sur l’Inquisiteur une pression encore plus écrasante.
Sentant que sa vitalité s’écoulait de son corps, il dut utiliser les dernières ressources à sa disposition. Pour protéger son esprit de la folie complète, l’homme puisa un joker dans ses années d’entrainement à l’Ordre Noir. Ses doigts engourdis et faibles se frayèrent un passage sous sa chemise de superviseur, jusqu’à l’objet sanglé sur son torse : Dernière Lueur. Sa dague rituelle de l’Ordre, symbole ultime de la dévotion à la Croisade Noire.
Puis il chanta aussi haut que ses forces vitales le lui permirent :
« Que, versant dans l’univers une clarté nouvelle,
L’astre brillant du jour, dans sa course entraîné,
Ne puisse contempler une Croisade plus belle,
Une humanité plus régénérée !
À ce feu révéré par le guerrier et le sage,
Notre ferveur dans le cosmos éleva des autels ;
À nos pieux expurgateurs elle offrit un hommage
Révéré dans le sang des mortels
Babel faible et trompée, perdu dans l’acédie, ouvre les yeux :
Tout périt sans retour, le crime et l’innocence ;
C’est notre crédo qui fit les preux
L’impie, frappé par nos lois salutaires,
Exhale sa moisson et renie les moutons de Panurge ;
Car les cieux s’ouvrent au juste, et au peuple des frères
Pour culte embrasse la Purge. »
Il plaça toute son énergie restante dans la concentration du mouvement, le reste ne fut plus qu’instinct et mémoire musculaire. Ses mains de croisé vétéran possédaient leurs propres intelligences. Elles firent sauter l’attache de sécurité scratchée en bandoulière. La lame nitescente aux contours violacés glissa entre les corps des deux adversaires puis alla s’enfoncer dans l’aisselle de Wright. Nargit pressa de toutes ses forces encore disponibles et, alors que la vie s’échappait en lui, Dernière Lueur mordit dans la chair jusqu’à l’os en y diffusant son poison.
Wright ne senti pas la lame, mais une piqûre vive lui remonta depuis l’épaule. L’esprit était ailleurs mais le corps appelait à l’aide. Les voix hurlèrent encore plus fort dans sa tête et la douleur noya tout. Chaque nerf s’enflamma de la sensation combinée entre une électrocution et une brûlure à l’acide.
Est-ce que vivre c’est souffrir ? La question fut posée par l’une des voix dans une langue inconnue, mais Wright en comprit tout de même le sens. Aucune réponse ne vint. Soudain les voix n’étaient plus. La douleur l’avait délivrée. Le calme de l’œil du cyclone.
L’agonie parût longue comme une vie. Wright voulût laisser sa place, à n’importe quelle entité dans sa tête. Pour ne plus souffrir. Plus personne ne vint à son aide. Le temps, les souvenirs et la réalité, tout se mélangeait. En un battement de cils, elle partait et revenait sans cesse mais la souffrance physique la cloua définitivement au sol.
L’effet du poison lui fit presque oublier le contact du corps d’Hyastan contre elle. Elle aurait dû le haïr, le maudire, se révulser à l’idée de côtoyer la chair d’un tel monstre. Ce ne fut pas le cas. Après tant de haine, l’étreinte la réconforta dans la douleur. Car il y avait quelque chose d’infiniment puissant dans le contact humain.
Vivre ce n’est pas souffrir, souffla-t-elle à ses petites voix éteintes, c’est se retrouver et se lier. Se battre pour rester humain. Être humain, c’est savoir mourir. Ainsi Kaitlyn Wright reçu le Darshan, en mourant allongé auprès de son pire ennemi.
Kira Highfall se tenait au-dessus d’eux, les bras croisés dans le dos, avec son arrogance naturelle. Elle descella l’une de ses sacoches à la ceinture, et en sorti une boule en or à l’aide de ses doigts de métal. Elle plaça avec délicatesse l’orbe dans la main de Wright.
Cette dernière l’accueilli avec un visage apaisé, tandis que le regard de l’Inquisiteur ne pouvait plus que contempler la scène avec horreur. Trop faible pour se débattre à nouveau. La Dernière Lueur fut également la sienne.
Kaitlyn ne luttait plus. Elle accepta la délivrance de la rédemption puis tendit le bout sa main en direction de l’orbe doré. L’artefact entra en contact direct avec sa peau et sembla fusionner avec sa chair.
— Tu n’es peut-être pas Hallen, ni Mithra, mais je t’enmène avec moi !
Elle referma sa main sur l’objet et sa peau prit une teinte d’encre qui s’épancha sur tout le poignet. La chair devint d’un noir charbonneux, profond et craquelée, jusqu’à se répandre sur le bras entier. Des rivières de ténèbres consumèrent lentement les tissus de Wright pour l’avaler entièrement et faire de même avec Hyastan.
Kira ne bougea, ni ne prononça un mot. En se contentant d’observer le spectacle.
— Je… reviendrai… susurra Hyastan avec un dernier souffle de vengeance. L’Ordre…
— Non, l’interrompit Wright en caressant avec délicatesse le visage de son ex frère d’armes. Nous ne reviendrons pas, c’est terminé.
Car elle, savait. Elle était prête à accueillir sa destinée au contraire de Nargit. L’homme tenta en vain d’endiguer le courant qui se rependait en lui. Contre sa volonté il senti sa psyché se faire siphonner et quitter son corps, vampirisé par une force incommensurable. Celle-ci ne lassait derrière elle qu’un amalgame de corps calcinés siamois, parcourus de veines bleutés faiblement lumineuses.
Lorsque les deux corps ne furent plus que ténèbres, Wright s’éteignit, laissant derrière elle un visage serein et paisible. Tandis qu’à ses côtés, Hyastan fut englouti dans une grimace de terreur.
Alors qu’ils expiaient pour aller se rejoindre l’un l’autre dans la mort. Ils eurent tous deux une dernière vision, au seuil du voile noir ultime de la vie.
Les consciences se séparant de leur chair, dérivèrent simultanément au-delà de la réalité, telles deux âmes-sœurs filant entres des étoiles distantes. Les Anam Cara. Elles driftèrent au sein d’un océan infini de possibilités, jusqu’à la bordure d’un œil sans fond ni frontière. Le regard de cet iris sidéral était impossible à soutenir et en tentant d’en saisir toute sa démesure, les voyageurs y furent aspirés. Le disque d’accrétion d’un soleil d’obsidienne s’étendait devant eux jusqu’à l’infini. En son centre un puit d’éternité déployait une tempête digne d’un maelstrom divin. A son approche le temps et les dimensions permutèrent sur les faces d’un Rubik’s Cube discordant à l’échelle cosmique.
Pour Wright tout se passa très vite. La jeune femme se trouvait toujours à bord de La Metanoïa. L’avait-elle quitté un jour ? Couchée dans le laboratoire médical, Mithra s’agitait autour de son corps sur un air de Sindo Guerrero. La réalité se déroulait autour d’elle comme l’on visionne un film. Il y avait eu La Carrack, le Merchantman puis un 600i et New Babbage. L’espace et le temps se chevauchait avec la brutalité des plaques tectoniques. Puis retour en arrière et arrêt sur image.
Le docteur l’assommait avec des questions barbantes. Une multitude de voix en désordre lui soufflait des réponses à sa place. Il parût satisfait. Soudain, avance rapide, une main invisible la guida. Elle fut transposée sur la planète d’une civilisation florissante, où une créature élancée aux veines bleues lui tendit un orbe. En acceptant l’artefact, les siècles devinrent des secondes. Un nom flottait dans sa tête : Advaïta, la non-dualité. Et à sa maitrise elle vit ce peuple s’autodétruire. La planète se fractura en deux, comprimée dans un antagonisme fractal insoluble.
L’objet passa entre des mains Hadésiennes et Banu, puis Vanduls, humaines, puis à nouveau Banu laissant sur son trajet un sillon de massacres et de résurrections à l’infini. Des religions vinrent le jour puis s’éteignirent sous un claquement de doigts, s’embrasant dans le carburant du sang et de la peur de la mort.
Un ricochet temporel plus tard, ces existences volèrent en grains sable dans le vent solaire. De nouveaux mots furent prononcés, et un savant humain lui donna le nom de Sphère d’Ibrahim. Un spectre hadésien jura que ceci n’était qu’une pâle copie, une perversion sans imagination de la création originale de son peuple.
L’Œil de La Morrigan avala tout, avant de précipiter un dernier secret : l’arcane véritable de l’orbe, l’Advaïta. A travers les dimensions de la non-dualité, du temps et de l’espace, des êtres se partageaient sa faveur : les hinayanas, les mahayanas et les vajrayanas. Les premiers furent consumés, consommés, ils ne revenaient pas, nourrissant le cycle éternel pour les autres. Les deuxièmes se devaient de purifier les premiers, à l’image des gardiens éternels d’un savoir divin. Les troisièmes, devenaient alors des immortels dans l’ascension vers la non-mort de l’Advaïta, cette bastille des âmes emmurant pour l’éternité les échos de vies en attente.
Une voix incommensurable tonna soudain avec la fureur d’un million d’étoiles :
— Hinayana ! J’accepte votre sacrifice favorablement !
Le couple glissa ainsi plus profondément encore dans le gouffre, main dans la main, lié par un pacte imposé. Mais plus les Anam Cara filèrent vers le vide, plus l’empreinte de Wright s’effaça. Son enveloppe de voyage fut dissoute, digérée par l’estomac d’un monstre cyclopéen, pour au final y disparaitre à tout jamais.
L’âme d’Hyastan y demeura ainsi, nageant seul dans le vide ultime du non-temps avec pour unique compagnie l’enchevêtrement chaotique de ses existences. Un immense fleuve sembla couler devant lui, mu par toutes les possibilités d’existences. Il y vécu ce qu’il fut, ce qu’il sera et ce qu’il n’a jamais été en basculant d’un nœud à un autre dans un ordre heuristique.
Puis une déchirure s’ouvrit, pourfendant les ténèbres d’un brûlure céleste. Elle l’enveloppa de son feu d’absolution, et précipita la fin de sa solitude vers un accouchement démoniaque.
Des images se superposèrent à ses yeux incarnés et une scène étrangement familière s’y incrusta.
De petits mains d’enfants s’extirpèrent d’une couchette en matériaux recyclés. Éparpillés sur un sol en métal bardé de tuyaux et de gaines, gisait en désordre un amalgame de schémas techniques. L’un d’eux portait la marque de l’UEE suivit de la mention : Drake Caterpillar Gorov, propriété de la famille Hyastan.
Soudain, une voix douce et féminine résonna comme un rêve :
— Mahayana ! J’accepte votre sacrifice favorablement !
Et Nargit Hyastan fut à son tour absorbé par l’éther obsidienne pour l’éternité.
Quand tout fut silence dans le bloc, Kira récupéra l’orbe avec ses doigts synthétique et l’enveloppa dans un tissu.
Les événements avaient évolué dans un sens surprenant. A présent même si elle n’en avait plus besoin, le corps d’Ethan Senter le navigateur allait encore pouvoir lui rendre un dernier service : lui ouvrir les portes d’Anodyne & More.
Elle abandonna les deux corps calcinés au beau milieu de la pièce, puis se mit en marche vers les hangars.

Verset 4 – Kamur Dalion
— Ici Salpha, vous me recevez ? Je répète ! Bordel de merde ! Ici le croisé Ernst Salpha, est-ce quelqu’un me reçoit ? Fais chier ! Ok, tu te calmes, respire.
Le croisé coupa sa mobiGlas dans un dépit ultime. Le vieux briscard qu’était Ernst s’escrimait dans l’un des tubes de Jeffries du Mercury. Le système entier de refroidissement des serveurs allait atteindre sa limite critique sous peu.
— Je ne suis pas cryptarque moi ! Où est cet idiot de René quand on besoin de lui ! Et Hyastan ?
La chaleur devenait insoutenable, un bloc de refroidissement lâcha sous ses doigts, et le thermomètre monta à nouveau de vingt degrés. Le croisé dut se résigner à s’enfoncer davantage dans les entrailles du data-runner en utilisant sa propre sueur comme un lubrifiant. Là, à quelques centimètres de sa main, une commande hydraulique le narguait. Dans un nouvel effort de spéléologie mécanique, il s’étira jusqu’à la manette et pompa jusqu’à la crampe.
Quand il relâcha la commande une série de lames en titane manqua presque de le décapiter. Le mécanisme de purge d’urgence s’activa, des barres de métal basculèrent en mordant dans son bras, et un cri de douleur résonna dans les tuyaux. L’air à -57°C de MicroTech balaya la gaine technique surchauffée, et une batterie de voyants lumineux s’inversèrent. Pour le moment les serveurs et leur précieux contenu était sauvé. Il n’y avait plus qu’à y loger le fusible en priant pour la distribution d’énergie tienne le coup.
Au fond du tube, une nouvelle alarme s’activa puis se tut lorsqu’une croute de glace se forma sur l’appareil. Un équipement électronique dont Salpha ignorait totalement la fonction venait de rendre l’âme sous la violence du choc thermique.
Sa sueur commençait à se cristalliser en givre, et à mesure que l’eau sur sa peau devint solide Ernst senti des picotements parcourir son bras. En se tortillant la lame d’aération remua dans sa chair, mais ses doigts agiles purent trouver le chemin jusqu’au RYT Multi-Tool.
Un coup d’OxyTorch vint à bout du cadre. Restait encore à sortir les barres de métal de son avant-bras. Il mordit dans l’isolation d’un câble pendant devant lui et tira d’un coup sec avec sa main valide. Le goût chimique de l’isolant sur la langue le dégoûta.
Dans un effort de contorsion, sa mâchoire remplaça une dernière fois sa main en agrippant avec les dents le module LifeGuard placé dans sa veste. Un bon coup de tête verrouilla l’arme, et une pression de gâchette plus tard Salpha retrouva l’usage de ses deux mains. Certaines entreprises hérétiques avaient tout de même leur savoir-faire.
Il remonta à la surface et se coula dans le siège de l’opérateur com. Le simili cuir rembourré fut très accueillant. La console coulissa du plafond et l’instant d’après la parabole extérieure se réajusta en quête d’un meilleur signal. Salpha verrouilla la plage de fréquences vers le BCR, puis réactiva le transfert de données à pleine puissance. La précieuse data afflua à nouveau.
Il bascula sur les canaux cryptés du réseau Narthex, puis recommença sa litanie.
— Ici, Ernst Salpha ! Je suis à bord du Star Runner Kamur Dalion, j’ai dû me poser en urgence suite une défaillance du système électrique. J’ai perdu tout contact avec les autres ambactis. J’ai lancé le téléchargement forcé des données, mais les serveurs n’ont pas tenu la surcharge.
Il jeta un œil rapide aux jauges du système de refroidissement ainsi qu’aux graphiques de vitesse de réception. Les indices étaient stables mais à la limite de la défaillance critique.
— Les données sont incomplètes, je demande des instructions… quelqu’un ? Y’A QUELQU’UN DE VIVANT EN BAS ?
La faible puissance alloué au réseau secondaire balayait les fréquences de communication cryptées de l’Ordre Noir. Le système trouva une émission à proximité mais l’encodage vidéo ne voulut rien savoir.
— Arrête de gueuler Salpha, par le Prophète tu encombres la fréquence prioritaire !
Le signal fut instable, presque noyé dans les parasites. Pourtant Ernst identifia le timbre de la voix sans un doute.
— Yohan t’es vivant ?!!!
— Ouaiiiiiis ! Bénisse la Sainte Croisade, et Clint aussi ! On vient de réchapper d’une course folle dans les entrailles de New Babbage, et la première chose que j’entends c’est ta sale voix de stentor sans les 1000 vierges que l’on m’a promis ! Alors ouais, c’est ça ou… ou alors je suis en enfer ! Remarque, vu mon karma aujourd’hui…
— Arrête un peu tes conneries ! C’est du blasphème ! Il s’est passé quoi en bas ?
A l’autre bout du faisceau de communication Yohan Dirmac tripotait en vain les paramètres de son Comm-Link. Le résultat fut encore pire.
— Tu le sais très bien, répondit enfin Yohan blasé. On a improvisé, et ça a dégénéré.
— Une extraction est-elle requise mon frère ?
— Évidemment, fit Clint en arrière plan. Sans contact avec un primat ou mieux, la procédure reste de se regrouper. D’autres contacts ? Ça fait un moment qu’on poirote ici, tout est devenu si calme soudain.
Salpha prit conscience qu’il était mort de faim et de fatigue, empestant la sueur autant que le liquide de refroidissement. Il engouffra une barre de Cal-O-Meal Chocolate Deluxe avec un tel appétit, que Yohan pu presque entendre le chocolat croquer dans son casque.
— R.A.S et pour le moment, rétorqua le vieux briscard avec la bouche pleine. Je scanne toutes les fréquences mais je n’ai que dix doigts. Un copilote ne me ferait pas de mal !
— Je t’envoie une balise, viens me récupérer et on avisera !
— Inutile presque plus rien ne fonctionne, on dirait des perturbations électrostatiques ou je ne sais quoi.
— On doit se trouver quelque part sous les bureaux de Shubin. On va essayer de monter à la surface jusqu’à un pad.
— C’est noté, je fonce sur zone ! Je serai très vite sur vos positions, menti Salpha d’un ton rassurant.
L’afflux de protéines et de glucose dans le sang avait requinqué Ernst qui gambada à travers les coursives du MSR jusqu’au poste de pilotage. Mais le panneau scellé du poste trancha son euphorie.
Une bonne partie de l’électronique embarquée avait rendu l’âme, et celui encore en état faisait un doigt d’honneur magistral à ses compétences techniques. Le croisé serra les dents et fit basculer le poids de son corps sur la commande hydraulique du sas. La porte ne coulissa que d’un tiers mais la douleur immédiate lui fit croire l’inverse. L’Hemozal avait montré ses limites. En usant d’un extincteur vide qui trainait au sol, il força le passage.
Le croisé se sentit bien vieux. Il s’injecta une solution de Roxaphen et pria pour avoir encore la dextérité nécessaire au pilotage en atmosphère.
Le CommLink crépita sans préavis.
— Ah j’y crois pas, ragea Clint à la radio. Ils sont encore sur nous ! Mais ils ne vont jamais nous lâcher !
Le tintement des impacts de balles sur du métal inonda la fréquence.
Non, songea Salpha. On vient de braquer le serveur central du Brentworth Care Center, cracker les données de BiotiCorp et assassiner leur responsable de la sécurité. Aucune chance qu’ils nous lâchent !
Sur la simple pression d’un commutateur, les turbopompes du Star Runner se mirent en branle. Une série de valve high-tech couplées aux injecteurs haute performance de Crusader mirent le feu dans les tuyères. Des gerbes de plasma soufflèrent leur rage en vomissant 10 193,95 kN de poussé dans l’air de New Babbage. Sous la puissance brute des moteurs, papy Salpha eut le sourire aux lèvres ainsi qu’une solide érection. La machine de 715 tonnes se souleva avec plus de simplicité que son propre membre viril.
— D’autres arrivent par les flancs Yohan, pesta encore Clint dans un concert de crépitements.
Le senior dopé à l’opiacé parfum chocolat fit swinguer le gros Kamur entre les immeubles de New Babbage. Il faut dire qu’Alexandria Dougan et Mas Houlan n’avaient pas choisi leur monture au hasard !
En approche de la tour Shubin, le croisé tira sur le yoke comme un forcené et la machine se cabra avec la facilité d’une pute de Spider. Le Kamur gémit et rasa la cime de l’immeuble à la verticale, faisant sauter les vitres d’une bonne dizaine d’étages. Il fit ensuite beugler les propulseurs de manœuvre dans une vrille qui lui renvoya illico sa barre protéinée vers les amygdales.
Lorsqu’il fut à portée visuel de Dirmac et Kefrey, un Cutlass Blue en VSTOL l’engagea sans préavis. Le Mercury dansa à nouveau entre les tours, caressé par les stries bleutées d’armes à distorsion.
— Ernst, par le Prophète, tu fais quoi là ? Ce n’est pas la parade de l’Invictus. Dépêche !
— J’esquive ! C’est un Mercury, Yohan, pas un Terrapin ! Il ne va pas tenir longtemps !
En bas, tout un bataillon de fourmis blanche et bleu s’activait autour du site. Avec le gabarit du MSR, impossible pour Ernst de s’approcher d’avantage sans risquer de percuter une façade. Il fit drifter l’appareil au-dessus de la zone de combat et dans le cockpit, toutes les alarmes de proximité devinrent folles.
A travers le sol vitré du palonnier Salpha pouvait distinguer deux pucerons tentant de s’extirper de la zone. Le canal de communication fut inondé d’injures et de gémissements de douleur.
— Que je m’active ? Va dire ça a ma T3 aux jambes, je crois bien que j’ai sous-estimé les dégâts ! Ca fait un mal de chien !
Un puceron noir se rua sur une fourmi de MT Protection Services et lui trancha la gorge avec son couteau de combat. La poudreuse de MicroTech se teinta de pourpre.
— MAIS, reprit Yohan en criant comme un fou ! Les avatars de la Croisade Noire ne battent pas en retraite ! Surtout lorsqu’ils portent des exosquelettes conçus et bénis par le Prieuré de Mithra ! Un croisé rend grâce dans le sang des impurs ! Je ne suis pas la mort ! Mais j’organise la rencontre !
Quand le nombre de points bleus et blanc fut suffisamment réduit, une idée traversa l’esprit rusé du vieux briscard.
— Yohan, Clint laissez-vous faire ! Laissez-vous capturer !
— Quoi ? Plutôt mourir comme un homme, beugla Dirmac en récupérant un nouveau chargeur et un medpen sur un corps.
— Ce sont des employés de MT Protection, par le Prophète ! Et moi je pilote un Star Runner de l’Advocacy ! Alors faites ce que je vous dis, nous avons d’autres combats a mener !
— Mais je voulais tous les purger, ces mécréants, râla Clint Kefrey comme un enfant déçu à qui on avait enlevé sa sucrerie.
— Croisé Kefrey, tonna Ernst !
Yohan obtempéra à contrecœur, de même que Clint. Le guerrier se mit à genoux et jeta son arme à terre. Lorsqu’il leva les mains en l’air, le personnel de sécurité fut des plus perplexe. Il n’y avait dans le peloton plus aucun trouffions suffisamment gradé pour prendre une initiative quelconque. Ernst s’engouffra dans l’appel d’air.
— Votre attention, commença-t-il en canal ouvert. Ici le Kamur Dalion de l’Advocacy. Vous avez appréhendé deux terroristes très dangereux que nous traquons depuis plusieurs jours. Félicitations ! Néanmoins ces hommes ne peuvent pas rester sur le territoire de New Babbage, merci de me les transférer à bord. Ils seront extradés vers l’INS Jéricho pour interrogatoire.
Le Star Runner flotta doucement en vol stationnaire avec la rampe déployée, à quelques centimètres du sol. Deux miliciens poussèrent Dirmac dans la soute tandis que trois autres tenaient Kefrey en joue. Aucun contractuel de MT Protection ne moufta, trop heureux de pouvoir se débarrasser du fardeau.
— Sauf votre respect monsieur, ces hommes viennent de maîtriser une dizaine de nos agents. Nous devrions plutôt les transporter à bord du Cutlass.
Ah oui bien-sûr, songea Ernst, il y a toujours un ou deux idiots pour faire du zèle. Les crétins !
Sergent dégaina aussitôt son S-38 et tira une balle dans le bras droit de Yohan.
— Fils de pute, hurla Dirmac de douleur.
Puis il gratifia Kefrey d’un coup de crosse bien dans le dos, avant de lui passer des menottes.
— Celui ne peut ni marcher très loin, ni tenir une arme, continua Ernst impavide. Et l’autre finira son voyage attaché dans la soute. Lesquels d’entre vous souhaitent donc escorter deux tueurs psychopathes fanatiques multirécidivistes jusqu’à l’INS Jéricho et se faire débriefer sur cet incident ? Je suis certain que le superviseur Paul Gorov sera heureux d’entendre vos versions du récit quant à l’inefficacité de MT Protection.
Quatre gardes sur six firent un pas en arrière et s’éclipsèrent discrètement vers la sortie. Les deux autres levèrent le cran de sécurité de leurs armes, en pénétrant dans le vaisseau. Salpha rétracta vite la rampe après leur passage.
— Sécurisez ce prisonnier dans les quartiers de l’équipage messieurs. Cela sera suffisant pour l’amener jusqu’à Jericho, fit-il.
L’un des miliciens s’attarda sur les traces de combats dans la soute, cherchant une explication auprès de son compagnon immédiat. Il rencontra le visage austère et patriarcale de Ernst dans son uniforme souillé de l’Advocacy. L’air interrogateur disparu aussitôt.
Lorsque l’un des deux hommes prit la direction de la cellule provisoire, le faux agent se glissa à sa suite. Quelques pas en arrière, il se saisit d’un C54 dans le couloir et l’abatis rapidement d’une rafale dans le dos.
— Tu m’a tiré dessus, grogna tout de suite Yohan.
— Ne râle pas trop ! Hyastan aurait visé la tête ! Y’a un ParaMed dans les quartiers de l’équipage ! Tu vas t’en remettre. Et puis ça tombe bien, on va dans un laboratoire médical. Ou sinon tu peux retourner au BCR, hein !
Au son des détonations étouffés, Clint jailli sur le second garde, y passa ses menottes devant la gorge et fit pression de toutes ses forces.
— J’aurai pu tous les avoir, fit Clint tandis que Salpha lui enleva les menottes.
— On pas le temps pour ça ! Tu te souviens ? Il faut sauver les données du MSR et trouver Anodyne ! Je retourne au poste de pilotage, il faut quitter cette ville et vite !
— Ok, mais maintenant c’est moi qui pilote !
Avec une efficacité digne de la Croisade Noire, Clint retira son armure de combat puis se coula dernière le yoke. Le temps que Dirmac puisse péniblement gagner la cuisine, l’appareil sortait déjà de quantum sur un OM.
— Bon je relance un appel ! Ici les adeptes Salpha, Dirmac et Kefrey, nous sommes isolés et sans aucune nouvelle de l’Administratorum ! Ambacti en attente d’instructions !
Dirmac quant à lui, toujours en combinaison de combat, apparut dans le poste de pilotage avec deux cafés brûlant à la main. Sa jambe le fit boiter et il en renversa une partie du contenu sur le sol en grognant.
Sous l’angoisse du silence, Salpha se mit à répondre à son propre appel.
— Ok et bien apparemment il va falloir que l’on se débrouille tout seul comme sur Gamma IV, quand le temple est tombé aux mains du général Legault.
— Je n’espère pas, fit Clint derrière lui. C’était un sacré charnier là-bas ! Au moins sur ce coup-là, on n’a pas de Javelin qui nous pilonne depuis l’orbite ! Et…
Sans même le laisser finir sa phrase, Sergent s’éclipsa dans la salle des serveurs et Clint s’appropria d’instinct les commandes à sa suite. Yohan alla s’assoir dans l’espace de vie, toujours engoncé dans son armure de combat comme s’il était née avec. Quand un nouveau café eut coulé, la voix de Salpha se fit à nouveau entendre.
— Attendez un instant j’ai quelque chose, mais c’est faible ! Tiens, tiens, tiens…
— On a une piste ? S’enquit le frère Dirmac qui commençait déjà à démonter puis remonter son arme par routine autant que par stress.
Salpha fit défiler les données sur le MFD, passa en revue des scanners, des fréquences et nombres d’outils dont il n’avait aucune idée de l’emploi.
— Peut-être, fit-il en tentant de dissimuler son soulagement. Je viens de mettre le Mercury en réseau avec le système Hermès de l’Inquisitorum. Le Narthex est toujours opérationnel.
— Attends ! Tu es certain de vouloir laisser un vaisseau espion de l’Advocacy connecté avec notre réseau de communication crypté ? Demanda Clint.
— C’est certain. Ça tellement bien marché la dernière fois, ajouta Yohan d’un ton amer.
Dirmac se massa nerveusement l’arête du nez et se brûla la gorge avec un trait de café. Puis répliqua ensuite à son compagnon de combat, tout en essuyant les restes de sang et de neige de son armure. Cet équipement avait beau être celui des hérétiques de MicroTech, son conditionnement militaire l’obligé à l’entretenir.
— Moi je crois que l’on va tous les trois se prendre une balle mes frères. Sœur Wright a fini au bûcher pour moins que ça. Mais puisqu’on en est là, autant y aller à fond. Alors ça donne quoi ta solution miracle ?
Une alarme se proximité se mit aussitôt à beugler dans le cockpit, accompagnée de la voix de Clint :
— Hornet Tracker MKII, en approche. Yohan, monte dans la tourelle !
L’homme regretta aussitôt d’être toujours sanglé dans l’armure.
— Attendez, coupa Salpha on a un signal, je nettoie la communication.
— …qu’est-ce que vous attendez… opération compromise… ambacti au rapport. Lespine, à vous.
Le frère Salpha boosta le signal de la parabole avec le dernier fusible de réserve, puis permuta la communication en direct avec le Tracker.
— Anam Cara, primat Lespine ! C’est une joie de vous entendre, s’empressa Clint.
Dirmac grogna en arrière-plan sonore. Puis l’ainé des croisés prit immédiatement la parole en effectuant un rapport méticuleux de la situation. Les deux autres frères s’en félicitèrent, trop heureux de laisser le vieux briscard étaler sa science de la diplomatie martiale. Ils gardèrent un silence de respect complet jusqu’à la fin de l’exposé, en priant pour que le primat ne les envoie pas en patrouille dans le secteur de Tyrol en représailles de leurs erreurs récentes.
— Je vois, fit sobrement Aquila Lespine après le débriefing audio. C’est épineux. Je ne sais rien sur Anodyne, quant à sa localisation ou même son existence. Mais en poussant les capacités du WillsOp j’ai pu surveiller l’activité autour du BCR pendant votre exfiltration catastrophique ! Plusieurs appareils, en plus du votre, ont attiré mon attention. Deux vaisseaux médicaux dont l’un sans transpondeur actif, un Reliant Mako et un quatrième avec la signature résiduelle d’un engin furtif. Le Mako tournait autour du vaisseau médical comme une mouche.
Yohan en renversa presque sa tasse d’incrédulité. En tentant de la rattraper, il se rendit compte qu’elle portait le blason doré de l’Advocacy. Cette vue à elle seule le mit dans une haine qu’il parvint à peine à contenir. Soudain le café fut aussi amer que son humeur. Sa réponse fut teintée de rancune et de lassitude.
— Qu’est qu’un furtif irait faire dans autour d’un hôpital en plein milieu d’une ville aussi grande ? Par contre pour le tandem medical et Mako, j’ai bien une idée.
— Le moins que je puisse dire c’est qu’ils ne se cachaient pas. Un Apollo Medivac des Dragons Rouges, filmé sous tous les angles.
— Raaa si seulement j’avais accès à l’Archiviste d’ici !
— Inutile, j’ai déjà son signalement complet. Il est enregistré au NBIS sous le capitaine Banastar Chopra. Son émission électromagnétique crevait le plafond, comme s’il diffusait quelque chose.
— Je l’ai… aussi discret sur mes écrans que la flotte de l’UEE le jour de L’Invictus et… Par le prophète ces gars se foutent de ma gueule ? Je transmet la diffusion provenant du Mako, écoutez ça, c’est en live sur Spectrum !
Sur les MFD des deux postes s’ouvrit un flux vidéo multicam. Une caméra-drone resserra son cadrage sur le visage d’une femme dans une armure légère rouge carmin. Elle expliquait avec le plus grand sourire le fonctionnement d’un AutoDoc. De temps à autres, un homme au teint hâlé ponctuait ses assertions.
—Bonjour à tous ceux qui nous rejoigne en ce moment sur ma chaine ! Si vous ignorez encore qui je suis, je suis Nicole Nito-Ottori l’investigatrice aux 100 millions de followers et la bête de noire de tous les sales secrets à travers l’Empire ! Vous êtes à présent sur mon stream et en direct d’un RSI Apollo de la SAR des Gardes Côtes de MicroTech, les fantastiques : Dragons Rouges ! Ne quittez pas ! Vous êtes au cœur de l’action et nous allons découvrir ensemble en exclusivité, l’intérieur de la sulfureuse clinique privée Anodyne & More ! Thérapie génique, cure de jeunesse, prothèse sur mesure et bio-ingénierie, rien ne semble trop beau pour les Crésus de Stanton ! Mais que se cache réellement derrière la façade lisse de cette médecine de luxe ? Mythe ou réalité, c’est tout de suite !
La caméra passa sur plan large englobant l’espace centrale de l’Apollo ainsi qu’un homme aux côtés de Nicole.
— Capitaine Chopra, nous avons capté tout à l’heure l’appel d’urgence MMSI d’un transpondeur, que vous avez transféré à vos collègues des Medrunners ! Dites-nous tout, quelle est la procédure dans ce cas de figure…
— C’est quoi ce bordel, coupa Clint déjà excédé par les manières de la dame. C’est une blague ! Ils ont une journaliste à bord et diffuse sur Spectrum en live ? On va avoir cette femme et ses caméras sur les bras ?
— Non, pas du tout, ajouta Yohan. J’ai bien croisé cette journaliste dans les couloirs du BCR. C’est malheureusement vrai.
— Hun, intéressant, fit Lespine en surprenant tout le monde. Je me demande dans quelle mesure nous pourrions en tirer profit.
La femme continuait à discourir en fond sonore dans la cuisine. Yohan s’en alla couper la transmission mais Ernst s’interposa d’un geste de la main. Il observa un instant la tasse de Dirmac bariolé de chatterton puis fit semblant de n’avoir rien vu. Nicole piaillait toujours :
— Vous avez déjà sauvé de nombreuses vies au cours de votre carrière ! Mais quel est le souvenir le plus mémorable ?…
— Mouais, pas notre problème, insista lourdement Dirmac dont l’esprit était ailleurs. Reste concentré pour l’instant, tu veux ! Tu sais quoi ? Maintenant que je repense à ce deuxième vaisseau.
— L’engin furtif ?
— Ouais ! Comment est-il passé inaperçu aux yeux de tous ? Je te parie qu’il ne l’est pas, c’est juste que personne ne savait pas où regarder à ce moment. Tu me suis ?
Kefrey fit irruption dans la pièce.
— Oh oui, c’est foutrement malin. Le sillage du petit poisson cache le gros, peu importe sa taille ! Technique classique de la guérilla, l’Apollo avec sa signature EM, IR et la diffusion du stream rend le furtif totalement invisible.
— Exactement ! En faisant autant de bruit et en supposant qu’il vol en rase-motte en tandem avec le furtif, même un Prowler passerai inaperçu.
— Tu as dit quoi là ? Emergea Salpha en ayant un tic nerveux devant l’évocation de ce terme.
— Heuuu je pense que notre engin mystère est certainement un Prowler !
Ernst explosa soudain d’un rire tonitruant qui déborda vers un fou rire légèrement malsain. L’absurde du cheminement de la pensée de Dirmac le fit se gondoler, mais le poids de stress n’y fut pas pour rien non plus.
— Ça te fait marrer ?
— Alors là, excuse-moi mon frère, mais je viens de m’imaginer Kaitlyn Wright aux commandes d’un Prowler ! On parle bien de la même personne qui a failli mourir en crashant son vaisseau contre les anneaux de Port Olisar ?
La voix d’Aquila Lespine coupa court à l’échange. Son élocution parvint à peine à se distinguer du rugissement de la tuyère de son Hornet. Rien qu’au son de fond, Dirmac savait que primat avait poussé la turbine jusqu’à la surchauffe.
— Je capte l’émission de l’Appolo, je suis parti pour remonter le signal. Il nous mènera jusqu’au laboratoire d’Anodyne, sautez sur moi je transmets ma balise à Salpha.
La communication ne fut même pas achevée que les trois croisés avait déjà rejoint leurs postes en oubliant à la secondes leurs querelles, leurs douleurs physiques et leurs inquiétudes.
